Il y en a partout. En haut, en bas, sur des kilomètres d’étagères. Des fiches blanches, roses, vertes ; neuves ou jaunies. Sur ces fiches figurent des renseignements précis sur toutes les personnes arrêtées par la police parisienne dont la plupart ont été ensuite condamnées : une photographie de face et de profil, des données anthropométriques (mesures du crâne, longueur de l’écartement des bras, taille, pointure du pied…) et des relevés d’empreintes digitales qui garantissent que l’on ne confondra pas un mauvais garçon avec un autre.
Ce travail considérable a été initié par un simple employé devenu chef de service et maintenant mondialement célèbre dans le milieu policier : Alphonse Bertillon.
Alphonse Bertillon, l’un des pères d’une police plus scientifique
Dans toutes les polices occidentales, dans les congrès de criminologie, on parle de « la méthode Bertillon ».
L’idée n’est plus seulement de faire avouer un suspect (avec des méthodes qui excluent la torture mais qui restent souvent violentes) et d’avoir la « religion de l’aveu » : celui qui avoue serait forcément le coupable, il conviendrait donc de tout faire pour obtenir ces confessions. La police s’efforce de nos jours d’obtenir d’autres éléments pour confondre les malfrats. En utilisant bien le fichier, on peut retracer les déplacements de telle personne interpellée, être sûr d’une de ses condamnations antérieures, établir des liens entre membres d’une même bande organisée.
» En utilisant bien le fichier » ai-je écrit. C’est bien là le problème. Comment s’y retrouver dans toutes ces petites cartes multicolores, comment lire rapidement tous ces renseignements figurant sur des centaines de milliers de pages, comment distinguer parmi des milliers d’informations anodines celles qui ont un intérêt pour l’affaire criminelle en cours ?
Aucune machine, aucun être surnaturel ne peut aider le policier qui se noie dans cette masse d’informations. La vérité, la clef de l’énigme, le coupable est là, tout près, dans ces boîtes de rangement… mais où ?
Un seul recours, une seule arme : la mémoire humaine. Elle seule permet de mettre en relation les informations qui en valent la peine, elle seule garantit les bons liens entre fiches, elle seule guide les pas de l’enquêteur.
Deux mémoires s’affrontent : d’une part celles des policiers de terrain qui se rappellent telle ou telle affaire, tel ou tel nom, et qui savent ensuite où chercher dans les fiches ; d’autre part celle des employés aux écritures des salles d’archives. Ces derniers ne sortent guère des sous-sols mais établissent, avec leur belle écriture, des documents qui parfois, pour des raisons mystérieuses, attirent leur attention.
Parmi les employés des salles d’archive, il y a une jeune femme rousse assez bien faite de sa personne. Depuis son arrivée, la fréquentation des salles de classement par les policiers masculins a été multipliée par deux ou trois. Discrète mais efficace, elle sait écouter la demande des enquêteurs, elle les aide à chercher au bon endroit et a des intuitions fulgurantes. Elle fait des rapprochements géniaux auxquels personne n’avait pensé. Elle repense à de lointaines affaires et donc de vieilles fiches par tout le monde oubliées mais qui cachent la clef d’un meurtre jusque là mystérieux.
Sa mémoire impressionne tout le Quai des Orfèvres, sa capacité à trouver des indices décisifs est connue en haut lieu. Comme son prédécesseur Bertillon, les grands patrons de la Préfecture réfléchissent à son avenir et envisagent pour elle une promotion bien méritée.
Elle n’en a cure. Petit minois pétillant et plein d’humour, elle aime rester dans l’ombre des étagères, ne veut pas d’un bureau de « chef » qui l’éloignerait de ses fiches, de « ses chères petites cartes ». Elle ne veut pas de carrière et aime plaisanter avec ses autres collègues employés moins doués qu’elle.
Et surtout, elle ne veut pas être, un jour, appelée « madame » ou « mademoiselle ».
Non, elle répète à qui veut l’entendre : » j’ai un beau prénom, bien de notre époque, appelez-moi Edvige « .
Voici 2 notes drôles de Ponchon où l’ami Bertillon est en scène.
http://raoulponchon.blogspot.com/search?q=bertillon
Bonne lecture
Raoul
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