14 septembre 1909 : La tentation d’Angoulême

« Venez en Charente, on y rigole plus qu’à Paris !  » Auguste Mulac, député et maire d’Angoulême, ancien journaliste, se resserre un verre de cognac et me propose en riant de trinquer à la santé… « de la préfectorale. »

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Le député maire d’Angoulême, le jovial Auguste Mulac

« Mais vous savez qu’on les aime nos p’tits préfets. En Charente, soit ils débarquent tout jeunots et c’est un poste tremplin, soit ils achèvent leur carrière après des années comme sous-préfets. Eh bien, les jeunes comme les vieux, on les prend sous notre aile et on les arrose de Pineau avant de s’attaquer à un plat de Cagouille Petit Gris à la Charentaise servi dans nos assiettes en magnifique faïence de la ville. Au début réticents, ils finissent par ne plus pouvoir se passer de notre compagnie et défendent vigoureusement nos intérêts agricoles et viticoles à Paris. »

Mulac a la panse de ceux qui aiment la bonne chère ; de son gosier gourmand lui viennent les mots de la sympathie et de la joie de vivre. Fier d’avoir ramené sa circonscription dans le camp de la République traditionnelle après la tentation de Déroulède, il affiche avec badinerie ses idées centristes et modérées.  » Les vieux chênes comme moi abritent toujours avec bonheur les chevreaux audacieux comme vous. Mon garçon, venez brouter en Charente, l’herbe y est plus verte et les prédateurs parisiens n’y mettent jamais les pieds !  »

Il me vante l’efficacité d’une prière à la cathédrale Saint-Pierre ;  il m’affirme qu’une promenade le long des remparts, autour de la ville haute, après avoir remonté la rue des Acacias, l’emporte avantageusement sur la descente des Champs-Elysées. Il me décrit le sort réservé aux ouvriers de la papeterie « qui auraient bien besoin du soutien d’un fonctionnaire social comme vous. » Bref, il me donne envie de venir le rejoindre.

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La cathédrale Saint-Pierre, les remparts et la rue des Acacias à Angoulême

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Lâcher tout. Les ambassadeurs aux grands airs, les directeurs d’administration aux coeurs secs, les intrigues de Cour, les bruits de Chambre, les rumeurs journalistiques, les querelles entre ministres rivaux : renvoyer ce petit monde dos à dos, oublier les petites mares crapoteuses et enfiler les chaussons de feutre que l’on me tend obligeamment.

Le député Mulac sent que j’hésite. Il se fait soudain plus grave et prend doucement le ton du conteur :

 » Sur le chevet de la cathédrale Saint-Pierre, une frise représente deux chiens harcelant une biche. Autour de la scène, deux lions montent la garde, impassibles. Pour les Angoumoisins, cette sculpture symbolise l’âme soumise sans cesse à la tentation. Elle ne trouve finalement son salut que dans la foi. Aujourd’hui, il vous arrive la même chose, cher Olivier. Vous êtes tenté d’emprunter des chemins divergents. Vous ne savez que faire et votre regard trahit l’indécision. Personne d’autre que vous ne peut trancher à votre place et seules vos valeurs, ce que vous croyez au plus profond de vous-même – votre foi en un mot – peut vous aider à vous déterminer. Votre idéal guidera vos pas…  »

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Un long silence s’installe entre nous. Je détourne mon regard, un peu gêné mais sent mon interlocuteur bienveillant. Le député se caresse machinalement les moustaches avec sa main droite avant de la plonger dans sa poche pour en ressortir une vieille montre en argent.

 » Mon cher conseiller, le temps passe vite… je vous laisse. Je dois préparer la prochaine session parlementaire. Contactez Clemenceau. Demandez-lui ce qu’il en pense. »

Rentré au ministère, je fais adresser un télégramme à mon ancien patron. Le Tigre est à Bernouville mais répond assez vite aux messages venant de Paris.

Mon message est ainsi intitulé :

 » Monsieur le Président, j’hésite entre différentes voies professionnelles. Rester au ministère de l’Intérieur, partir comme Préfet à Angoulême ou rejoindre mon corps d’origine au Conseil d’Etat. Que feriez-vous à ma place ? »

Quelques heures après, me parvient cette belle mais peu éclairante réponse de Georges Clemenceau :

 » Il faut d’abord savoir ce que l’on veut ; il faut ensuite avoir le courage de le dire et enfin il faut l’énergie de le faire. »

En savoir plus sur le héros de ce journal, Olivier le Tigre

3 commentaires sur “14 septembre 1909 : La tentation d’Angoulême

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  1. C’est étrange mais je ne vous vois pas comme préfet. Votre connaissance des dossiers internationaux m’a largement séduit. Le ministère des affaires étrangères a continuellement besoin de chargé de mission. Bien que grillé auprès du ministre, le président du conseil sera bien aise de vous éloigner quelques temps. Il est également possible que les tensions remontent et le gouvernement aura besoin de votre expérience parce qu’au fond « les ambassadeurs aux grands airs, les directeurs d’administration aux coeurs secs, les intrigues de Cour, les bruits de Chambre, les rumeurs journalistiques, les querelles entre ministres rivaux » est peut être ce que vous avez toujours voulus…

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  2. Ah, les hommes et leurs carrières, leurs honneurs…avez-vous demandé l’avis de votre épouse (et de vos enfants)? Caprice moderne, peut-être, cependant il doivent vous suivre, et ont-ils vraiment envie de partir en province? A vos côtés, votre épouse va devoir y tenir un rôle de représentation, bien plus important qu’à Paris et toujours assujetti aux quodlibets impitoyables des honorations et notables du coin…et vos enfants, votre fils à qui aviez donné le nom du tsar! Y receveront-ils une éducation cosmopolite telle que vous leur la pourriez donner à Paris? Puis, il faudra déménager tous les 3 ans, dans un autre bout perdu de la France…Bien sûr, il y a des gens à qui la vie en province plaît, et il en faut, mais je ne vois pas votre épouse, parisienne, amoureuse de cinéma et d’art récent, « s’enterrer » là-bas…ni vous ! Quel programme que voici compromis!

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  3. La Charente est belle.
    On a beau dire qu’on s’y enterre…on y grandit, on y vit, on y est bien.
    (Meme si certains prédisent une dictatrice pour notre région dans 100 ans!)
    La France n’est pas que Paris et ses querelles, cette énergie perdue a des batailles de pouvoirs. La France c’est beaucoup mieux que ce qu’on en dit.

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