19 novembre 1912 : Guinguette, Robinson et vin pétillant

Comment concilier l’envie d’être avec des amis, de sortir et boire un peu de vin blanc ensemble en écoutant de la musique et les souhaits de nos enfants qui rêvent de s’amuser ?  » Eh bien, filons à la guinguette Robinson !  » suggère ma femme.

Nous partons sur les bords de la Marne. Dans un arbre millénaire, sont perchées des cabanes que ne renierait pas Robinson Crusoé.

La guinguette dans les arbres au Plessis Robinson

On y mange, on y vide des verres de Guinguet, ce petit vin blanc frais pétillant longtemps produit vers Belleville. Notre amie Camille me confie :  » Un jour, il faudra que l’on s’arrête de consommer cette infâme piquette de région parisienne. Pour le même prix, du vin nantais ou d’Alsace pourrait faire l’affaire. A chaque fois que je bois du Guinguet, j’en ai les boyaux tout tordus !  »

Au même moment, les marmots montent et dévalent l’échelle qui nous relie au sol. Des rires et des cris souvent, des pleurs parfois : les souvenirs d’enfance se tissent maintenant, dans ces branches ou à même le sol jonché de feuilles mortes. L’épée de bois des uns  a-t-elle plus de pouvoirs que la baguette de fée ou de magicien des autres ? Dans les jeux et l’imagination se côtoient très bizarrement Robinson et Blanche-Neige, Merlin et Lupin. La guerre et la paix s’enchaînent sans morts réels, les champs de bataille se transforment vite en grands bals au château du roi si les filles arrivent à faire prévaloir leur point de vue sur celui des garçons plus bagarreurs.

 » Profitez bien de l’accordéon et de la voix de Régine, c’est notre dernier dimanche d’ouverture. La semaine prochaine, il fera sans doute trop froid et nous fermerons jusqu’à avril ou mai !  » fait observer le patron, poussant à la consommation.   » La voix de Régine…. » : la chanteuse sans grand talent de la guinguette me fait un effet semblable à celui du vin blanc pour Camille. Cette « agace tympans » tentent de vriller ses airs maintes fois entendus dans nos têtes distraites et nous rappelle de temps à autres qu’elle existe en poussant sa voix dans des aigus qu’elle devrait éviter de côtoyer autrement que seule, le matin, dans son bain.

Mais nous passons un bon moment. Derniers instants avant l’hiver. Ultimes rayons d’un soleil encore un peu chaud. Pierre et moi observons, complices, nos épouses. Elles sont belles et enjouées : j’aime les jolis plis de la robe de Nathalie et le châle bleu de Camille. Nous n’écoutons plus, tous les deux, que d’une oreille très distraite une conversation où s’échangent – il me semble – les impressions sur le dernier concert,  les adresses de modistes et les solutions pour faire faire les devoirs des enfants sans énervement.

 » Et toi, ton boulot ça va ?  » Pierre, attentif, me fait atterrir, bien malgré lui, avec un peu de brusquerie. D’un seul coup, la tête sévère de Poincaré tente de remplacer les douces images que j’avais à l’esprit jusqu’à présent. Je ne réponds pas et rejoint la discussion entre Camille et ma femme. Pierre a compris, il m’imite, sourit et hoche la tête :  » tu as raison. Nos épouses, elles, savent dételer… »

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Si vous aussi vous aimez « dételer » en vous réfugiant à la Belle Epoque, rejoignez le groupe des amis du site « Il y a un siècle «  !

 

16 octobre 1911 : Les Bretons et la mort qui s’annonce…

 » C’est vers trois heures du matin que j’ai entendu un grand bruit dans le grenier, le choc brutal d’un objet ou d’un corps qui tombe. Je me suis précipitée et je n’ai rien trouvé. Le silence était revenu dans l’immense pièce. Mais je ne cessais de penser à mon mari. Je le voyais presque. Il était comme devant moi, dans son ciré gris de marin  ; bizarrement, il grimaçait de douleur. Un mois après, j’apprenais qu’il était mort en mer, justement ce soir-là – le soir du grand bruit inexpliqué – pauv’homme, écrasé, coupé  en deux (elle fait le geste) par une corde du filet de pêche de son thonier. Voilà monsieur, ce que nous appelons, nous les Bretons, une « signifiance »…  » La vieille femme s’arrête de parler, étouffant un sanglot. La bonne du voisin reprend, explique cette fameuse « signifiance » :  » En Bretagne, la mort nous fait signe, elle s’annonce, surtout pour nous, les femmes de marin. Un arbre au milieu de nulle part, sans feuille, par un soir d’orage ; un chat noir qui vient miauler de façon agressive sous notre fenêtre ; un verre qui se brise dans la main, un meuble qui tombe… : autant de signes qui annoncent le malheur.  »

Un thonier en 1911

Avec mon panier de provisions à la main, dans l’escalier de l’immeuble parisien tout neuf où nous sommes, tous ces racontars de bonne femme paraissent loin, irréels et dérisoires. Une « signifiance » … et puis quoi encore ? Mon esprit cartésien, mon appétit pour les sciences m’éloignent de ce monde de légendes et de croyances.

La vieille femme de Cancale sent que je peine à la croire. Elle remet sa mèche de cheveux tout blancs derrière son oreille, redresse fièrement la tête et me jette : « Monsieur le fonctionnaire, quand vous mangerez votre poisson, la prochaine fois, pensez aux marins qui risquent leur vie pour vous. Pensez à mon homme parti si jeune…  »

Gêné, ne sachant quelle attitude adopter, je bredouille un « Voui madame, z’avez raison madame, je penserai, je penserai…  »

Je pousse enfin la porte de chez moi. Ma propre bonne me demande : « Ben alors monsieur, vous z’êtes décidé pour c’midi ? J’vous fait du poisson ou du poulet ?  »

Rêveur, je m’entends répondre :  » Du poulet, Augustine, du poulet… c’est mieux…  »

 

23 janvier 1911 : Comment féliciter ses enfants ?

Avoir un aîné, Nicolas, entrant bientôt au lycée et un benjamin proche des deux ans, conduit à féliciter mes enfants sur des thèmes sans beaucoup de points communs, au même moment !

Le grand tourne sa plume une dernière fois dans l’encrier et finit par boucler l’exercice de trigonométrie avec élégance, annonçant un résultat juste s’appuyant sur une démonstration rigoureuse. Bravo, lui dit-on, ma femme et moi, en applaudissant vigoureusement.

Le dernier, Alexis, tournant ses petites fesses une dernière fois sur son pot de chambre, finit par y laisser – c’est une première – le liquide jaunâtre tant attendu, après bien des efforts de notre part pour le convaincre. Bravo, lui dit-on aussi, ma femme et moi, avec le même enthousiasme.

La cadette Pauline sur les genoux de la bonne et un livre de lecture à la main, nous regarde un peu moqueuse. Pour les exploits de ses deux frères, elle tape aussi des mains avec un grand éclat de rire joyeux. Elle aura bientôt l’âge de raison et se demande si nous n’en faisons pas un peu trop. Elle montre le mot qu’elle peine à prononcer sur son ouvrage illustré : « exagérer », sans réaliser à quel vocable connu les lettres font référence. Après une brève réflexion, elle prononce correctement le passage difficile et s’exclame : « et moi, je n’ai pas droit à un grand bravo et des applaudissements ? »

Je demeure silencieux et lui écris, toujours pour l’entraîner bien sûr, ces quelques lignes, qu’elle déchiffre pas à pas : « Maman et Papa encouragent bruyamment Alexis et Nicolas qui en ont bien besoin. » A l’instant où la cadette arrive à lire l’adverbe difficile « Bruyamment » , ma femme et moi lâchons, dans un même élan, un grand « bravo Pauline ! »

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Auguste Renoir, La Lecture

Une bonne année 1911 ?

1910 est derrière nous, 1911 entre en scène. Les images de l’année qui s’achève défilent, en vrac : les inondations catastrophiques, les ballets russes, la mort de Tolstoï, la grande grève des cheminots, le changement de gouvernement…

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Notre pays de plus en plus policé s’est aperçu qu’il n’était pas à l’abri de la fureur des éléments. Mais à peine sauvé des eaux, il a su aussi s’ouvrir en grand sur le monde. Fascination pour l’Orient, le monde slave, les contes et légendes des steppes ou des forêts infiniment profondes.

La musique de Stravinsky étonne et détonne agréablement, la peinture se veut de moins en moins figurative, on découvre la puissance des rêves et Bergson montre un chemin qui n’est pas celui auquel Descartes nous avait habitué. Moins de science, de démonstrations logiques et plus d’instinct, d’irrationnel et d’exotisme. Le Dieu des catholiques a été chassé par la porte après des années de lutte anti-cléricale et ce sont des divinités d’ailleurs qui entrent par la fenêtre d’un Occident resté plus mystique que l’on ne le croit.

Et Olivier le Tigre dans tout cela ? La vie d’un homme plutôt heureux. Trois enfants très prenants mais si attachants ! L’aîné Nicolas rêve, à bientôt 15 ans, de piloter un aéroplane et en attendant, nous le poussons pour qu’il puisse entrer dans un grand lycée de Paris ; la cadette Pauline, 6 ans, très raisonnable, dévore déjà ses tout premiers livres et Alexis, 18 mois, continue à être le petit diablotin rieur, aux yeux bleus en amandes, mettant notre appartement sans dessus dessous.

Ma femme ? Elle a sans conteste commencé à épuiser les charmes de la vie au foyer. Elle qui avait su se faire remarquer comme assistante indispensable du sous directeur de la comptabilité, rue de Rivoli, elle reprendrait bien ses anciennes fonctions. La vie bourgeoise classique ne lui convient pas. Thé et petits gâteaux à cinq heures et discussions avec la bonne pour bâtir le menu du prochain déjeuner : non merci ! Je vais parler de tout cela avec le ministre Klotz. Peut-être la prendra-t-il à ses côtés.

Ma propre carrière ? Un moment menacée après le départ de mon protecteur Clemenceau, elle connaît un nouveau départ. D’abord méfiant, Briand apprécie maintenant mon expérience dans la gestion du ministère de l’Intérieur et met à profit mes bonnes relations avec les diplomates russes. Je regrette toujours le vieux Tigre ; ses traits d’esprit, son humour ravageur, ses colères sans lendemain me manquent mais je me fais à ce nouveau Patron, plus sobre, plus secret dans l’expression de ses sentiments. Birand a géré la grève des chemins de fer sans un mort, sans même une charge de cavalerie, évitant d’humilier l’adversaire. De la mesure, du sang froid, bref du grand art politique. Finalement, je suis assez fier de servir à ses côtés.

1911 s’annonce bien. Nos alliés russes et anglais sont solides, l’Allemagne nous respecte (enfin), les agriculteurs sont calmés, les ouvriers profitent de quelques avancées sociales. Une année tranquille s’annonce. J’en parlais avec une vieille dame en faisant la queue au bureau de poste. Elle m’a bizarrement attrapé la main en me glissant : « méfiez-vous de l’eau qui dort …. »

3 décembre 1910 : Le prix Fémina pour une bergère illettrée

Comment une pauvre bergère de Sologne, considérée comme illettrée, a-t-elle pu écrire un tel chef d’œuvre ?

Orpheline de mère, abandonnée par son père à l’âge de trois ans, Marguerite Audoux a grandi à l’orphelinat de l’hôpital général de Bourges. Elle devient, l’enfance juste passée, servante de ferme, bonne à tout faire, gardienne de troupeaux. Elle monte à Paris pour devenir couturière. Ses yeux malades l’obligent à trouver d’autres métiers qui ne peuvent la sortir de la pauvreté.

 

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La ferme de Berrué (devenue Villevieille dans « Marie-Claire ») où la petite Marguerite a vécu comme bergère

Dans son malheur, dans cette nuit noire qui n’en finit pas, Marguerite a un secret : elle écrit.

A l’aube, en fin de journée, quand elle se réveille la nuit. Des pages où elle décrit son quotidien de gosse abandonnée, où elle évoque le caractère des adultes qui peuplent sa vie de petite fille qui grandit et qui a peur dans le noir. Des phrases simples, un style limpide, imagé : « Je savais depuis longtemps que Bonne Néron ressemblait à un taureau, mais il me fut impossible de trouver à quelle bête ressemblait Madeleine. J’y pensais pendant plusieurs jours en repassant dans ma tête le nom de toutes les bêtes que je connaissais, et je finis par y renoncer »

Au fil des pages, on découvre avec le regard neutre et interrogateur d’une gamine de dix ans, la vie affective des bonnes sœurs, la solitude des vieux, la mort d’un cochon, les relations complexes entre paysans d’un même cru. Souvent, un sujet, un verbe et un seul complément nous transportent dans un univers très pur d’une femme à la sensibilité tout en finesse et au style dépouillé.On s’attache aux personnages, on veut connaître la suite, on sent l’odeur du dortoir de l’internat comme l’humus de la campagne au petit matin.

Octave Mirbeau a découvert par hasard le livre de Marguerite «  Marie Claire ». il l’a préfacé brillamment et a imposé le manuscrit à des éditeurs. Le bouche à oreille a fait le reste. 100 000 exemplaires vendus en quelques semaines. Le prix Fémina vient d’être décerné à cette romancière hors du commun qui invite ceux qui prennent une plume à toujours rester simples.

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Et si vous alliez sur le site des amis d’Il y a un siècle pour un petit moment de détente ? Les débuts de Max Linder au cinématographe…

28 novembre 1910 : La liste des filles à marier du Préfet

 « Ce qu’on me demande de valider est tout à fait décoiffant ! » Le pauvre préfet ne sait plus où se mettre. Il pensait que son premier poste à Mende, en Lozère, allait être une sinécure, il s’est trompé.

Il poursuit notre entretien : « En fait, les Mendois ont une idée par jour. Vous voulez connaître la dernière à laquelle je n’ai pas osé m’opposer ? » Avant de me confier son secret, il se lève et va refermer la porte de mon bureau. Et c’est presque sur un ton de comploteur qu’il poursuit : « L’exode rural fait de terribles saignées dans mon département. Les jeunes hommes partent tous et quittent non seulement la campagne mais aussi Mende pour trouver une place dans des villes plus grandes comme Rodez, Alès, Nîmes ou Montpellier. Résultat, les filles se retrouvent seules. Or, les jeunes femmes de Lozère, fort jolies, à l’esprit vif et enjoué, rêvent toutes, légitimement, d’un beau mariage. »

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La ville de Mende, une photographie prise dans les années 1910

Je regarde la pile de dossiers qui m’attendent et fait un signe au préfet pour qu’il en vienne aux faits.

« Monsieur le conseiller, les habitants de Mende, avec l’autorisation d’un arrêté municipal que je n’ai pas osé casser, font circuler des « appels à l’hymen ». Ce sont des listes de 200 filles de plus de 18 ans, célibataires, avec leurs noms et adresses qui sont envoyées par la poste à tous les hommes célibataires. Ces derniers sont, vous le devinez, ravis devant un tel choix. Qu’en pense le cabinet du ministre ? Ai-je eu raison de ne rien dire en découvrant cette curieuse initiative ? »

Entre deux analyses du Conseil d’État, trois arbitrages budgétaires et quatre réponses à des parlementaires sur des problèmes diplomatiques, agricoles ou militaires, j’avoue que je ne m’attendais pas à être saisi d’une telle question, a priori, bien futile. Mais je ne veux pas décourager le serviteur de la République assis en face de moi et qui semble mettre tout son cœur à veiller aux intérêts des Lozériens.

Je lui prodigue donc ces quelques conseils : « Dans vos décisions à venir, vous veillerez à favoriser l’émergence d’autres listes. Celles des jeunes hommes en âge de se marier méritent aussi d’être transmises aux demoiselles. En outre, avez-vous veillé à la diffusion de ces documents aux veuves et aux veufs, ainsi qu’aux vieux célibataires peut-être lassés de leur état ? »

Le préfet prend fébrilement des notes. Je pense, un instant, flatté, que pour lui, la parole du ministère est sacrée. Je poursuis donc, gonflé d’importance : « En revanche, dans l’objectif de brasser les classes sociales entre elles, vous vous opposerez à toute idée d’ajouter le montant de la dot en face du nom des jeunes femmes. » Le haut fonctionnaire me répond, pétri de bonne volonté : « Bien sûr, monsieur le conseiller. Surtout, n’encourageons pas cette vieille pratique contraire à notre principe républicain d’égalité. »

Le préfet et moi nous séparons par une poignée de main cordiale.

Après son départ, je retrouve, oubliée sur son fauteuil, une des listes dont il m’a parlé. En déchiffrant ce papier froissé un peu jauni, j’imagine, derrière ces deux cents noms autant de visages de jeunes femmes, habitants très loin, avec un fort dialecte et n’ayant jamais vu Paris. Je souris en pensant qu’elles ne se doutent pas un instant que leur destin a été discuté directement à la Présidence du Conseil, à deux pas du bureau d’Aristide Briand.

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Tout sur le savoir vivre à la Belle Epoque….

25 novembre 1910 : J’avale mon chapeau

« Les hommes déposent leur pardessus mais gardent leur chapeau à la main » Le manuel de savoir-vivre de la baronne Staffe est formel. On garde son couvre-chef lorsque l’on rend visite à quelqu’un. Je ne respectais pas jusqu’à présent ce précepte mais m’efforce, depuis, de suivre cet usage du monde . A grand-peine, il faut bien le reconnaître.

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En effet, il ne faut pas non plus « saluer en tenant son chapeau à la main » sous peine d’être grotesque et de donner l’impression que l’on mendie. Mais que fait-on de son chapeau à ce moment ? Peut-on le poser quelque part ? Sur un meuble ou un fauteuil ? La baronne Staffe répond sèchement : « …sans l’abandonner une minute ». Encombrant chapeau. Il tient (trop) chaud à la tête dehors et nous embarrasse dedans. Ah, si on pouvait l’avaler…

Je continue ma lecture de l’ouvrage de la délicieuse baronne : « Il ne faut présenter que l’extérieur du couvre-chef, montrer la coiffe est ridicule ». Pas simple de se concentrer pour garder l’objet toujours dans un sens, la coiffe contre le pantalon ou le corps, donc de la main gauche… pour pouvoir saluer tranquillement, de la droite.

A l’essai, ces règles me donnent – je le sens bien – un côté raide, maladroit et je surprends quelques sourires discrets de messieurs ou de dames beaucoup plus à l’aise que moi dans les salons.

Admettons que nous ayons fini, lassés, par poser le chapeau quelque part. Que fait-on quand on va d’un groupe à l’autre, au gré des conversations ? On reprend son chapeau et on le repose plus près du nouveau groupe ? Ou le laisse-t-on à son emplacement initial au risque de le confondre avec celui d’un autre convive qui a eu la même idée que nous ? Nos « melons » sont tous noirs et de formes semblables !

« Un homme n’a jamais trop de prévenance respectueuse pour une femme » reprend Mme Staffe. Pour moi, c’est cuit. Je ne pense plus qu’à mon chapeau…

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Les chapeaux ? J’en parle aussi dans cet article

22 novembre 1910 : Les bilboquets du fonctionnaire

« On m’avait dit que mon travail serait un jeu, je suis très déçu ! » Maurice Crougnard, zélé fonctionnaire à la préfecture de la Seine, a un rôle peu banal. Il se rend tous les jours dans la grande salle des enchères d’État de la rue des Écoles.

Et que met-il à prix, notre Maurice ? Les milliers de jouets dont les Parisiens ne veulent plus. Les bilboquets jetés négligemment dans les rues à faire trébucher les passants, les vieux diabolos abandonnés qui bloquent les bouches d’égouts, les solitaires qui ont perdu leurs boules et encombrent les immeubles vides : Ces jeux très à la mode dans les années 1880, ces objets que tous s’arrachaient et que les parents ramenaient à leurs enfants émerveillés. Rappelez-vous. Le Jardin du Luxembourg se transformait en cirque de plein air où se mettaient en scène toutes les adresses, où chaque enfant redoublait d’effort pour devenir le champion des jongleurs.

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Après l’effort du bilboquet ou du diabolo, venait, lors du retour à la maison, le soir venu, la concentration sur une partie de solitaire. Moment privilégié et calme pour montrer sa capacité à anticiper, bâtir et retenir des combinaisons pour vaincre ce vrai casse-tête avec élégance.

Maurice reprend, désabusé : « Tout cela est bien fini. Ces jouets ne se vendent plus. Même les aéroplanes en modèle réduit n’intéressent plus personne. Et moi, je dois essayer de faire partir tout cela au prix le plus élevé. Personne ne va lever la main, aucun objet ne dépassera les quatre sous ! Comment puis-je faire ? »

J’aime bien Maurice. Quand j’étais jeune chef de bureau Place Beauvau, il m’a appris ce que l’on n’apprend pas dans les livres. Et quand je prends mon café avec lui le matin, sur le zinc, j’ai envie de l’aider.

Je réfléchis et lâche : « Pourquoi ne pas faire comme pour le fameux jeu de patience fait de petits morceaux de bois illustrés découpés à assembler ? Ce jeu était bien oublié et revient aujourd’hui sous un terme anglais, sans avoir réellement changé. Si vous appelez cela « assemblage de morceaux de bois», personne n’en veut. Et si vous employez le mot magique d’outre-Manche voire d’outre Atlantique, de « puzzle », tout le monde se précipite et l’offre à ses enfants ! »

Maurice reprend un second café, tourne sa cuillère dans sa tasse, sceptique. Il se gratte la tête, passe sa main dans ses cheveux devenus tout blancs, pensif. Puis il s’exclame, avec son accent des faubourgs : « C’est bien ça l’problème. Si vous parlez pas l’english, d’nos jours, z’êtes un homme mort. Même caché dans les soupentes de la préfecture, on peut pas êt’ tranquille ! »

18 novembre 1910 : Les Français sont-ils sales ?

 « Il est une époque où se baigner jusqu’au cou était considéré comme païen ! » s’exclame une amie, Pauline de Broglie.

Moins d’un logement sur cent, à Paris, possède une baignoire. Un nombre très réduit vient de s’équiper de garde-robes hydrauliques, appelé aussi water closets, par des anglo-saxons beaucoup plus en avance. Nous sommes encore trop une capitale d’Ancien Régime où l’hygiène et la propreté corporelle laissent à désirer.

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Certains collègues peinent à comprendre (je le sens !) qu’un mois de mon salaire soit passé dans l’achat d’une baignoire en porcelaine, reliée au système d’eau courante dont nous sommes si fiers dans notre immeuble. Chez eux, un bidet suffit, complété par les bains publics. Se laver au bidet ? «… mais ce sont les femmes de petite vertu qui l’utilisent dans les maisons closes ! » s’écriait, il y a peu, ma femme, pour me convaincre d’investir dans une baignoire.

Notre bonne elle-même, à ses débuts, fréquentait assidument les bains « à quat’e sous », vulgaires baraques de planches, à même la rue et accueillant tout ce que Paris compte de pauvres gens ne pouvant sortir un franc ou deux pour les bains publics. Depuis, elle a l’autorisation d’utiliser notre bidet puis, maintenant, notre magnifique baignoire… quand Madame sort, l’après-midi.

Une simple promenade dans les rues de Paris amuse les diplomates anglais ou américains que j’accompagne parfois. Ils se révèlent beaucoup plus stricts que nous. Ils nous font remarquer nos tuyaux de fosses d’aisance bouchés et débordants, nos systèmes d’évacuation d’eaux usées défaillants et se répandant dans la rue sans que cela semble gêner les riverains. Dans un grand éclat de rire, ils se bouchent le nez en disant : « Vous les Français, peuple paysan… aimez encore bien les odeurs ! »

19 et 20 septembre 1910 : Trouville coquin

Le bain de mer devient coquin. Nous passons ce « week-end » (pour reprendre le nouveau mot anglais à la mode) à Trouville.

Tout a changé par rapport à la station balnéaire chic et sage de mon enfance. Le train de Paris y arrive vraiment plus vite et surtout, on commence à voir – ou plutôt deviner – des peaux nues et des corps !

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Trouville 1910

Les cabines de plages qui arrêtaient le regard laissent progressivement la place à des demoiselles assises dans le sable avec des jupes ou robes beaucoup plus légères qu’autrefois et de jeunes messieurs habillés d’un simple maillot imité du costume de l’Ecole de natation du Pont-Neuf de Paris : on leur voit les bras et le bas des jambes. Ce n’est pas la tenue la plus répandue mais elle devient majoritaire chez les jeunes gens.

Avec ma femme, nous regardons, un peu amusés, les uns et les autres se laisser aller au « flirt », un peu à l’écart des familles établies et des gamins en tenue de petit marin. Nonchalance, oeillades un peu appuyées entre garçons et filles, longues promenades côte à côte sur le rivage, les pieds dans l’eau… A l’approche de l’automne, Trouville garde un parfum de printemps.

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Le Trouville des années 1900

Le club des amis du site « Il y a un siècle » vous tend les bras ! A voir, une vidéo extraordinaire de Buffalo-Bill…

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