22 mars 1910 : La France trahie par un boxeur belge

Le commissaire spécial fait signe à ses dix agents de bloquer toutes les portes du second wagon du Lille Bruxelles de 11h15. Le chef de la gare de Lille a pour consigne de ne pas donner le départ. Cinq policiers, les plus costaux de la Sûreté locale, s’engouffrent alors dans le véhicule à la recherche de Tony, le champion de boxe belge.

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La Grand-Place à Lille pendant les années 1910

L’arrestation est mouvementée. Tony déploie une force de colosse et deux fonctionnaires tombent à terre. Le premier s’affaisse, le nez fracassé par un direct du droit et l’autre est projeté violemment contre la vitre à la suite d’un crochet du gauche très bien placé.

La lutte s’achève au moment où le commissaire Rocca sort son revolver et le plaque sur la tempe de Tony. Le sportif se rend alors et se laisse conduire, menotté dans le dos, jusqu’aux locaux de la Sûreté lilloise.

Un après-midi et une nuit complète d’interrogatoire musclé ramollissent notre homme qui passe aux aveux :

« Oui, monsieur le commissaire, j’ai pris des photographies des forts de Lille dans un but d’espionnage. J’ai été recruté à Bruxelles par un Allemand très bien habillé et parlant parfaitement le français. Il m’a proposé une grosse somme d’argent qui couvrait les lourdes dettes accumulées par ma salle de boxe où les clients étaient devenus trop rares. J’ai appris que ce monsieur était un officier du Reich et qu’il voulait aussi faire travailler ma maîtresse. Il m’a confié un appareil photographique pour prendre des clichés des forts entourant notre grande ville près de la frontière belge. Et il a proposé de belles toilettes à ma compagne pour qu’elle séduise des gradés de la garnison. J’avais aussi pour mission de vérifier si les forts étaient reliés entre eux par une ligne téléphonique. Plus tard, on m’a demandé de recruter des auxiliaires pour d’autres observations en me promettant des enveloppes toujours plus intéressantes. C’est sans doute là que je me suis fait remarquer par la police.

Monsieur le commissaire, c’est la misère qui m’a fait accepter cette mission honteuse. »

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Bruxelles est un nid d’espions allemands

Epuisé par la nuit sans sommeil, les hurlements des inspecteurs, les claques à répétition et les coups de dictionnaire sur la tête, Tony pleure à chaudes larmes. Sa tête tuméfiée a presque doublé de volume. Il sait que la République française ne lui fera aucun cadeau. L’article 77 du code pénal a le double mérite de la clarté et de la simplicité : »Sera puni de mort quiconque aura pratiqué des manœuvres ou entretenu des intelligences avec les ennemis de l’Etat, à l’effet de faciliter leur entrée sur le territoire et dépendances de la République ou de leur livrer des villes, forteresses, places, postes, ports, magasins, arsenaux, vaisseaux ou bâtiments appartenant à la France ».

Pour être complet dans ses explications sur la suite des événements, le commissaire met sous le nez du boxeur, anéanti par le remord et terrifié par la gravité de ses actes, un code napoléonien ouvert à l’article 12. Il fait lire l’espion à haute voix, cette phrase qui exprime, dans un style pur et dépouillé, ce que notre pays promet à ses ennemis : « Tout condamné à mort aura la tête tranchée ».

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17 décembre 1909 : Le roi des Belges est mort

On lui doit une Belgique qui se protège mieux, qui nous protège mieux. Trois jours avant de mourir, le roi des Belges a signé une très importante loi sur le service militaire obligatoire (un fils par famille doit partir) qui permet à l’armée du royaume de disposer de régiments beaucoup plus nombreux. Notre frontière nord est ainsi devenue plus sûre.

Que retiendra-t-on de Léopold II, ce roi à la longévité exceptionnelle (il était monté sur le trône en 1865) qui vient de nous quitter ?

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Léopold II, roi des Belges, vient de mourir

Du bon : la prospérité économique de son pays assise sur les mines et une industrie aussi inventive que florissante; un enrichissement général de la population, de multiples constructions à Bruxelles ou à Ostende comme les serres de Laeken, les Arcades du Cinquantenaire, le Pavillon chinois, la Tour japonaise et j’en oublie…

Du beaucoup moins bon : la réputation du roi est durablement entachée par les révélations des journalistes et des écrivains sur la situation au Congo, longtemps propriété personnelle du souverain. Emprisonnements, déplacements arbitraires, tortures : rien n’a arrêté ceux qui souhaitaient que la colonie soit la plus profitable possible et que la production de caoutchouc augmente de façon spectaculaire. Les mains coupées des enfants du pays par les personnels de la « Force publique » belge, restent dans les mémoires.

Seigneur bienfaisant en Belgique, terrible saigneur au Congo, y-avait-il deux Léopold ? Avait-il lui même conscience de ce qui s’est fait en son nom dans « sa » colonie ?

Léopold II a demandé une enquête internationale sur le Congo. Il a rétrocédé les terres à son pays et s’est efforcé de modifier les conditions d’exploitation des matières premières dans ce territoire d’Afrique.

Est-ce suffisant pour le dédouaner ?

L’Histoire jugera.

En attendant, les dîners en ville bruissent d’informations plus futiles sur l’héritage fabuleux du roi.

Les milieux bien-pensants de notre capitale relèvent que les « 100 millions » ne partent pas totalement, loin de là, vers les enfants de la reine Marie-Henriette. Une (trop?) grosse partie semble revenir aussi aux deux rejetons de Blanche Delacroix, de cinquante ans la cadette du vieux souverain et dont celui-ci était tombé éperdument amoureux pour aller jusqu’à l’épouser et la faire baronne de Vaughan.

Cette fille de concierge a-t-elle eu ses garçons avec le roi ou avec quelqu’un d’autre ? Voilà LA question que se posent, ce jour, les collègues, les voisins et l’épicier d’en face. Question essentielle ?

L’Histoire jugera aussi.

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20 août 1909 : M comme Modern style

« C’est anglais mais on dirait des nouilles ! »

Les passants parisiens qui découvraient les toutes nouvelles entrées du Métropolitain édifiées par Hector Guimard n’étaient pas toujours tendres pour cette manifestation du « Modern style », pour cet Art nouveau qui avait pourtant pour but de réconcilier la technique et l’art.

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Une entrée de Métropolitain édifiée par Hector Guimard. Cet article est la suite de l’abécédaire sur notre époque commandée par la direction du  journal Le Temps.

Des fleurs, des tiges, du métal qui se tord en volutes multiples, des références incessantes à la nature, du verre teinté et monté en vitrail… l’Art nouveau plaisait à de nombreux jurys d’architecture mais peinait à conquérir le public français qui continuait à l’appeler « Modern-style » rappelant que l’un de ses premiers créateurs -William Morris – est anglais.

Un concept intéressant – faire rentrer l’art dans la vie quotidienne en rendant beaux les objets usuels et diffuser un style audacieux dans l’architecture qui irrigue ensuite la peinture et la sculpture – ne suffisait pas à séduire les yeux de nos compatriotes qui préféraient des lignes droites classiques ou des références explicites à l’Antiquité.

Autour de 1900, l’Art nouveau se répandait donc à Bruxelles, Munich, Nancy, Londres, Barcelone ou Prague et contournait trop souvent notre capitale récalcitrante.

Victor Horta restait en Belgique et il fallait parcourir de nombreux kilomètres pour visiter ses hôtels magnifiques.

Ces dernières années, les amateurs d’Art nouveau commençaient pourtant à se compter plus nombreux dans les grandes villes françaises. Trop tard. Les regards des collectionneurs avertis se tournent déjà vers d’autres formes d’art comme la peinture sous forme de cubes et le fauvisme, plus décoiffants encore.

Au moment où ce Modern Style commence à se démoder chez les mondains, il se diffuse dans les élégantes affiches de Mucha. Il préside à la rénovation de nombreux cafés et envahit nos intérieurs avec des objets dessinés directement par Emile Gallé ou Victor Prouvé ou, plus souvent, inspirés avec un bonheur variable, de leurs créations. Les illustrations de nos journaux ou les livres pour enfants sont envahis par des thèmes et une technique de dessin issus du Modern style.

Au moment où les élites se tournent vers d’autres écoles, les « nouilles » deviennent… un vrai plat populaire.

10 mars 1909 : Histoire belge

 » Notre Belgique ne va pas si bien que cela.  » Le chef de cabinet du prince Albert lâche des informations plus pessimistes que celles que je connaissais, lors de notre entretien de ce jour à Bruxelles.

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Le prince Albert, héritier du trône de Belgique et sa femme Elisabeth. Ils se sont rencontrés aux funérailles de la duchesse d’Alençon, tante d’Elisabeth, décédée lors de l’incendie du Bazar de la Charité.

Il reprend, sur le ton de la confidence :

– Le roi Léopold II règne depuis près de 45 ans, c’est long, trop long. Il est autoritaire, contesté…

Presque par réflexe, je défends le vieux souverain :

– C’est tout de même un souverain bâtisseur. C’est lui qui a embelli des villes comme Ostende ou Bruxelles. Sans son action volontariste, pas de serres de Laeken, pas de Parc ou d’Arcades du Cinquantenaire…

– Mon cher conseiller, tout cela date un peu. Ce sont des constructions dont l’achèvement remonte à plus de vingt ans.

– Oui, mais cela ne coûte pas un centime au contribuable grâce à votre système ingénieux de donation royale où le patrimoine cédé par le roi à la Belgique génère lui-même les revenus nécessaires à son entretien.

– C’est anecdotique. Les Belges sont préoccupés par autre chose, croyez-moi. Les Flamands regrettent la faible importance donnée à leur langue au sein des élites dirigeantes ; les ouvriers subissent des conditions de travail très dures dans l’industrie ; la richesse du pays est concentrée entre quelques centaines de familles ; le Congo est géré comme une gigantesque prison.

– Et votre Patron Albert apportera un remède à ces maux quand il arrivera au  pouvoir ?

– Albert prend très au sérieux son futur métier de roi. A 34 ans, il fait preuve d’une maturité exceptionnelle. Il a réfléchi et écrit sur les infrastructures du pays, sur l’enseignement ou le soutien aux artistes. Son intérêt pour la question sociale n’est plus à démontrer : les enfants d’ouvriers ou de pêcheurs bénéficient des oeuvres qu’il a créées.

Il a pris beaucoup de notes lors de son déplacement au Congo et a fait ensuite de violentes critiques à son oncle Léopold sur ce qui se passe là-bas. Son voyage aux Etats-Unis lui a ouvert les yeux sur d’autres façons de diriger un Etat. Il vit simplement, avec sa femme Elisabeth qu’il aime tendrement et ses trois enfants. Les Belges l’apprécient et attendent déjà beaucoup de lui.

– La France attend aussi beaucoup. Nous avons déjà eu des entretiens avec votre Administration et vos ministres sur la nécessité de renforcer l’armée belge. Les fortifications de Liège, Anvers et Namur ne nous rassurent pas pleinement sur votre capacité à résister à une invasion germanique.

– Mais, monsieur le conseiller, nous établissons le service militaire qui touchera progressivement un fils par famille. Nous modernisons notre armement. Le prince Albert le dit souvent : « un pays qui se défend, est un pays qui ne périt pas ! « 

9 mars 1909 : Tout va bien en Belgique

Ils sont un peu plus de sept millions et a priori, nagent dans le bonheur. Ils possèdent le réseau de chemin de fer le plus dense du monde, s’affichent parmi les premiers dans la production de charbon et d’acier et se mettent cinq fois moins en grève que les Français. On estime leur richesse à 7000 francs-or par habitant.

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Le réseau de chemins de fer belge est le plus dense d’Europe…

Les Belges ont toutes les raisons pour être heureux.

Leur petit pays a parfaitement su tirer son épingle du jeu dans la révolution industrielle du siècle dernier et continue sur sa lancée, à l’abri derrière sa neutralité qui la met à égale distance de la France et de l’Allemagne.

Bruxelles, Charleroi, Liège… la Wallonie et les zones de langue française captent -grâce notamment à leur sous-sol – l’essentiel de cette richesse et la main d’oeuvre flamande doit se déplacer vers ces régions pour travailler.

L’abondance facilite la résolution des difficultés.

Les Flamands se plaignaient que le néerlandais n’avait pas rang de langue nationale ? Les dirigeants – qui connaissent tous parfaitement la langue de Molière, même lorsqu’ils viennent d’Anvers, de Gand ou de Bruges – ont accédé à leur revendication.

La Belgique a fait voter de nombreuses lois sociales sur le travail de nuit, les accidents du travail, le repos dominical, l’interdiction du travail des enfants ou la suppression du livret ouvrier. Les ouvriers et paysans ont le droit de vote depuis 1894.

 » Oui, mais il y a un revers à cette médaille.  » Le chef de cabinet de l’héritier du trône, le prince Albert, que je rencontre aujourd’hui lors d’un déplacement à Bruxelles, semble assez critique sur les résultats obtenus par le roi Léopold II.

A suivre… 

8 et 9 aout 1908 : Apocalypse Congo

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Je viens de lire un texte terrible sur ce qui semble se passer dans le Congo dirigé par nos voisins belges :  » King Leopold’s Rule in Africa  » de E.D. Morel.

Ce que je lis me fait honte pour les hommes blancs colonisateurs que nous sommes.

Il est évoqué, dans ce pays sous gouvernement direct du Roi, un système très organisé de travail forcé permettant la production de l’ivoire et du caoutchouc.

Pour permettre le transfert de population vers les zones de production, sont pratiqués des déplacements massifs de familles entières entre provinces.

Des villages se vident de leurs habitants et d’autres connaissent le surpeuplement et la famine.

Victimes de mauvais traitements de la part de l’administration coloniale ( » la Force Publique » ), on ne compte plus les blessés ou les décès par épuisement.

L’opinion publique européenne commence à être sensibilisée sur cette situation. Des écrits de Mark Twain, de Arthur Conan Doyle viennent compléter le document de E.D. Morel.

Le Roi des Belges Léopold II oscille entre une reconnaissance sincère de la situation générant des mesures correctrices et la dénégation farouche.

Contrairement à certains officiels belges, je ne crois pas que tout ce qui s’écrit sur le Congo vient d’un complot britannique contre le Royaume de Belgique.

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Nous autres Français, devons rester modérés dans nos critiques. Les échos qui me parviennent sur les conditions de notre domination sur Brazzaville et le Congo français montrent que Paris ne semble guère plus humain que Bruxelles dans le traitement réservé aux ethnies locales.

Tout cela me fait penser à ce long récit, « Au Coeur Des Ténèbres », de Joseph Conrad. L’écrivain évoque ce jeune officier qui remonte un fleuve africain à la recherche d’un collecteur d’ivoire fascinant mais sombre, dont on est sans nouvelle : Kurtz.

Au fur et à mesure de son périple, l’officier, embauché par une compagnie commerciale belge, s’éloigne de toute civilisation et rencontre une humanité de plus en plus sauvage et primitive. Il s’enfonce au coeur de l’Afrique mystérieuse et découvre cette part obscure et cachée de l’homme.

Je me demande si la colonisation n’est pas un long voyage de tout l’Occident  » au coeur des ténèbres ». Expédition sans retour où nous risquons de perdre notre âme.

4 mai 1908 : Victor Horta ne viendra pas à Paris

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Victor Horta, les multiples reflets de l’intérieur de la Maison Solvay

Après la mission auprès des Jésuites à Antoing, une escale mi-professionnelle, mi-personnelle à Bruxelles.

Un rêve que j’essaie de transmettre à ma hiérarchie : faire travailler le grand architecte de l’Art nouveau, Victor Horta, à Paris.

Je sais que celui-ci est fort dépité de n’avoir reçu que peu de commandes royales. Le roi Léopold II ne semble guère attiré par cette forme d’architecture et préfère Alphonse Balat (l’ancien maître d’Horta) qui lui propose des oeuvres plus classiques. On reproche aussi à Horta de travailler trop seul et de refuser la collaboration d’autres décorateurs.

Notre artiste se console auprès d’une riche clientèle privée. De nouveaux quartiers de Bruxelles sont maintenant à la mode -l’avenue Louise ou l’avenue Palmerston – et les oeuvres d’Horta sont édifiées dans des espaces verdoyants et lumineux.

Les hôtels particuliers que l’on peut y admirer portent le nom de riches propriétaires avocats, financiers ou industriels, comme la Maison Solvay. Ces gens-là aiment recevoir et apprécient les entrées accueillantes, baignées de lumière, d’un style audacieux et élégant à la fois, que sait concevoir l’architecte.

Le nom d’Horta se répand très vite par le bouche à oreille, notamment dans la franc-maçonnerie de la ville.

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Victor Horta que je rencontre dans son cabinet de travail. 1908

Ma rencontre avec l’architecte a été un dialogue passionnant sur l’architecture, l’art, l’occupation de l’espace ou l’urbanisme.

Mais non, Horta ne viendra pas pour le moment à Paris.

 » J’ai des commandes par-dessus la tête et je peux même commencer à choisir mes clients. Il y a une dizaine d’années, j’ai eu la joie de dessiner la Maison du Peuple. Je souhaite construire d’autres bâtiments pour mes amis les « rouges » – je veux dire le Parti des travailleurs belges.

Je ne suis pas sûr d’être le bienvenu dans la capitale française avec mes idées très à gauche. Votre patron Clemenceau préfère envoyer les régiments de Dragons pour mater les ouvriers grévistes plutôt que d’écouter leurs revendications et d’élever leur esprit en mettant à leur portée l’Art populaire !  »

Pour voir les chefs-d’oeuvre de Victor Horta, les Français devront donc continuer à prendre le Paris-Bruxelles.

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Une salle à manger réalisée par Horta.  Le magasin Waucquez à Bruxelles

23 janvier 1908 : Deux jours à Bruxelles

Deux jours à Bruxelles. Il s’agit de continuer à tisser des liens de confiance avec les dirigeants de ce pays neutre protégeant notre frontière nord.

Les deux généraux (dont Joffre) qui m’accompagnent, multiplient les rendez-vous avec l’Etat major belge. L’aspect très technique des réunions et donc la faible valeur ajoutée que j’y apporte comme civil, me permet de m’éclipser et de me promener, le nez au vent, dans cette ville splendide.

La ville, dans sa partie haute, abrite une population aisée de langue française. Pour sa part, le centre ancien parle plutôt flamand et reste populaire, les ouvriers y croisent les artisans.

Pour faire oublier cette division spatiale et sociale, des architectes de grand talent ont bâti des maisons, des immeubles ou agrandi le Palais royal en mettant en oeuvre les principes de l’Art nouveau.

L’Hôtel Tassel de Victor Horta. A l’intérieur des créations d’Horta, le fer forgé et la fonte se mélangent et se plient en arabesques infinies, se perdant dans des espaces de vie baignés de lumière:

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Le Palais Stoclet de Joseph Hoffmann, en voie d’achèvement :

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Mais le moment unique a été notre visite privée dans la demeure royale où nous avons pu nous retrouver avec quelques diplomates, pour admirer ces magnifiques Serres royales de  Laeken, d’Alphonse Balat. Obligé de me débattre professionnellement dans les méandres de l’Administration française pour faire prévaloir la volonté de G. Clemenceau, j’ai pu méditer la phrase favorite de ce grand architecte, épris de lumière et de légèreté :

« Simplifiez, simplifiez encore, simplifiez toujours et quand vous aurez tout simplifié, vous n’aurez pas encore assez simplifié. »

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Les Serres royales de  Laeken, d’Alphonse Balat

16 janvier 1908 : La France peut compter sur les Belges

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Le Palais Royal de Bruxelles

Sur le papier, il n’est pas ministre des affaires étrangères. Il se contente de la fonction de secrétaire général. Mais dans la réalité, c’est lui qui a la haute main sur la politique extérieure belge.

Le baron Léon van der Elst est venu s’entretenir aujourd’hui avec son homologue français, à Paris. Pour cette réunion qui porte sur les questions militaires, je représente G. Clemenceau et l’Etat major a détaché l’inspecteur permanent des écoles militaires, le général Joffre ainsi qu’un capitaine manifestement brillant mais inconnu, un certain Gamelin.

Comme représentant du Président du Conseil, j’oriente la réunion immédiatement sur les points que nous souhaitons éclaircir.

La Belgique voit sa neutralité garantie depuis 1839 par le traité de Londres. Si cette neutralité est respectée, notre frontière nord est garantie.

Pour autant, nous ne faisons guère confiance à notre voisin germain pour respecter cette règle internationale. Nos cousins belges seront-ils dès lors capables de contenir une invasion éventuelle ?

Le baron est convaincant dans son exposé. Il nous démontre longuement qu’avec une armée modeste mais décidée et bien entraînée, la Belgique peut opposer une résistance appréciable aux divisions de Guillaume II. Il évoque en outre les forts solidement armés surveillant la Meuse, le mouillage de mines dans le port d’Anvers ou la surveillance de tous les ponts dans le Limbourg.

Il insiste, en retour, auprès des militaires, pour que nos troupes ne livrent pas bataille en Belgique pour arrêter l’envahisseur dès les premiers jours du conflit, de peur d’indisposer les britanniques qui se posent en garants de la neutralité belge.

Je ne laisse pas Joffre réagir (je crains sa réaction spontanée de militaire partisan de l’offensive) et donne immédiatement cette assurance au nom de G. Clemenceau.

La suite de la conversation porte sur l’état des forces belges, leur équipement, leur formation. Je prends quelques notes et attends la fin de l’entretien, où il faudra aborder un deuxième point sensible, sans les militaires.

Au bout de deux heures, le moment fatidique arrive. Au niveau de la stratégie militaire, nous sommes sur la même longueur d’onde avec le royaume belge. Joffre et Gamelin repartent satisfaits et me laissent seul pour poser une question délicate :

 » – M. le Baron, le royaume compte-t-il prendre des mesures pour lutter contre l’évasion fiscale qui touche la France, au profit de la Belgique, depuis les réformes Caillaux (projet d’impôt sur le revenu …) ?

– Monsieur le conseiller, nos économies sont liées entre elles. Nous acceptons bien volontiers l’argent français officiel quand vous prenez possession d’une partie de la Société générale de Belgique ou que vous achetez des actions dans nos tramways ou nos réseaux électriques. Le royaume fait fructifier vos investissements, reconnaissez-le.

Dans le cadre d’un pays que nous voulons ouvert, l’argent français non officiel ne peut être soumis à contrôle. Le secret bancaire belge reste un principe absolu. ».

En réponse à cette affirmation, j’indique à mon interlocuteur que le Roi Léopold II devra donc attendre encore un peu avant d’être invité officiellement en France.

Devant le froncement de sourcil du baron, j’ajoute immédiatement que les visites privées royales pourront continuer, à Paris ou à Menton, comme à l’habitude.

Nous nous séparons ainsi bons amis.

Je pense qu’en cas de malheur, la France pourra compter sur les Belges.

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