25 novembre 1910 : J’avale mon chapeau

« Les hommes déposent leur pardessus mais gardent leur chapeau à la main » Le manuel de savoir-vivre de la baronne Staffe est formel. On garde son couvre-chef lorsque l’on rend visite à quelqu’un. Je ne respectais pas jusqu’à présent ce précepte mais m’efforce, depuis, de suivre cet usage du monde . A grand-peine, il faut bien le reconnaître.

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En effet, il ne faut pas non plus « saluer en tenant son chapeau à la main » sous peine d’être grotesque et de donner l’impression que l’on mendie. Mais que fait-on de son chapeau à ce moment ? Peut-on le poser quelque part ? Sur un meuble ou un fauteuil ? La baronne Staffe répond sèchement : « …sans l’abandonner une minute ». Encombrant chapeau. Il tient (trop) chaud à la tête dehors et nous embarrasse dedans. Ah, si on pouvait l’avaler…

Je continue ma lecture de l’ouvrage de la délicieuse baronne : « Il ne faut présenter que l’extérieur du couvre-chef, montrer la coiffe est ridicule ». Pas simple de se concentrer pour garder l’objet toujours dans un sens, la coiffe contre le pantalon ou le corps, donc de la main gauche… pour pouvoir saluer tranquillement, de la droite.

A l’essai, ces règles me donnent – je le sens bien – un côté raide, maladroit et je surprends quelques sourires discrets de messieurs ou de dames beaucoup plus à l’aise que moi dans les salons.

Admettons que nous ayons fini, lassés, par poser le chapeau quelque part. Que fait-on quand on va d’un groupe à l’autre, au gré des conversations ? On reprend son chapeau et on le repose plus près du nouveau groupe ? Ou le laisse-t-on à son emplacement initial au risque de le confondre avec celui d’un autre convive qui a eu la même idée que nous ? Nos « melons » sont tous noirs et de formes semblables !

« Un homme n’a jamais trop de prévenance respectueuse pour une femme » reprend Mme Staffe. Pour moi, c’est cuit. Je ne pense plus qu’à mon chapeau…

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Les chapeaux ? J’en parle aussi dans cet article

19 et 20 septembre 1910 : Trouville coquin

Le bain de mer devient coquin. Nous passons ce « week-end » (pour reprendre le nouveau mot anglais à la mode) à Trouville.

Tout a changé par rapport à la station balnéaire chic et sage de mon enfance. Le train de Paris y arrive vraiment plus vite et surtout, on commence à voir – ou plutôt deviner – des peaux nues et des corps !

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Trouville 1910

Les cabines de plages qui arrêtaient le regard laissent progressivement la place à des demoiselles assises dans le sable avec des jupes ou robes beaucoup plus légères qu’autrefois et de jeunes messieurs habillés d’un simple maillot imité du costume de l’Ecole de natation du Pont-Neuf de Paris : on leur voit les bras et le bas des jambes. Ce n’est pas la tenue la plus répandue mais elle devient majoritaire chez les jeunes gens.

Avec ma femme, nous regardons, un peu amusés, les uns et les autres se laisser aller au « flirt », un peu à l’écart des familles établies et des gamins en tenue de petit marin. Nonchalance, oeillades un peu appuyées entre garçons et filles, longues promenades côte à côte sur le rivage, les pieds dans l’eau… A l’approche de l’automne, Trouville garde un parfum de printemps.

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Le Trouville des années 1900

Le club des amis du site « Il y a un siècle » vous tend les bras ! A voir, une vidéo extraordinaire de Buffalo-Bill…

3 décembre 1909 : Je préfère les femmes « en cheveux »

Insupportable ! Je me penche à droite, puis à gauche. En me redressant complètement, j’arrive enfin à voir la scène et la pièce de Feydeau jouée ce soir à la Comédie Royale, rue de Caumartin. Je peste contre l’immense chapeau de la dame de devant : des fleurs et des plumes bizarres agencées de façon complexe, tout en hauteur. Il ne manque que les faux fruits qui ornent, en revanche, le couvre-chef de sa voisine.

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Les chapeaux magnifiques et spectaculaires des années 1900

Tout cela est exaspérant. Le théâtre a beau mettre dans son règlement intérieur que les chapeaux sont interdits dans la salle, les ouvreuses n’osent pas faire de réflexions à quelques grandes dames qui ignorent superbement cette disposition. Ces dernières n’imaginent pas de paraître tête nue, « en cheveux », dans la rue, au restaurant ou au théâtre.

Je suis à présent droit comme un « i » et profite d’un angle de vision retreint entre deux plumes de l’élégante de devant qui reste indifférente à ma gêne. Je reste ainsi un bon quart d’heure dans cette position raide qui me permet de ne pas rater les évolutions de la scène de ménage grotesque qui ouvre la pièce à succès « Feu la Mère de Madame ».

Soudain, une main gantée de blanc se pose délicatement sur mon épaule. Une jeune femme toute menue, assise derrière moi, me glisse à voix basse, à l’oreille, avec timidité mais aussi beaucoup de tact : « Pardon Monsieur de vous importuner. vous êtes grand, savez-vous. Pouvez-vous, si cela vous est possible, vous caler un peu dans votre fauteuil ? Vous serez mieux assis et je pourrai ainsi regarder la pièce. Votre tête dépasse très largement votre fauteuil et je ne vois, moi qui suis petite, malheureusement rien.»

Je pousse un profond soupir, réfléchis, pèse le pour et le contre, pour lui répondre enfin :

«  Ne craignez-rien, chère Madame, je sors ! »

Furieux, je dérange toute la rangée avec brusquerie puis quitte la salle… non sans avoir réclamé au vestiaire, sur un ton sec, mon beau chapeau melon.

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« Il y a 100 ans. 1910 » http://www.oeuvre-editions.fr/Il-y-a-100-ans  

29 octobre 1909 : Bon anniversaire Nathalie !

Ma femme réalise un rêve pour son anniversaire : acquérir la robe d’un jeune couturier créatif dont la réputation ne fait que croître. Nous sommes allés dans l’hôtel particulier de Paul Poiret, rue Pasquier. Nous avons volontairement oublié que nous n’étions pas grands bourgeois, qu’aucune rente confortable ne nous permettait de sortir de ce lieu sans dommage financier. Seuls le désir de plaire pour l’une et l’envie de faire plaisir pour l’autre, nous ont permis de franchir la porte de cet endroit qui nous était resté longtemps interdit.

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Paul Poiret, un grand couturier en pleine ascension

Poiret sait nous éblouir : vive les tailles hautes et les lignes droites qui s’épurent, fin des corsets, le corps de la femme qui retrouve sa liberté ! La tournure qui sert à rembourrer les hanches disparaît sans être remplacée par un autre artifice pénible à porter.

Pendant l’essayage, je discute avec le couturier. Il regrette presque que nous n’ayons pas attendu un an pour le rejoindre :

« Je suis sûr que l’avenir se trouve dans l’exotisme russe. L’arrivée des ballets de Diaghilev en France : voilà ma source d’inspiration actuelle ! Il faudra revenir me voir dès l’an prochain ! «

Nathalie est heureuse. Elle choisit cette robe du soir. Le bleu met en valeur ses cheveux et ses yeux. Elle tourne, se regarde dans la glace, sourit de découvrir dans le miroir mon regard admiratif.

poiret.1256796948.jpg Robe création Paul Poiret

Notre achat terminé, nous sortons finalement par le 107 rue du faubourg Saint-Honoré, après avoir traversé le jardin intérieur où Paul Poiret compte donner des fêtes somptueuses dès que les beaux jours arriveront.

Ma femme glisse sa main dans la mienne. J’oublie, à cet instant, toute préoccupation qui pourrait me distraire de ce moment de bonheur. Indifférents aux nombreux passants de ce trottoir très fréquenté, nous nous arrêtons pour échanger, complices, ce même long baiser qui a marqué le jour de notre rencontre…

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20 avril 1909 : « Appelez-moi Coco! »

« Mais enfin, offrez-lui un chapeau un peu original! Jetez un oeil sur celui-ci! » Le couvre-chef que l’on me tend descend sur le front, n’est pas imposant et a oublié les plumes d’autruche qu’aimait ma mère. Pourtant, sa forme assez peu commune se remarque vite. Il cache les cheveux mais magnifie le visage. Sombre à l’arrière, il est garni de motifs blancs et bleus avec de petites perles au-dessus d’une courte visière.

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Une jeune et jolie modiste me propose d’offrir un chapeau original à ma femme…

 » Votre femme peut faire du cheval avec… » me suggère la patronne du magasin.

– Mais mon épouse n’est plus jamais monté à cheval depuis sa tendre jeunesse.

– Peu importe, l’essentiel, c’est le style sportif, l’allure sobre et éloignée de ce qui se fait trop souvent dans le grand monde. Ce chapeau se porte avec une robe simple, sans tournure. La taille de votre femme se soulignera d’elle-même sans artifice inutile. Son visage – que j’imagine délicat – sera mis en valeur par ce chapeau qui convient à celles qui savent avoir un port de tête de reine.

La jeune modiste tire délicatement sur une cigarette de marque anglaise tout en me parlant. Jolie brune, un peu enjôleuse, elle plonge son regard noisette dans le mien et semble ne vouloir le retirer que lorsque j’aurai pris la décision d’acheter l’un de ses articles. Elle reprend :

– Tous les accessoires de mode dans ce magasin sont mes créations. Ils sont le reflet de ce j’aime porter quand je vis à Paris ou à Compiègne.

– Mais ce n’est pas trop élégant pour une promenade en forêt et… un peu désinvolte pour une sortie en ville ?

– Justement, le charme d’une femme moderne se distingue de cette façon !

Je finis par me décider pour le chapeau noir de la « cavalière ». Après qu’il ait été placé dans une volumineuse boîte en carton, avec un gros ruban noir et blanc, difficile à cacher quand je rentrerai au bureau, je sors mon chéquier :

– Je le rédige à l’ordre de « Gabrielle Chanel » ?

– Bien sûr. Mais, si vous revenez me voir seul, cher Monsieur, vous pourrez m’appeler par le petit surnom que me donnent certains amis gentlemen : « Coco ».

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Quand vous reviendrez, cher Monsieur, appelez-moi Coco…

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