« Les ministres français offrent des sauces pernicieuses et des plats aux saveurs trompeuses, aux couleurs criardes, tout juste bon à exciter les sens et à faciliter leurs machinations. » Cette appréciation d’un diplomate du Foreign Office vis à vis de la diplomatie française date de 1898. Plus de dix ans après, l’ambassadeur anglais en France ne tarit pas d’éloges sur notre pays. Si les réceptions parisiennes continuent de faire rêver les étrangers et d’enchanter leurs papilles, notre pays a aussi gagné une réputation de respectabilité et de fiabilité sur la scène internationale. Un ministère peut savourer ce succès : le Quai d’Orsay.
Le Quai d’Orsay, siège du ministère des Affaires étrangères. Cet article est la suite de l’abécédaire sur notre époque commandé par le directeur du journal Le Temps.
Bâtir une diplomatie de la continuité avec des gouvernements instables, sortir la France de son isolement après le désastreux conflits de 1870, investir dans une relation de qualité avec les nouvelles puissances que sont les Etats-Unis ou le Japon et favoriser les investissements français dans les pays qui se développent. Les défis à relever par le ministère des Affaires étrangères ne manquent pas.
Les succès sont au rendez-vous comme l’Entente cordiale, l’expansion économique au Proche et Moyen-Orient et l’implantation coloniale en Afrique et en Indochine (gérées depuis 1894 par le ministère des Colonies). En face de ces réussites, les esprits chagrins pourraient évoquer des « échecs » comme la gestion calamiteuse de la crise de Fachoda ou les atermoiements fréquents sur le dossier marocain. Une analyse lucide conduira à plus de nuance dans la critique dans la mesure où le Quai a été peu écouté sur ces sujets et que les ministères de la Guerre, de la Marine ou les bureaux des Colonies, sans parler de la Présidence du Conseil, ont aussi largement contribué à une cacophonie peu propice à la prise de décisions cohérentes et sereines.
En 1909, le Quai dont les effectifs à Paris, en ambassades et consulats, sont maintenus à un niveau modeste de 700 à 800 postes environ (stable depuis trente ans), se redéploie pour favoriser l’essor de notre économie. Les attachés commerciaux viennent rejoindre leur collègues attachés militaires ou attachés navals nommés depuis plus longtemps qu’eux. Au Quai lui-même, les services sont réorganisés pour que l’action politique soit liée aux ambitions commerciales et réciproquement. Conquérir un marché sur un territoire est la première et nécessaire étape de la main-mise française sur une contrée. Le prestige de notre pays ne se mesure plus seulement au nombre de ses régiments mais aussi à sa capacité à entrer dans le capital des banques étrangères, à son aptitude à vendre ses matériels ferroviaires ou participer à la construction de routes, de ponts ou de barrages. La captation des ressources minières proche-orientales, africaines ou asiatiques revêt aussi une importance considérable pour une France qui manque de pétrole, de fer, de caoutchouc ou de métaux précieux. L’insuffisance de notre production charbonnière nous rend aussi dépendants de nos voisins belges, anglais ou allemands. Notre essor économique a donc besoin d’un climat de bonne entente avec le reste du monde. Le diplomate est l’indispensable soutien du marchand prospère.
Les tables fleuries qui charment les Américains, les filets de sole à la vénitienne dont raffolent les Russes, les homards à la parisienne plébiscités par les Anglais, les noisettes de poularde à la Rachel impressionnant les Japonais, continueront longtemps à être servis dans la salle des réceptions du Quai d’Orsay. Ces plats deviennent autant de préliminaires à de juteux contrats qui feront peut-être mentir Bismarck quand il disait que la diplomatie sans les armes, c’était la musique sans les instruments.