Les discours de Jaurès et de Briand n’auront servi à rien. Le projet de loi débattu à partir de juillet 1908 qui avait pour objectif de faire abolir la peine de mort dans notre pays n’a pas obtenu de majorité à la Chambre en décembre dernier.
Pourtant, nous étions bien partis. Le clan des abolitionnistes avait marqué un point en lançant une procédure parlementaire tendant à supprimer la peine capitale et le Président Fallières avaient pris la décision de gracier tous les condamnés en attendant le vote final des députés. Résultats : pendant deux, trois ans, la guillotine – appelée aussi « les bois de justice » – avait été remisée et le bourreau national, Anatole Deibler, avait dû trouver un autre emploi.
Anatole Deibler, l’exécuteur en chef des arrêts criminels de France est le fils de Louis Deibler, lui-même bourreau et descendant de bourreau.
L’horrible affaire Soleilland a fait basculer l’opinion publique dans un sens défavorable à toute remise en cause de la peine capitale. Une petite fille de 11 ans violée et étranglée ! Comment discuter sereinement à la Chambre après un crime aussi épouvantable ?
Que reste-t-il du débat entre les députés ? Deux beaux comptes-rendus de séance du 3 juillet et 18 novembre 1908. Deux pages importantes de l’Histoire de notre pays où Barrès d’un côté, Jaurès et Briand de l’autre ont fait assaut d’éloquence pour convaincre et emporter l’adhésion. Deux conceptions de l’homme, du devoir du législateur et du juge. Deux visions de la société et de l’humanité.
Dans quelques jours, Deibler reprend son travail. Je suis chargé de fixer avec lui les conditions de ses relations avec la Presse. Je commence avec un peu d’ironie :
– Monsieur Deibler, alors, votre petite société reprend du service !
– Il n’y a pas de volonté de profit dans tout cela. Juste celle de servir la Loi, répond-il calmement en tirant sur sa cigarette.
– Vous tuez cependant ?
– Non, j’exécute. Nuance. Je suis le bras du juge, la lame tranchante de la société qui se protège. Je suis autant au côté de l’assassin que le prêtre qui lui donne les derniers sacrements. Je fais mon métier de façon humaine, avec compassion. Je ne fais pas les lois, je fais mon devoir. Vous remarquerez que pendant deux ans, je n’ai pas fait parler de moi, je n’ai pas pris position dans le débat sur la peine de mort alors que mon emploi en dépendait.
– Justement, pour l’avenir, vos relations avec les journaux…
– …n’existeront pas. Je n’ai pas de commentaires à faire à la presse. Je ne suis célèbre que par ce que je représente. On parle de moi avec effroi, avec horreur et souvent avec une délectation morbide. Je n’y suis pour rien. Je n’ai aucune relation avec les journalistes et je les laisse me transformer en symbole, malgré moi ou plutôt sans moi.
– Vous ne parlez à personne de ce que vous faites ?
– Je confie mes impressions à… de petits carnets d’écolier sur lesquels je note les crimes commis par les assassins et les détails de leur exécution. Ces cahiers sont personnels et secrets. Personne ne les lit.
Deibler me montre alors un exemplaire de ces documents : pages après pages, l’horreur de la peine de mort, les dernières paroles avant la fin, les derniers soupirs, les têtes qui roulent, le sang qui gicle des corps mutilés, le bruit mat des crânes qui tombent dans un panier en osier…
Satisfait de sa promesse de silence total (il me promet d’être muet « comme une tombe »), je serre la main de Deibler. Il me regarde en face et me lance :
– N’oubliez jamais : je suis comme vous, je représente la République et le peuple !
Merci pour votre blog.
J’aurais aimé quelques mots de Barrès pour le camper et percevoir un peu de l’atmosphère de l’époque.
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Le texte des débats, dont les interventions de Maurice Barrès en faveur de la peine de mort, sont ici :
http://www.ladocumentationfrancaise.fr/dossiers/abolition-peine-mort/debat1908.shtml
ou en version abrégée ici :
http://ww3.ac-poitiers.fr/lettres/Docpeda/LP/bacpro/Argument/Peine/seances/texte3.htm
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J’apprécie beaucoup votre blog. J’en arrive même à rechercher sur internet le devenir de certains de vos personnages saisis précisément à un instant donné. C’est le cas de Yuan Shikaï, devenu éphémère empereur de Chine. Je ne dirai rien de Charles de Gaulle…
En tous les cas, merci !
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