26 septembre 1908 : Halte aux « coups tordus » dans la police !

 » Vous vous imaginez que la presse n’aurait pas découvert un jour le pot aux roses ?  » Le directeur de cabinet Winter me passe un « savon » en règle. Non, je n’avais pas à donner des ordres aussi précis au Préfet de police. Non, nous ne pouvons pas demander à la police parisienne de procéder à des arrestations de petits malfrats sans envergure que nous ferions passer ensuite pour des interpellations d’Apaches célèbres. Non, le cabinet du Président du conseil ne doit pas tenter de manipuler la presse et ensuite l’opinion publique.

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Une bande d’Apaches pose pour la photo

Le « remontage de bretelles » est froid (M. Winter est toujours très courtois) mais sévère. Je n’en mène pas large, me rendant bien compte que je suis allé trop loin dans mon zèle à mettre en oeuvre l’annonce de G. Clemenceau à la presse où il évoquait « l’incarcération prochaine d’une célèbre bande d’Apaches ».

Winter reprend :  » Quand le Président du Conseil juge utile de faire une annonce aux journaux, vous devez garder la tête froide et ne pas vous lancer dans des initiatives douteuses. Que vous mettiez une certaine pression sur la Préfecture de police pour qu’elle obtienne des résultats conformes aux annonces ministérielles, pourquoi pas. Mais que vous demandiez aux services la réalisation d’une véritable manipulation, cela est contraire à la morale républicaine et je ne  peux l’accepter dans le Cabinet que je dirige.  »

Pour sauver ma tête, je propose à mon chef de reprendre tout le dossier avec ses nouvelles indications.

D’une voix blanche, je détaille les nouvelles options qui pourraient être prises :

 » Le plan que nous étudierons avec la Préfecture s’articule autour de trois grandes idées (je fais un exposé comme j’ai pu l’apprendre à l’Ecole Libre des Sciences Politiques) :

Rassurer, renforcer, communiquer.

– Rassurer les citoyens ordinaires en intensifiant les patrouilles de nuit dans les quartiers devenus les territoires des bandes d’Apaches (Glacière, Belleville, les Batignolles, rue de Lappe…). Pour cela, il faudra demander à la Préfecture de modifier le roulement des brigades de gardiens de la paix pendant trois à six mois et obtenir du ministère des Finances une indemnisation conséquente des hommes mobilisés ;

– Renforcer l’ïlotage dans les mêmes quartiers pour disposer d’informations plus fréquentes sur les déplacements de bandes organisées (NDLR : l’îlotage, qui nous vient de la police londonienne et du ministre anglais Robert Peel, est une valeur sûre quand on veut convaincre Winter) ;

– Accentuer la « communication » (c’est une expression favorite du préfet Lépine) vers la presse pour mieux expliquer la surveillance en cours des bandes d’Apaches et montrer que des résultats efficaces ne peuvent être obtenus que progressivement.  »

Winter m’écoute patiemment. Je le sens rassuré par ce plan beaucoup plus orthodoxe que celui que j’avais pu imaginer initialement. Il ajoute :

 » Il manque une partie à votre exposé : la répression. Il faudra veiller, si des Apaches sont effectivement arrêtés, à ce que le Parquet réclame des sanctions sévères aux juges. Il conviendra aussi d’être attentif à ce que les poursuites et les procès se déroulent rapidement. La machine judiciaire est souvent trop lente sur ce genre d’affaire. »

Au moment où je quitte le bureau de mon directeur, ce dernier me lâche cette parole définitive :

 » Et rappelez-vous, on ne préserve pas la République en demandant des coups tordus à notre Administration !  » 

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