11 septembre 1909 : Préfet à Angoulême ?

 » Mais cher ami, la préfectorale est faite pour vous !  » Je ne m’attendais pas à cette proposition d’Aristide Briand. Il poursuit :

« Je tiens à vous remercier pour avoir sauvé la négociation au sujet de la vente du dirigeable Clément Bayard à l’armée du tsar. Je vous prendrais bien dans mon cabinet mais décidément, les ennemis de Clemenceau sont encore trop virulents et votre arrivée serait vécue comme une provocation. D’aucuns jugeront que je suis inféodé à votre ancien patron.  »

Je rectifie : « notre ancien patron… »

Faisant semblant d’être sourd à cette remarque un peu impertinente, le Président du Conseil poursuit :  » Et si vous deveniez votre propre patron ? La préfectorale a besoin de fonctionnaires de votre trempe. Pragmatique, sens du concret, expérience des ministères, loyauté au parti radical, connaissance du maintien de l’ordre et sang-froid dans la résolution des situations difficiles. Vous avez les aptitudes pour prendre la tête d’une petite préfecture… pour vous faire la main, en attendant une poste plus prestigieux dans une grande ville. Vous connaissez Angoulême ? Je viens de muter le préfet actuel à Poitiers.  »

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Notre bonne ville d’Angoulême dans les années 1900

Je me recule et m’enfonce dans le fauteuil faisant face au bureau de Briand. Je sais que son temps est compté et qu’il va falloir me décider vite. Les idées s’entrechoquent dans ma tête. J’imagine les notables de Charente me donnant du respectueux « Monsieur le préfet »; je me vois ouvrir le bal annuel donné à la préfecture, sur mes deniers personnels, en ayant emprunté vaisselles et couverts à la famille et à des amis parisiens (les préfets sont très mal rémunérés et peinent à tenir leur rang sans une fortune personnelle). Je m’imagine inquiet à chaque fois que ma secrétaire me passera une communication du ministère en m’annonçant, solennellement : « c’est Paris ». Je compte mentalement mes alliés Place Beauvau qui me préviendront des mauvais coups ; je dresse la liste de ceux qui, au contraire, me savonneront la planche, consciencieusement. 

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Que devrais-je faire pour être « bien vu » de tel chef de bureau qui n’a jamais quitté le département de la Seine ou de tel adjoint obscur dans la hiérarchie du ministère mais tout puissant auprès des préfectures par ses pouvoirs dans la distribution des crédits de fonctionnement ?

Qui est le colonel de gendarmerie, le procureur en place ? Les sous-préfets locaux pourront-ils me seconder efficacement ? Je cherche le nom du secrétaire général que j’avais au téléphone, il y a peu. Malureau, Mazureau, Madereau… je ne sais plus. M’a-t-il laissé un bon souvenir ? Qui est maire d’Angoulême, qui préside le Conseil général ?

Briand observe ma perplexité, amusé, à l’abri de la tempête qui s’est abattue sous mon pauvre crâne. 

Je finis par lâcher, maladroitement, dans un souffle :

« Monsieur le président, je suis flatté par cette proposition. Je vais réfléchir. Puis-je vous donner une réponse demain ?  »

A suivre…. 

4 commentaires sur “11 septembre 1909 : Préfet à Angoulême ?

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  1. Et vive l’entreprise Clément Bayard, dont l’irascible voisin Coquerel a permis de fonder la théorie de l’abus de droit. Mais cela, vous nous en parlerez pour l’année 1915 !

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  2. Cher ami,

    un mot sur la préfectorale, puisque j’en suis. Vôtre analyse est bonne, mais je la complèterai sur trois petits points très positifs pour contrebalancer un peu votre propos.
    1. Le préfet à une mission d’aménagement du territoire comme rarement nous n’en avons eu et comme un jour prochain, n’en doutons pas, nous n’en aurons plus.
    2. Le préfet récolte pour prix de ses services, toutes sortes de distinctions plus prestigieuses les unes que les autres. Pour établir un parallèle avec mon cas personnel, en dehors de la légion d’honneur dont vous êtes déjà certainement décoré, du mérite agricole et de l’instruction publique, vous pourrez épingler rapidement à votre plastron, avec un peu d’entregent, l’ordre royal du Cambodge, du Medjidié, ou du Nichan-el-Anouar …
    3. Il en est plutôt question pour les sous-préfets, mais la préparation d’un discours d’ouverture de concours régional, pour peu qu’on soit à la campagne, donne lieu à bien des pages de poésie … relisez Alphonse Daudet !

    Votre dévoué,
    Octave Dardenne.

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  3. Bonjour
    merci beaucoup pour votre blog que je suis avec grand intérêt depuis plusieurs mois notamment les pages internationales. J’ignorais qu’il existait déjà des conseils généraux à votre époque : pouvez vous nous préciser – si vous en avez l’instant – quelles en étaient les compétences ?
    Merci d’avance

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