5 janvier 1924 : Chanel ne paie pas ses dettes

Marie Laurencin est furieuse et tape nerveusement ses doigts sur la table en bois de son salon, comme un pianiste s’engageant avec passion dans un passage indiqué :  » Forte « .

 » Tu te rends compte, Olivier, le temps passé sur ce portrait ? J’y ai mis une énergie folle et je pense avoir obtenu un résultat satisfaisant. Je ne comprends pas la réaction de Coco [Chanel]. Elle a vu l’œuvre une fois, a décrété que ce n’était pas elle du tout et a tourné les talons, la tête haute. Avant même que j’ai pu répondre, elle avait quitté la pièce. Depuis, j’attends mon règlement, en vain. « 

Je connais Coco, son caractère bien trempé et surtout, je comprends que personne ne souhaite avoir un portrait de soi – de surcroît largement diffusé – que l’on ne perçoit pas comme fidèle. La qualité du peintre n’y est pour rien.

La toile de Marie demeure magnifique. J’y retrouve, certes, les traits de mon amie Coco. Mais… un corps peut-être encore plus mince, un regard moins volontaire, presque mélancolique, dont Coco me paraît, objectivement, peu coutumière. Bref, c’est un chef-d’œuvre dont Marie a le secret. Pour autant, je comprends que Coco n’adhère pas. Ce n’est pas vraiment elle.

Sans bien réfléchir, je propose à Marie de devenir l’heureux – et discret – acquéreur du tableau. Je sors mon carnet de chèques. Dans un souffle, soulagée de ne plus avoir  » travaillé pour rien « , elle acquiesce.

Je provoque, par cet achat  » coup de cœur  » de début d’année, le premier incident familial de 1924 : mes enfants me font remarquer, à juste titre, que nous avons fréquemment la visite de Coco. Et qu’il ne sera donc pas possible d’exposer son portrait détesté dans un endroit visible de notre appartement versaillais. Ce qui, vu la somme déboursée pour l’acquérir (second sujet de friction, cette fois-ci avec mon épouse), se révèle un peu aberrant !

Intérieurement navré de mon caractère impulsif liée à une peur, tout aussi irréfléchie, de tout conflit entre mes amies Marie et Coco, je compulse frénétiquement mon répertoire d’adresses. J’y recherche mon sauveur de ce bourbier où je me suis mis tout seul.

Qui pourrait être intéressé par le rachat du portrait de Coco… en s’engageant à ne surtout pas l’exposer ?

Parmi les marchands d’art qui me sont proches, j’hésite entre contacter Kahnweiler (si controversé depuis son attitude pendant la guerre) ou le plus discret Rosenberg.

Je sais que le second n’a, à ma connaissance, encore aucun contact avec Marie ni avec Coco. Je prends mon pardessus et décide de le rencontrer dans sa galerie, au 21 rue de la Boétie…

A suivre.

Portraire de Mademoiselle Chanel par Marie Laurencin
Coco Chanel en 1924

20 avril 1909 : « Appelez-moi Coco! »

« Mais enfin, offrez-lui un chapeau un peu original! Jetez un oeil sur celui-ci! » Le couvre-chef que l’on me tend descend sur le front, n’est pas imposant et a oublié les plumes d’autruche qu’aimait ma mère. Pourtant, sa forme assez peu commune se remarque vite. Il cache les cheveux mais magnifie le visage. Sombre à l’arrière, il est garni de motifs blancs et bleus avec de petites perles au-dessus d’une courte visière.

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Une jeune et jolie modiste me propose d’offrir un chapeau original à ma femme…

 » Votre femme peut faire du cheval avec… » me suggère la patronne du magasin.

– Mais mon épouse n’est plus jamais monté à cheval depuis sa tendre jeunesse.

– Peu importe, l’essentiel, c’est le style sportif, l’allure sobre et éloignée de ce qui se fait trop souvent dans le grand monde. Ce chapeau se porte avec une robe simple, sans tournure. La taille de votre femme se soulignera d’elle-même sans artifice inutile. Son visage – que j’imagine délicat – sera mis en valeur par ce chapeau qui convient à celles qui savent avoir un port de tête de reine.

La jeune modiste tire délicatement sur une cigarette de marque anglaise tout en me parlant. Jolie brune, un peu enjôleuse, elle plonge son regard noisette dans le mien et semble ne vouloir le retirer que lorsque j’aurai pris la décision d’acheter l’un de ses articles. Elle reprend :

– Tous les accessoires de mode dans ce magasin sont mes créations. Ils sont le reflet de ce j’aime porter quand je vis à Paris ou à Compiègne.

– Mais ce n’est pas trop élégant pour une promenade en forêt et… un peu désinvolte pour une sortie en ville ?

– Justement, le charme d’une femme moderne se distingue de cette façon !

Je finis par me décider pour le chapeau noir de la « cavalière ». Après qu’il ait été placé dans une volumineuse boîte en carton, avec un gros ruban noir et blanc, difficile à cacher quand je rentrerai au bureau, je sors mon chéquier :

– Je le rédige à l’ordre de « Gabrielle Chanel » ?

– Bien sûr. Mais, si vous revenez me voir seul, cher Monsieur, vous pourrez m’appeler par le petit surnom que me donnent certains amis gentlemen : « Coco ».

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Quand vous reviendrez, cher Monsieur, appelez-moi Coco…

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