21 janvier 1911 ; Champagne : la coupe est pleine

Le champagne coule à flot mais dans la rue. Les verres s’entrechoquent mais jetés contre le mur. La révolte des vignerons en Champagne mousse et fait de drôles de bulles. Coalition des mécontents :

  • les vignerons de la Marne souhaitent que le champagne soit véritablement une appellation contrôlée et que les négociants cessent d’importer des récoltes du Midi voire d’Algérie ou de l’étranger.
  • Les vignerons de l’Aube craignent que leur département ne puisse plus produire le précieux breuvage et que leurs revenus -déjà faibles – s’effondrent.

En quelques mois, la tension est montée de façon spectaculaire. En fin d’année 1910, un rassemblement de 10 000 vignerons s’était déroulé dans le calme à Epernay. En ce début d’année 1911, les choses prennent une autre tournure.

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La révolte des vignerons en Champagne : le gouvernement décide d’envoyer la troupe

Récoltes répandues sur la chaussée, drapeau rouge hissé sur les mairies, maisons de négociants incendiées : la violence du mouvement commence à inquiéter le gouvernement qui organise une réunion de crise ce jour.

Il faut absolument éviter un embrasement généralisé semblable à celui de 1907 dans le Languedoc où la troupe – le fameux 17ème régiment d’infanterie – avait en partie fraternisé avec les émeutiers et où la vie locale avait frôlé la paralysie totale (grève de l’impôt et arrêt de toute activité économique).

Le plan que je propose aux ministres est adopté :

  • partie «carotte», nous faisons accélérer les débats à la Chambre pour qu’une loi sorte dès février prochain pour lutter efficacement contre la fraude vis à vis de l’origine des récoltes et l’interdiction des transports de vins étrangers. L’appellation Champagne doit être définitivement protégée.
  • partie «bâton», nous envoyons le 31ème régiment de dragons stationné à Epernay et réputé pour sa loyauté.

Le préfet reçoit des instructions précises pour mener des pourparlers de sortie de conflit avec les négociants et les vignerons.

Quand la réunion se termine, Briand commente : « Il va être aussi difficile de ramener le calme que de reboucher une bouteille de champagne !»

15 février 1910 : Sous la présidence d’un Président soûl

« Il paraît qu’il boit ! » Le Président a entendu la terrible phrase. Beaucoup plus fort qu’un chuchotement et suivi d’un ricanement : les deux élégantes croisées ce matin lors de sa promenade matinale avaient oublié toute discrétion et leurs propos étaient destinés à faire mal. Fallières a passé son chemin, faisant mine de ne pas avoir entendu. Machinalement, il a porté la main à son chapeau pour saluer mais sans pouvoir regarder les deux effrontées aux yeux moqueurs.

Ce soir, la gorgée de vin de Loupillon, servi en l’honneur de sa province natale, dans une soirée à l’Élysée, prend un goût bien amer. Armand Fallières, Président de la République, n’écoute plus la conversation autour de lui. La caricature qu’il a découvert dans la presse de ce soir, le concernant, l’obsède autant que la pénible rencontre de ce matin.

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Il réalise que les caricatures que l’on fait de lui ne sont pas aussi innocentes qu’il n’y paraît. A force de le représenter une ou deux bouteilles à la main, de comparer son corps trop gros avec celui d’une barrique, d’ajouter du rouge à son visage bien rempli, les dessinateurs ont fini par accréditer l’idée que le Président savait lever le coude voire avait un vrai problème avec l’alcool.

Depuis combien de temps parle-t-on dans son dos ? Qui plaisante de cela ? Des amis parlent-ils trop ? Cela va-t-il atteindre son épouse Jeanne qu’il souhaite préserver ? Il imagine le caricaturiste fignolant son œuvre : le salaud ! Pourquoi cette envie de salir ?

Armand Fallières repense à ce haut fonctionnaire qui l’imitait, il y a quelques années, pendant une réunion, en reprenant son accent caractéristique du Lot-et-Garonne et qui faisait rire toute une assemblée de chefs de bureau bien peignés, parisiens jusqu’au bout des ongles, sans se rendre compte qu’il passait à ce moment dans le couloir et qu’il entendait tout. Il imagine que ce chef de service a dû, depuis, enrichir son petit numéro en ajoutant toutes les blagues que l’on peut faire sur un alcoolique célèbre.

Ah ces Parisiens ! Ce soir, il les hait. Précieux, snobs, obséquieux en face, moqueurs dans le dos. Méprisants vis à vis de tous ceux qui sont nés au-delà des boulevards des Maréchaux. Ne supportant pas de voir arriver au pouvoir des hommes de toutes les régions de France, portés par un scrutin républicain qui favorise les départements agricoles.

On ne peut l’attaquer sur ses valeurs, sur son excellente connaissance de la machinerie parlementaire, sur sa capacité à bien choisir les Présidents du Conseil et à les aider judicieusement dans la composition de leurs ministères. On ne peut blâmer son ardeur inlassable à asseoir la Triple Entente, à renforcer les liens avec tous les pays qui peuvent protéger la France contre l’Allemagne. On ne peut donc toucher l’homme politique. La meute se déchaîne dès lors contre l’homme privé. La liberté de la presse, le désir des journaux de vendre à tout prix, la soif d’un public qui aime voir les puissants rabaissés, font le reste.

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La gorgée de Loupillon passe difficilement ce soir. Trop vert ce cru, amer, il racle la gorge. Il finit par faire mal au ventre.

« Ce vin est un tord-boyaux ! » finit par s’exclamer le Président en reposant son verre avec fracas.

« Donnez-moi de l’eau ! » ajoute-t-il furieux. Le maître d’hôtel s’approche en s’inclinant et lâche sur un ton faux de vile soumission : « Vous êtes sûr, monsieur le Président ? « 

Armand Fallières toise l’impertinent, avec un regard qui oublié toute sa bonté habituelle et complète d’une voix sourde, pleine de colère froide et contenue : «Oui, cher monsieur. De l’eau, je vous prie. Et, s’il vous plaît, arrêtez de lire la mauvaise presse. »

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24 novembre 1909 : Faut-il taxer les Bretons alcooliques ?

  « Les Bretons ne sont pas plus alcooliques que les autres ! » Je reçois une délégation de députés d’Ille-et-Vilaine et des Côtes-du-Nord furieux : un projet de taxation de la consommation de pommes à cidre vient d’être élaboré par le ministère des Finances. L’un des arguments employés par les zélés fonctionnaires de la rue de Rivoli pour justifier cette nouvelle imposition est la lutte contre l’alcoolisme qui serait plus répandu en Bretagne qu’ailleurs. Le dossier constitué par les services du ministre Cochery cite, pèle mêle, toute une série d’exemples jugés édifiants.

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Les Bretons et le cidre : une belle histoire…

Pendant les foires de Quimper, Saint-Brieuc, Vannes, Redon ou Rennes, le nombre d’animaux abandonnés par des paysans éméchés ne cesse de croître. On ne compte plus les petites annonces parues dans la presse locale où tel ou tel propriétaire ayant dessoulé, s’inquiète de savoir ce que sont devenus ses deux cochons ou sa vache noiraude. Les gendarmes confirment que les animaux errants se multiplient à chaque foire et qu’ils doivent réveiller leurs maîtres dormant, ivres, dans les fossés. Le rapport cite aussi les témoignages des cafetiers qui se félicitent que, pendant les offices du dimanche, leurs affaires marchent à plein régime. Les sorties latérales des églises sont très empruntées pendant le sermon, toujours dans le sens de la sortie, par la population masculine.

Je m’étonne du fait que l’on puisse parvenir à l’ébriété rapidement avec du cidre, dans une région où le vin reste rare. Le rapport répond à cette interrogation en page 17 en rappelant que le cidre est souvent mélangé à différentes eaux de vie locales et que son degré d’alcool en est augmenté d’autant. Les buveurs passent par des états successifs allant de la « lancette », puis la « zigzaguette » pour s’achever par la « tombette ».

Le document du ministère conclut sobrement : «  Pour en finir avec l’alcool en Bretagne et pour parvenir à un niveau de fiscalité égal au reste du territoire national, il faut taxer les pommes. »

Les députés bretons sont arrivés avec leurs chiffres : « L’Ille-et-Vilaine et les Côtes-du-Nord ne sont, certes, pas très bien classés en matière de consommation d’alcool mais nous n’occupons que les 71ème et 74ème places parmi les départements français. Autrement dit, vingt départements environ se révèlent pires que nous. La consommation se fait, dans notre région, pendant les fêtes et n’empêche pas nos valeureux paysans de travailler durement le reste du temps.

Si la mortalité est élevée dans nos villes ou nos campagnes, cela vient plus des conditions d’hygiène publique, encore déplorables, que de la boisson des habitants. La généralisation du « tout à l’égout », de l’eau courante, le ramassage régulier des ordures, la percée de fenêtres supplémentaires dans des maisons trop sombres et humides, vont améliorer l’espérance de vie de nos concitoyens. La taxation des pommes à cidre, quant à elle, n’apportera rien sauf des mécontentements. Vous savez que chez nous, les syndicats d’agriculteurs sont puissants et décidés !»

J’écoute attentivement mes interlocuteurs. A. Briand m’a donné des consignes claires d’apaisement : j’ai l’autorisation de désavouer les services de Cochery qui n’ont pas fait valider leurs propositions au préalable par la Présidence du Conseil. Je profite donc d’un silence pour glisser :

« Cet impôt sur les fruits du pressoir n’est qu’un projet, une étude. Il n’engage pas le gouvernement. Vous pouvez rassurer vos administrés ! »

Les députés sont ravis de ma réponse. L’atmosphère se détend d’un coup et pour me remercier de ce qu’ils appellent une « sage décision », ils sortent, séance tenante, une bouteille de cidre d’Argentré. « C’est le meilleur de la région. Nous le faisons avec, au moins, dix variétés de pommes différentes !» me disent-ils en me tendant une bolée.

Je réponds en souriant : « j’espère que vous n’allez pas aussi sortir une bouteille d’eau de vie ? »

La réponse fuse dans un grand éclat de rire : «  Mais non, pas tout de suite, Monsieur le conseiller. Nous attendons, pour cela, la fin de votre sermon et de sortir par la porte latérale de votre ministère ! »

16 mars 1909 : Confidences de la femme du Président

Elle porte des robes à la mode et n’a pas hésité à poser devant les photographes du Journal « L’Illustration ». Jeanne Fallières, née Bresson, est la femme du Président de la République depuis plus de quarante ans. A la suite de l’agression dont a été victime son mari il y a quelques mois, je suis chargé de la rencontrer, pour organiser sa protection.

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Madame Jeanne Fallières, première dame de France, son élégance discrète, ses manières simples…

 » Quand j’étends mon linge dans le jardin de l’Elysée, vous n’allez tout de même pas mettre deux policiers pour m’accompagner ? »

Ce n’est pas de l’ironie mais la question franche d’une femme très bien élevée mais aux façons restées simples.

Je la rassure sur l’intensité de la surveillance qui va peser sur elle. La Sûreté n’a pas les moyens de l’entourer d’une escouade permanente. Seules les grandes occasions -réceptions officielles, déplacements couverts par la presse, rencontres diplomatiques où elle accompagne son mari – justifieront la présence d’un ou deux fonctionnaires du ministère de l’Intérieur.

Tout le long de notre rencontre, elle demeure réservée et m’écoute comme une élève appliquée. Après une hésitation, elle finit par lâcher :

« Et pour les caricatures publiées dans la presse sur mon époux, vous ne pouvez pas faire quelque chose ? »

Elle évoque les dessins peu charitables qui remplissent les colonnes des journaux parisiens qui représentent notre Gascon de chef de l’Etat hilare, le regard satisfait, la bedaine bien remplie et un verre de vin de Loupillon – son coin d’origine – à la main.

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Fallières, « roi du Loupillon »

J’explique à la première dame de France que la presse est libre et que la position de son conjoint l’expose inévitablement à des critiques et à des charges venant des humoristes :

 » Madame, ce sont surtout les Parisiens un peu pédants qui se moquent. Le peuple des campagnes, lui, apprécie un Président qui sait lever le coude, aime la bonne chère et s’attache à rester proche des gens. Ces derniers sont rassurés de savoir qu’à la tête de l’Etat, il y a quelqu’un qui leur ressemble. »

Elle me répond, fataliste :

« Vous employez les mêmes arguments que mon mari. Que n’accepterait-on pas pour gagner ou conserver des électeurs !  »

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La première dame de France avec des amies à Loupillon

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Le couple présidentiel

19 janvier 1909 : Le scandale de l’arsenic dans le vin

– De l’arsenic dans le vin ? L’alcool est un délicieux poison mais pas à ce point !

Le directeur adjoint de cabinet prend un peu à la légère le compte rendu de mon entretien avec le professeur Mourreu, de l’Académie de médecine, qui met en garde la presse, l’opinion et les pouvoirs publics sur un nouveau danger lié au vin.

Pour protéger les vignes des attaques d’insectes et de parasites, certains vignerons utilisent une bouillie très efficace, l’arséniate de plomb, et répandent cette mixture sur toute leur propriété. Résultat : on retrouve de l’arsenic, ce poison très violent, même à petite dose, dans le vin que nous buvons.

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Nancy, la fête de la Vigne en 1909. Le vin est un vrai symbole de… longévité.

Le directeur reprend:

-Tout cela n’est pas bien sérieux. Pour que le mélange soit dangereux, il faudrait que les vendanges aient lieu juste après sa diffusion dans la vigne. Or, souvent, il se passe plusieurs semaines voire plusieurs mois entre les deux opérations. L’arsenic est donc dispersé par les eaux de pluie et par les vents. Dame Nature, dans son immensité, nous protège !

J’essaie de contre argumenter :

– Il y a pourtant des textes qui interdisent l’usage de produits à base d’arsenic. Il faudrait les faire appliquer. Le poison peut polluer les puits ou intoxiquer les ouvriers agricoles. Dans son laboratoire, le professeur Mourreu a placé des escargots au contact de vignes traitées à l’arséniate puis, il a analysé la chair des gastéropodes. Elle était fortement contaminée ! Pour l’être humain, les conséquences seraient identiques !

Le directeur, fatigué par la tournure prise par la conversation :

 » Ecoutez, nous ne sommes pas des escargots de Bourgogne. Notre organisme robuste peut se permettre d’absorber les très faibles doses d’arsenic que l’on détecte dans le vin mais aussi dans le jambon ou même dans le sel.

Il n’est pas question de faire sortir un nouveau texte à destination des vignerons ou de renforcer les contrôles. Les émeutes dans le Midi en 1907 constituent un très mauvais souvenir pour le gouvernement tout entier. Il convient d’éviter toute nouvelle action de notre part qui serait perçue comme une provocation vis à vis d’une profession fragilisée.

Les experts entre eux ne sont même pas d’accord. J’ai aussi reçu un médecin, le docteur Trabut, envoyé par des députés des régions viticoles. Il n’est pas aussi pessimiste que votre professeur Mourreu. Laissons les scientifiques débattre et évitons de nous mêler de tout cela. Il n’y a que des coups à prendre. Vous avez une liste de victimes de l’arsenic dans le vin ? Vous avez des malades en hôpital prêts à témoigner ? Vous voyez bien que non. Halte aux polémiques, laissons Mourreu avec ses peurs. Si on écoutaient les médecins, il faudrait arrêter tous les plaisirs de la vie ! »

Le dossier de l’arsenic dans le vin est clos. Cette boisson reste un monument national prioritaire et sacré. La santé des Français attendra.

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