24 juin 1908 : La France aime les Turcs

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Yvan Aivazovsky (1817-1900)
Constantinople, la mosquée de Tophane

Je suis arrivé il y a quatre jours, par l’Orient Express, à Constantinople, dans le cadre de la mission secrète destinée à  “savoir ce qui se passe dans l’Empire Ottoman, faire des propositions pour réorganiser notre action diplomatique dans ce pays et mieux affirmer la place de la France”. Je suis reçu aujourd’hui au siège somptueux du Conseil de la Dette publique, présidée par un délégué français.

 » Nous sommes ici chez nous !  » s’écrie, ravi, Georges Marchand, délégué français au Conseil de la Dette Publique.

La Dette Publique, un Etat dans l’Etat. En 1875, l’Empire Ottoman a connu la banqueroute et, sous la pression de ses créanciers occidentaux, a dû ensuite créer cet organisme distinct de son ministère des finances, chargé de garantir le bon paiement des emprunts turcs. 

La Dette Publique a le monopole du commerce du sel, perçoit l’impôt sur les alcools, les soies, la pêche ou les tabacs. Elle est présidée, à tour de rôle, par un délégué français ou britannique. Petit détail : elle emploie à elle seule 6000 fonctionnaires répartis dans 750 agences sur tout le territoire ottoman.

Notre pays ne se contente pas de codiriger la Dette Publique. Il possède aussi l’essentiel de la Régie des tabacs et contrôle ainsi tous les revenus issus de cette production. Il possède enfin la majorité des capitaux de la Banque ottomane, principale institution financière turque.

Au fil des temps, la France est devenue le premier investisseur au sein de l’Empire du Sultan en dépassant largement l’Angleterre et sans être rattrapé par l’Allemagne.

La diplomatie turque utilise le français comme langue administrative ; Constantinople est le siège de plusieurs journaux turcs qui emploient la langue de Molière. Mon hôte achète chaque jour l’un d’entre eux : le Stamboul

 » Dans les écoles, dans les banques, dans les ambassades, dans le monde des affaires, au théâtre, on parle français, on pense, on raisonne en français. Partout, on peut payer avec l’argent français. Nous ne dépendons que des tribunaux parisiens. Nous sommes ici chez nous, je vous dis !  » . Georges Marchand est visiblement content de lui.

Je ne suis pas sûr que les Turcs  -fiers de leur civilisation et de leur nation multi séculaire  – apprécient comme cela la situation. Cette arrogance gauloise me gêne. Aucun peuple n’accepte durablement d’être dominé par un autre.

Dans mon carnet de voyage qui servira à faire mon rapport à G. Clemenceau, je note immédiatement cette simple idée :  » Etre, à l’avenir, plus humbles dans nos relations avec les Turcs  » .

2 commentaires sur “24 juin 1908 : La France aime les Turcs

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  1. Il serait peut-être bon d’être, en général, plus humble avec les autres peuples, mais ça n’est évidemment pas dans l’air du temps sarkozo-kouchnérien !
    Les relations de la France avec la Sublime Porte ont depuis longtemps été marquées par une attirance mutuelle, des « affinités électives » dirait l’autre.
    Depuis François Ier, au moins.
    Il y a eu les « turqueries » du Grand siècle, Bonaparte, etc.
    Le racisme, l' »islamophobie » contemporains, veulent faire naître un rejet stupide.
    On croirait revivre les pires moments des agressions contre les mineurs et les ouvriers Turcs du Nord et de l’Est…
    Mais il est probable que les adversaires de l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne ignorent tout du diwan, du « père des Turcs », d’Ismet Inonu, etc.
    Triste.

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    1. Excellent approche.
      En revanche depuis 2008 les choses sont tellement changées. Aujourd’hui la Turquie de Mustafa Kemal Ataturk et d’Ismet Inonu est en recul sur les acquis pour une démocratie réelle à laquelle la Turquie n’a jamais eu vraiment accès. Aujourd’hui c’est pire encore qu’hier. Un Fazil Say est mise en cause par les conservateurs et risque la condamnation. Constamment intimidé pour ces actes libertaire. (http://www.francetv.fr/culturebox/turquie-le-pianiste-fazil-say-menace-de-prison-98625). Des journalistes, des étudiants, enseignants et des personnalités civils sont jugé sans condamnation depuis des années et emprisonnés en attente d’un verdict qui ne se prononce pas etc.

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