28 février 1909 : Naissance d’un monstre

L’homme est seul dans sa chambre. Il s’est levé tard, ne s’est pas rasé et consulte, paresseusement assis sur le rebord du lit, l’avant dernier numéro de la revue raciste viennoise Ostara. Ce torchon dirigé par Jörg Lanz expose des thèses simples : la « race blonde » doit prendre le pouvoir sur l’ensemble de la planète pour la protéger des fléaux du monde moderne et elle doit asservir les peuples « d’hommes bêtes » à la « peau sombre » qui véhiculent le socialisme, la démocratie et le féminisme.

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Vienne, dans les années 1900, un homme seul, mal rasé, dans un chambre, lit des revues racistes…

L’homme seul réfléchit. Il repense à cette rencontre d’hier avec un personnage « en long caftan avec des boucles de cheveux noirs ». Il se rappelle avoir eu pour la première fois de sa vie un mouvement de recul face à se représentant de la « race juive ». Il n’avait pas encore ce réflexe quand il vendait ses tableaux à Löffner ou quand Robinson lui donnaient quelques pièces pour finir ses fins de mois. « Y-aurait-il les bons juifs qu’il côtoie tous les jours et les mauvais qui traînent dans la rue? » Le pouvoir dirigeant l’Autriche est-il dominé par des races inférieures qui le mènent à la déchéance comme le prétendait le bourgmestre de Vienne Karl Lueger en marge de l’un de ses discours de début d’année ?

L’homme seul se lève. Il ne se lave pas. Trop fatigant pour aujourd’hui. Il regarde par la fenêtre les passants en bas de la Felberstrasse. « Des Allemands, des Juifs, des Hongrois, des Tchèques, des Roumains… une Babel ethnique. » Un mélange qui provoque son aversion. Il pense que la belle culture allemande va être emportée par ce flot de personnes sans attaches. En s’affalant à nouveau sur sa paillasse et en mettant sa tête dans ses mains, il se remémore précisément les scènes qu’il a vécues comme spectateur au Parlement. Ces discussions qui n’en finissent plus, ces députés polyglottes, ce pouvoir impérial qui se dilue dans cette « démocratie visqueuse » ; tout cela provoque chez lui un début de nausée.

L’homme seul a faim. Il n’ose pas aller revoir son ami Kubizek qui pourrait lui avancer ou lui donner quelques billets pour tenir. Il ne veut pas lui annoncer son second échec à l’examen d’entrée à l’Académie des beaux-arts. Il n’ose pas lui dire que ses espoirs de carrière artistique s’évanouissent peu à peu.

Notre homme sort. Il enfile un manteau miteux et est interpelé un peu rudement par son logeur alors qu’il descend l’escalier.

« Vous n’avez toujours pas remis votre fiche de police au concierge. Il me faut plus de garanties que vous allez payer régulièrement votre loyer. Redonnez-moi votre nom ! »

L’homme seul s’approche. Il a les cheveux crasseux et sa mine fait peine à voir. Il articule d’une voix faible :

– Pas de difficulté. Je vais vous dire qui je suis. Je m’appelle Adolf Hitler. « 

27 février 1909 : « J’ai vu Napoléon 1er en vrai ! « 

« Non, je ne veux pas de médecin, je suis en pleine santé !  » Claude Ermy, vénérable centenaire au Raincy, confond un instant le journaliste du Temps qui vient lui rendre visite avec un docteur. Dès que les présentations sont faites, M. Ermy redevient affable et souriant. Bonne mine, des cheveux blancs brillants, une voix encore claire, un regard qui pétille, il a cent-trois ans ? On lui en donnerait trente de moins.

Dans ses yeux peut se dérouler tout le XIXème siècle : la mort de Louis XVIII où il fait partie de ceux qui rendent un dernier hommage au roi en défilant devant son lit de parade  ; le sacre de Charles X en 1825 où il est impressionné par le nombre de gardes du corps entourant le souverain mal aimé.

Mais surtout :

« J’ai vu Napoléon 1er. Là, comme je vous vois ! Ah, quelle présence !  » Il évoque le passage de l’Empereur à Saulieu, lors de son retour de l’île d’Elbe en 1815. La foule qui acclame sur le perron de la mairie celui qu’elle considère comme un sauveur; le petit homme pressé qui donne des ordres secs à son entourage pour remonter vers Paris et consolider un pouvoir fragile ; les fonctionnaires cassés par le roi Louis XVIII -en fuite- qui proposent leurs services…  Il se souvient de ce pays qui semble alors reprendre espoir. « J’avais neuf ans. C’était un moment d’union, de joie et d’espérance extraordinaire. Seul Napoléon savait faire naître ces sentiments dans le peuple !  »

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Caricature anglaise décrivant Napoléon à l’île d’Elbe

Claude Ermy a eu une vie assez rude. Originaire du Morvan, ses « compatriotes de la région  » lui trouvent une place de garçon de café à Paris. Père de onze enfants, il en a perdu plusieurs en bas âge. A la mort de son père, lui qui est l’aîné, retourne dans son village natal pour élever ses derniers frères et soeurs.

Devenu ouvrier aux forges, il est victime d’un terrible accident du travail et voit ses doigts broyés entre les rouages d’une machine. On doit l’amputer de la main. Comme invalide, son ancienne fabrique lui verse, depuis, une pension mensuelle de 25 francs.  » Je vis avec. C’est peu. Il faut compter.  » Il reste sobre et digne sur cette question.

Depuis 18 ans déjà, il vit chez son petit fils, chef d’entreprise de fumisterie. Il raconte, à qui veut l’entendre, ce XIXème siècle dont nous sommes tous les héritiers.

A chaque fin d’anecdote, il puise avec délice, de sa main valide, dans sa tabatière. Est-ce là le secret de sa longévité ?

26 février 1909 : La France, chouchou des Etats-Unis

« C’est un homme qui respire l’intégrité. » Le chef d’Etat américain qui achève son mandat, Theodore Roosevelt, ne tarit pas d’éloges sur lui.

Il ajoute :  » L’ambassadeur Jusserand fait partie de ces fonctionnaires français très capables et il se situe parmi les plus doués de sa génération. Les promenades que nous faisons ensemble sont un vrai plaisir ».

Jean Jules Jusserand, ambassadeur de France à Washington, passe, exceptionnellement, quelques semaines à Paris. Avant qu’il soit reçu par le Président du Conseil, je fais le point rapidement avec lui.

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Son excellence Monsieur l’ambassadeur de France à Washington, Jean Jusserand. Un homme très apprécié du gouvernement américain depuis sa nomination il y a cinq ans.

Nous passons en revue les réussites de la politique de l’Etat fédéral :

– la lutte contre les grands trusts qui étouffaient la concurrence et empêchaient la baisse des prix ;

– la mise en place d’une marine puissante permet à Washington de faire entendre sa voix sur tous les dossiers internationaux ;

– la « politique du dollar » qui conduit à accroître les investissements américains à l’étranger ;

– la politique du « gros bâton » qui régente maintenant la vie sur tout le continent américain et empêche l’émergence de gouvernements d’Amérique latine qui seraient opposés au Etats-Unis ;

– la protection des espaces naturels avec la création et l’extension des grands parcs dans l’ouest du territoire.

Jusserand est un homme de grande culture. Parfaitement bilingue, il est publié régulièrement par les éditeurs américains qui s’arrachent ses oeuvres passionnantes et érudites sur le sport, la littérature anglaise ou l’histoire diplomatique. A 15 ans, il voulait s’engager dans l’armée française pour lutter contre les Prussiens lors de la guerre de 1870. Arrivé à l’âge adulte, il s’est rendu compte que les plus grandes victoires étaient celles remportées par les diplomates.

Grâce à des hommes comme lui, ces Etats-Unis qui ne cessent de grandir, nous considèrent comme un pays frère.

24 février 1909 : La crise économique est terminée !

La crise économique semble s’achever. Les bons chiffres sont là : 359 millions de francs d’exportations au mois de janvier dernier contre 318 au même mois de l’année précédente. Les importations progressent aussi et passent de 510 à 524 millions.

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Le bureau du ministre des Finances Joseph Caillaux, rue de Rivoli

Le chômage qui touchait une bonne partie de la population recule. Les carnets de commande des patrons se remplissent. Et le ministère des finances souligne que les rentrées fiscales se révèlent excellentes.

« Qu’avons-nous fait pour en arriver à ces résultats fameux ? » Je pose cette question à notre ministre des finances Caillaux. Il me répond avec beaucoup de franchise :

« Rien ! Nous n’avons rien fait. Tout au plus, nous n’avons pas mis le pays en guerre et nous avons essayé d’équilibrer le budget de l’Etat en étant économes des fonds publics. Mais fondamentalement, nous avons attendu que la crise se passe. Après les périodes de vaches maigres, viennent celles des vaches grasses. C’est comme dans la Bible. Il faut être patient.  »

Comme conseiller plus spécialement chargé du ministère de l’Intérieur, je suis impressionné par cette impuissance érigée en règle de conduite. A la place Beauvau, chaque affaire criminelle, chaque trouble à l’ordre public, doit recevoir une réponse des pouvoirs publics. A la question : « Que fait la police?  » Je ne peux jamais répondre :  » Rien ! » Et c’est pourtant la réponse que fait le ministre des finances pour son domaine.

Caillaux insiste :

– Ce n’est pas moi qui passe les commandes aux entreprises sauf pour les achats de matériel militaire ; ce n’est pas moi non plus qui prend les décisions d’embauche. Je ne fixe aucun prix, n’intervient pas à la Bourse, ne manipule pas la monnaie. En cas de malheur, je peux tout au plus accepter de délivrer des crédits pour les indigents… et encore, je préfère que ce soit les communes qui s’en chargent.

– Vous avez donc une vision très réductrice de votre rôle ?

– Mon cher conseiller, je sens votre ironie et vous savez que je n’ai pas la réputation d’être discret. Mais nous ne pouvons diriger tout ce qui se passe dans le pays ! Ce que les Français attendent de nous, c’est déjà que l’Etat soit correctement administré : pas de guerre, peu d’impôt, une police qui trouve les voleurs, une justice rapide, une école qui apprend à lire, écrire et compter. Pour le reste, nous laissons les patrons, les commerçants, les artisans, les ouvriers se débrouiller pour produire de la richesse.

– Pour vous, c’est cela l’Etat moderne ?

– Etat moderne ? Etat modeste !

23 février 1909 : L’université française fonctionne très bien

 » Notre université marche bien ». Le recteur Liard, grand patron de l’Université de Paris que je reçois aujourd’hui avec son adjoint chargé des finances, m’apparaît comme un homme heureux. Il se félicite de la loi de 1896 qui a donné son autonomie à la maison qu’il dirige. Il remercie l’Etat d’avoir significativement augmenté les salaires des professeurs qui rejoignent ceux versés dans les universités allemandes. Il souligne que le niveau des études et des recherches publiées n’a jamais été aussi élevé.

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La Sorbonne vient d’être entièrement rénovée par l’architecte Henri-Paul Nénot

« Nous vous remercions de votre soutien ! Grâce à vous, nous avons pu nous éloigner de la médiocrité intellectuelle du siècle dernier qui nous avait conduit, ni plus ni moins… à la défaite de Sedan! » ajoute-t-il pour rappeler que les universités ont maintenant la personnalité juridique et deviennent indépendantes.

Son adjoint  complète :  » nous pouvons recruter, dans chacune des facultés, les meilleurs enseignants de province. Et ce sont les professeurs chevronnés qui détectent les perles rares pour leur faire rejoindre la Sorbonne. Ce système d’autonomie des facultés a conduit aux recherches sur le radium par Curie, à la découverte de la photographie couleur par Lippmann, à celle du four électrique par Moissan. Nous invitons des personnalités étrangères prestigieuses comme Carnegie. Nos professeurs sont les invités permanents d’Harvard à Boston ou des universités d’Amérique latine. Ils forment depuis longtemps les élites égyptiennes et commencent à s’implanter à Prague. Sur 18 000 étudiants inscrits dans nos facultés, 4000 sont d’origine étrangère. Grâce à nous, c’est toute la France qui rayonne !  »

Je glisse à cet adjoint enthousiaste quelques questions sur les risques de la cooptation qui mène au mandarinat et à la sclérose ; j’émets quelques réserves sur la domination qu’exerce l’Université de Paris sur les établissements de province, je le pousse dans ses retranchements sur l’influence de l’érudition allemande qui nous éloigne d’une liberté de pensée bien française…

L’adjoint s’exclame, avec orgueil :

– L’Université, la « Nouvelle Sorbonne », n’est plus guère attaquée que par l’Action française, par les antisémites qui comptent le nombre de juifs dans nos rangs et par les antidreyfusards qui regrettent nos prises de position en faveur du capitaine pendant l’Affaire !  »

Je rétorque, vexé :  » je ne fais pas partie de ces trois catégories. Je représente en revanche un Etat et un gouvernement qui estiment avoir leur mot à dire sur le fonctionnement des facultés puisqu’ils les financent et qu’ils doivent veiller au respect de la volonté du peuple français. »

L’adjoint ne se démonte pas :

– Mais Monsieur le conseiller, l’Université n’est jamais aussi bonne que lorsqu’on lui fait confiance tout en lui donnant de vrais moyens pour fonctionner. Cela crée chez nous une volonté d’atteindre l’excellence dans chaque discipline et de nous mesurer aux meilleures institutions étrangères. Faites-nous confiance !

Je lui réponds, un peu désabusé :

– Avec notre instabilité ministérielle chronique, nous sommes bien obligés de vous faire confiance. Les ministres passent… Vous, vous restez !  » 

22 février 1909 : Blum fasciné par Jaurès

Il écoute, il boit ses paroles, ne pense jamais à le contredire. Socrate et Alcibiade ? Non, Jaurès et Blum.

Tout sépare les deux hommes. Le physique tout en puissance de Jaurès paraît écraser la minceur longiligne de Blum. Le cou de taureau du premier semble fait pour la lutte, le port de tête délicat du second prédispose plus à des joutes oratoires dans les salons. Jaurès bouillonne et fonce, Blum réfléchit avant d’agir.

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Jean Jaurès et Léon Blum, le maître et le disciple ; le premier a 50 ans, le second 36. Jaurès est un parlementaire célèbre et prestigieux… Blum n’est connu que par quelques lecteurs de critiques littéraires…et ses collègues fonctionnaires.

Ils se réunissent devant le temple du socialisme. Le plus âgé prend le second par la main, lui fait franchir le seuil et le présente aux grands Anciens qui fascinent le plus jeune. Alors que l’Internationale est chantée par une foule qui attend au dehors des messages de délivrance, Jaurès délivre à son disciple les paroles magiques qui peuvent enflammer le peuple. Il lui apprend les règles du combat politique et les devoirs du chef charismatique. Il lui fait sentir les rapports de force et le prix des luttes de classes.

Riches de l’enseignement transmis, ils ressortent tout deux du temple, main dans la main, face aux ouvriers victimes d’injustice, face aux obscurs de la mine et aux oubliés du capitalisme triomphant. Les regards qui se tournent vers eux expriment l’espérance de ceux qui ne veulent plus être trompés, de ceux qui rêvent de jours meilleurs pour leurs enfants. Le tribun et l’élégant juriste, le parlementaire redouté et le critique littéraire incisif, s’avancent accueillis par les vivats et les cris de joie. Ils lèvent les bras au ciel en faisant redoubler, à chaque mouvement, les hurlements d’une assemblée qui rentre en communion avec ces deux leaders.

Blum est heureux, il se sent porté par une vague qui ne peut se briser. Il a les yeux clos pour emmagasiner le plus de sensations possibles.

Les bruits s’éloignent, la lumière du vrai jour envahit la pièce.

Blum, maître des requêtes au Conseil d’Etat, se lève. Une heure après, dans un costume bien coupé, rasé de près, il franchit les portes de la prestigieuse institution et se surprend… à siffloter l’Internationale.

21 février 1909 : Polémique et mépris de la femme

« Nous voulons glorifier la guerre -seule hygiène du monde- le militarisme, le patriotisme, le geste destructeur des anarchistes, les belles idées pour lesquelles on meurt et le mépris de la femme. » Marinetti, auteur du manifeste du Futurisme, paru hier dans le Figaro, voulait créer la polémique. Il est servi.

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L’écrivain italien Marinetti veut choquer en publiant, dans Le Figaro », « le Manifeste du Futurisme ». La polémique enfle.

Dans l’esprit du grand public, la glorification de la modernité, de la vitesse ou du futur qui charpente, avec originalité, cette nouvelle vision de l’art s’efface devant l’apologie de la violence, de la guerre et du mépris de la femme qui surprend et finit par déplaire.

Marinetti voulait « choquer le bourgeois ». Il va plus loin et s’aliène aussi les avant-gardes, les féministes et finalement tout ceux qui veulent continuer à libéraliser notre société et s’affranchir de ses valeurs traditionnelles.

Marinetti, avec son bel accent italien, ne cesse de répéter qu’il s’agit d’un « gigantesque malentendu ». Le « mépris de la femme » signifie en fait un refus de son image romantique, alanguie et finalement décadente que véhicule la littérature actuelle. « Assez des histoires d’adultère, du bel amour latin, de l’obsession de la femme idéale… Il faut arrêter le sentimentalisme aussi rance qu’exténuant, voilà ce que j’ai voulu dire ! ».

Trop tard, le coup est parti. Les articles vengeurs, en réponse, se préparent. Les plumes s’aiguisent, se trempent dans le vitriol et l’encre rouge.

Rachilde, la célèbre féministe, prépare un article dans le Mercure de France et l’écrivain D’Annunzio note sur un carnet toutes les insultes pittoresques qui lui viennent à l’esprit quand il pense à Marinetti. Il est assez fier de celles-ci : « nullité tonnante. Crétin fluorescent avec quelques étincelles d’imbécillité « .

Dans le petit monde de l’art, en ce mois de février 1909, ça vole bas.

20 février 1909 : Quand Robin des Bois finance l’hôpital…

« Pour trouver les 66 millions de francs dont nous avons besoin chaque année, tous les moyens sont bons ! » Gustave Mesureur, directeur de l’Assistance publique de Paris, écarte les bras et les mains pour accentuer la force de ce qu’il vient de dire.

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Gustave Mesureur, 61 ans, est directeur de l’Assistance publique. Il est ancien député de la Seine, ancien ministre et membre éminent de la Grande Loge de France.

Nous avons rendez-vous pour examiner les sources de financement possible des 32000 lits des hôpitaux parisiens qui accueillent chaque année près de 270 000 malades. L’Assistance publique qui accueille les pauvres ne pouvant se soigner, a la réputation d’être riche : elle possède des terrains, des titres, des immeubles. Elle a des capitaux qui lui rapportent des intérêts, elle donne à bail des domaines, des maisons et des fermes.

Tout cela ne suffit pas : elle reçoit donc, en plus, des subventions municipales et départementales. Elle touche une part des bonis du Mont-de-Piété. La vente de terrain dans les cimetières se fait aussi en partie à son profit. « Ainsi, chaque mort finance un bébé qui naît!  » ajoute, pragmatique, notre directeur.

Pour équilibrer son budget, l’Assistance publique peut aussi compter sur une taxe originale : le « droit des pauvres ». Sur la région parisienne, tous les billets de spectacles, bals, concerts sont grevés d’une taxe qu’elle recouvre directement grâce à son service de perception. Ainsi, ceux qui s’amusent, se distraient, s’étourdissent dans les fêtes, financent et soulagent la pauvreté. 1 294 salles de concerts, théâtres ou cabarets sont régulièrement visités par les limiers de l’Assistance publique afin de vérifier que le droit des pauvres est bien acquitté.

– Monsieur le conseiller, ces agents qui s’assurent que les riches paient bien ce qu’ils doivent, sont un peu nos Robins des Bois !

– Mais d’autres sources de financement ne seraient-elles pas plus pertinentes ?

– Que voulez-vous dire ?

– Imaginez que tous les salaires soient soumis à une cotisation significative, perçue par des grands organismes de recouvrement… vos recettes seraient assurées !

– Nos dépenses sont infinies car on ne fait jamais assez pour la santé et pour soulager les pauvres. Vos idées de recettes sont les bienvenues mais elles ne seront sans doute pas suffisantes. Je suis pessimiste. Il y aura toujours un déficit… comment dire, un trou !

18 février 1909 : Le singe qui vole …

Depuis quelques jours, dans ce grand magasin de la rive droite, le manège d’un client inquiète les agents chargés de la surveillance. Celui-ci se promène dans les rayons, longuement et n’achète finalement jamais rien. Sa mise négligée laisse penser qu’il n’est guère aisé.

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Au Printemps Haussmann ou aux Galeries Lafayette, il se passe vraiment de drôles de choses avec des clients bizarres…

A la longue, les lentes et a priori inutiles déambulations de notre quidam au teint mat et aux lourds cheveux noirs, inquiètent. Il est alors prévu de le faire suivre discrètement et d’observer ses agissements.

Nous sommes mercredi, dans l’après midi, l’individu frôle les étalages d’une riche bijouterie. Un commis vient de reposer un magnifique collier de perle qu’une élégante cliente voulait examiner.

Soudain, un petit bruit bizarre fait sursauter les surveillants.

Le long bras d’un animal velu sort de la poche de l’homme mystérieux et s’empare avec une rapidité surprenante de cet objet de grande valeur.

Une dizaine de minutes plus tard, nous sommes devant l’étalage des bagues. Ce même agile bras poilu prolongé d’une main crochue se saisit de deux ou trois d’entre elles et les fait disparaître dans la grande poche de notre mystérieux inconnu.

A la suite de ce flagrant délit, les agents de surveillance prennent une décision. Ils attendent que l’homme quitte le magasin et avec l’aide d’agents de la sûreté, procèdent à son interpellation.

Quelle n’est pas leur surprise de trouver, dans la poche du manteau miteux du voleur, un magnifique ouistiti à la tête minuscule et aux yeux très éveillés !

En procédant à l’interrogatoire, ils découvrent que l’homme s’appelle Miguel Androvar, qu’il est Mexicain, saltimbanque habitant dans une roulotte à la Porte de Montreuil. Son singe est parfaitement dressé pour des missions toutes plus malhonnêtes les unes que les autres.

Androvar a été placé sous mandat de dépôt.

Son singe se demande, tout en jouant avec une pomme, au fond de sa fourrière, quand il pourra à nouveau exercer ses talents…

17 février 1909 : Mort de Geronimo, naissance d’une légende

 » Je suis né dans les prairies, là où les vents soufflent librement et où rien n’arrête la lumière du soleil. Je suis né là où il n’y a pas de barrière… » Le grand chef Geronimo, en mourant, a sans doute rejoint des plaines infinies et il lance son cheval fougueux sur les mille chemins glorieux que compte le paradis des Indiens.

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Le chef et ancien chaman Geronimo (son vrai nom est Go Khla Yeh) et ses fidèles guerriers Apaches : « j’ai été chauffé par le soleil, bercé par les vents et abrité par les arbres, comme tous les bébés indiens… »

Geronimo. Un nom de légende qui vient de la terreur de ses ennemis mexicains implorant « Saint Jérôme », en espagnol, quand ils combattaient contre les Apaches. Go Khla Yeh -celui qui baille –  son vrai nom a perdu plusieurs fois toute sa famille dans ses combats contre l’homme blanc. Il a atrocement souffert de cette perte et s’est vengé. « Geronimo, Geronimo !  » hurlait les soldats en s’enfuyant face à ce guerrier doué d’une force et d’un courage hors du commun.

Geronimo représente le combat de tout un peuple, les Apaches, pour ne pas disparaître. Parqués dans la réserve de San Carlos, sans ressource possible, balayée par les vents chauds du désert, le grand chef aide les siens à redresser la tête. Plusieurs fois, il se révolte et s’enfuit. Arrêté une fois, deux fois, trois fois, il s’évade, attaque les troupes gouvernementales à un contre dix, remporte des victoires inespérées dues à ses talents de tacticiens. Il vit de pillages et de raids meurtriers.

Il sait survivre dans des conditions extrêmes, avec quelques dizaines de fidèles, lorsque les 5000 hommes du général américain Nelson Miles le traquent sans pitié jusqu’à la frontière où 3000 soldats mexicains l’attendent aussi, armés jusqu’aux dents. Il échappe à tous les pièges, toutes les battues, protégé sans doute par ses prémonitions d’ancien chaman.

Au soir de sa vie, fatigué, il accepte de se rendre et finit par s’installer dans l’Oklahoma à Fort Sill. Il se convertit au christianisme et devient peu à peu une légende vivante en défendant, devant les journalistes du monde entier, la cause des Indiens.

Theodore Roosevelt est le premier homme politique au pouvoir à entendre vraiment son message et à envisager un traitement humanitaire, social et éducatif des tribus décimées par des dizaines d’années de mauvais traitements. Ce changement d’attitude du gouvernement fédéral est heureux mais il arrive bien tard… trop tard ?

Sur son lit de mort, Geronimo délivre à ceux qui veulent l’entendre, un message prémonitoire pour l’avenir de l’humanité :

« Quand le dernier arbre aura été abattu,

Quand la dernière rivière aura été empoisonnée,

Quand le dernier poisson aura été péché,

Alors, on saura que l’argent ne se mange pas. « 

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