22 septembre 1908 : Qui dirige Lyon ?

Lorsqu’il sort du bureau de Georges Clemenceau, je sens qu’il ne sait trop où aller déjeuner. Son entretien avec le Patron a été très cordial et souvent, nous avons ri de bon coeur tous les deux. Je lui propose donc d’aller « casser la graine ensemble ».

C’est ainsi que le nouveau maire de Lyon Edouard Herriot et moi, nous nous retrouvons autour d’une bavette bien saignante au Café des Ministères.

Trente-six ans et déjà premier magistrat de l’une des plus grandes villes de France. Beaucoup de choses nous rapprochent, au-delà d’un âge voisin : nous sommes tous les deux normaliens, nous avons des épouses lyonnaises et nous croyons en l’avenir du parti radical.

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Edouard Herriot, le tout jeune maire de Lyon depuis 1905

De façon paradoxale, le fait qu’il soit en pleine lumière et moi, en raison de mes fonctions de conseiller, dans l’ombre, crée une complémentarité voire une complicité qui facilite la confidence.

Nous avons d’abord quelques échanges sur notre amour commun pour le chef-lieu du Rhône. La Place Bellecour, le Parc de la Tête d’Or, la Basilique de Fourvière, les traboules, les « bouchons »… nous énumérons ces lieux ensemble en laissant échapper des « ah! » des « oh! » d’admiration commune. Chacun de nous y va de sa description originale, de son anecdote savoureuse sur ces endroits magiques. C’est à celui qui s’affirmera comme le plus « Lyonnais ».

La tranche de viande parisienne dans notre assiette, pourtant bien tendre, est d’emblée critiquée : « tout cela ne vaut pas une bonne cervelle de canut suivie d’une andouillette légèrement grillée accompagnée d’échalotes mouillées au vin blanc… « .

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La Place Bellecour à Lyon 1908

Edouard Herriot ne peut alors s’empêcher d’y aller de l’un de ses bons mots dont il a le secret :

« Monsieur le conseiller, vous savez quelle est la différence entre l’andouillette et la politique ?  »

Devant mon regard interrogateur, il me lance, goguenard :

 » C’est la même chose. Pour être bon, cela doit sentir la m… , mais pas trop ! »

et nous partons d’un grand éclat de rire.

Après cette visite virtuelle de la ville des soyeux et cette courte évocation gastronomique, nous revenons sur l’entretien avec Georges Clemenceau.

Ce dernier a écouté toutes les revendications du nouveau maire de Lyon, a souvent hoché la tête pour montrer son attention… mais n’a rien promis du tout.

La création d’un « Grand Lyon » englobant Bron, Villeurbanne et Vénissieux ?

 » On verra. Je ne suis pas convaincu que vos voisins seraient d’accord pour vous rejoindre. Lyon a déjà la chance d’avoir un maire, contrairement à Paris. Je ne suis pas sûr que la Chambre voterait pour un nouveau texte de loi qui rendrait cet édile très puissant. »

Le rattachement de la police au maire ?

 » C’est vrai que les troubles et les mouvements ouvriers ont baissé en intensité mais je souhaite conserver encore quelque temps un préfet de police. Il est important que celui-ci ait un pouvoir sur toute l’agglomération -qui est à cheval sur plusieurs départements- si on veut assurer efficacement la sécurité de vos concitoyens. Or, si la police vous est rattachée, elle n’aura plus compétence au-delà de la ville de Lyon stricto sensu et laissera s’échapper les bandits qui sont toujours très mobiles.  » 

Un appui financier pour le grand projet des Halles ?

 » Rédigez-moi une note. On verra si je peux faire passer cela sur le budget de l’Etat en 1909.  »

Malgré ces réponses dilatoires du Président du conseil, Edouard Herriot n’est pas déçu. Politicien déjà madré malgré son jeune âge, il sait que, dans notre République radicale, il faut souvent et longtemps revenir à la charge pour obtenir quelque chose.

Pour expliquer les réserves et silences de mon Patron, j’indique que celui-ci a quelques principes auxquels il tient. La réponse, amusée, ne se fait pas attendre :

 » Justement : appuyons-nous fortement sur les principes, ils finiront bien par céder ! « .

Imparable.

Curieux, je demande à Edouard Herriot combien de temps il pense faire pression sur les bureaux parisiens pour obtenir satisfaction.

« Je n’en sais vraiment rien. Tout cela est politique et donc, en partie, imprévisible.

– Pourquoi imprévisible, monsieur le maire ?

– Mais parce que la politique n’est qu’un chapitre de la météorologie. Et la météorologie, vous savez ce que c’est ?

– Non…

– C’est la science des courants d’air ! « 

Un commentaire sur “22 septembre 1908 : Qui dirige Lyon ?

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  1. En feuilletant les écrans de mon ordinateur, je suis tombé sur une page de l’histoire de Lyon qui devrait intéresser les collègues. Je vous la transmet. L’auteur s’appelle Octave Mirbeau, Bonne lecture. G. Vallat

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