20 octobre 1907: Rencontres avec les envoyés du chancelier prince de Bülow

 Guillaume II d'Allemagne

La signature des traités d’alliance avec l’Angleterre ne  nous met pas à l’abri d’un conflit avec nos voisins allemands.

Dans un sens, le rapprochement avec la Russie et l’Angleterre, pousse l’Allemagne à s’entendre de façon étroite avec son voisin autrichien.

L’Europe se retrouve ainsi divisée entre deux grands blocs, puissants industriellement et également ambitieux (même volonté coloniale, désirs rivaux de nouveaux débouchés pour produits manufacturés…). L’affrontement entre ces puissances serait désastreux compte tenu des moyens pouvant être engagés pour faire la guerre. C’est du moins l’analyse que nous faisons dans l’entourage du ministre.

C’est la raison pour laquelle nous ne désespérons pas de maintenir des relations correctes avec l’Allemagne…tout en préservant les intérêts français.

Pour explorer cette voie diplomatique étroite, nous avons provoqué des contacts informels et discrets avec des envoyés du chancelier prince von Bülow. Nous nous faisons expliquer le système de décision en vigueur au sein du Reich. Nous échangeons aussi sur les acquis sociaux dont bénéficient les allemands et qui doivent nous inspirer dans notre propre politique intérieure.

Si ces contacts restent très cordiaux d’un point de vue humain, nous restons pessimistes sur l’avenir des relations franco-allemandes.

Nos correspondants allemands nous décrivent, à mots couverts, leur chancelier comme intelligent mais présomptueux et cynique.

L’Empereur Guillaume et lui, nous disent-ils, font preuve de la même légèreté dans la conduite des affaires.

Pour autant, l’Allemagne mérite que l’on s’y intéresse: Les produits « made in Germany » sont de grande qualité (contrairement à se que pensaient les anglais lorsqu’ils inventèrent ce label), les caisses d’assurance sociale se développent, les tribunaux sociaux protègent les intérêts des travailleurs. Et je ne parle pas du foisonnement culturel de Berlin.

Non décidément, une guerre avec un tel voisin serait un désastre…

19 octobre 1907: L’enseignement pour les filles, 25 ans après, ce que nous devons à Camille Sée

  carte fantaisiesbergeret.free.fr

 En réunion au ministère de l’Instruction publique, j’ai eu la chance de croiser Camille Sée. Ce dernier, à l’origine de la loi du 21 décembre 1880 sur les lycées et collèges de jeunes fille, continue, comme membre du Conseil d’Etat (il a abandonné la vie politique) à arpenter les couloirs de l’administration.

Je l’ai reconnu tout de suite et j’ai pu échanger quelques mots avec lui, en lui faisant sentir l’admiration que j’ai pour son oeuvre.

En effet, à un moment où l’école laïque est vivement attaquée dans « L’Echo de Paris » ou « Le Gaulois », notamment par M. Barrès, il est réconfortant de constater que les pionniers de notre enseignement, qui a formé en 25 ans toute une génération de français, sont toujours bien en vie.

Ainsi, ma fille Pauline pourra bénéficier, quand elle sera plus grande, d’un enseignement de qualité et peut-être accéder à des fonctions de professeur.

Camille Sée m’a dit qu’il regrettait que le contenu des enseignements était toujours différent, en 1907, entre filles et garçons. Il a raison, nous devrions évoluer sur cette question. Les filles ne sont pas forcément « condamnées » à rester, lorsqu’elles se marient, à la maison. Il convient dès lors de leur enseigner autre chose que les savoirs faire ménagers. J’ai conscience que je suis un peu seul à penser cela…et je ne montre pas l’exemple puisque mon épouse reste aussi à la maison.

M. Sée m’a aussi confié qu’il avait mal vécu les attaques féroces d’une certaine presse et de l’opposition (voire d’une partie de la majorité) lorsqu’il s’était battu pour la créatrion des internats féminins, seuls à même, selon lui, de garantir un accès réel des jeunes filles des milieux peu fortunés, aux lycées.

Je lui ai indiqué que je veillerai à souffler son nom pour qu’il participe à toute commission de réforme de l’enseignement qui pourrait se créer.

En guise de remerciement, il a pris mon nom et mon adresse, pour me faire parvenir le journal dont il est le dirigeant: « La Revue de l’Enseignement Secondaire des Jeunes Filles ». Je n’en demandais pas tant et je ne suis pas sûr de lire cette feuille avec l’attention qu’elle mérite!

18 octobre 1907: Pas un sou pour les colonies?

 Colonies françaises en 1891 (Le Monde Illustré). 1. Panorama de Lac-Kaï, poste français de Chine.   2. Le Yun-nan, au quai d'Hanoï  3. Rue de Hanoï inondée   4. Embarcadère de Hanoï

« Pas un sou pour les colonies »: Celles-ci doivent « autofinancer » leur développement grâce à des impôts indirects portants sur les produits locaux. Cette doctrine officielle et soi-disant vertueuse me laisse un goût un peu amer.

Les colonies qui devraient accueillir notre oeuvre civilisatrice sont en fait dirigées par des hommes d’affaire…qui souhaitent faire de l’argent avant tout.

Et ces hommes d’affaire sont parties liées avec le pouvoir politique dont certains représentants investissent là-bas.

Léon Mougeot – le « seigneur Mougeot » l’appelle-t’on en Tunisie – grand propriétaire colonial et ancien ministre de l’agriculture, cohabite avec Albert Sarrault, sous secrétaire d’état et Justin Perchot, à la tête d’une entreprise de travaux publics…

Il n’y a rien de malhonnête là-dedans à ma connaissance…mais nous sommes loin du service public désintéressé.

Tout cela se fait dans « une bienveillante indifférence » (Gaston Doumergue) des parlementaires et de l’opinion publique.

Les populations de ces lointaines contrées qui attendent tant de notre pays y trouveront-elles leur compte?

J’en doute.

17 octobre 1907: Les révoltes du Languedoc: un mauvais souvenir?

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Ayant commencé ce journal en octobre, je n’ai pu raconter avec quel talent et détermination  mon Ministre a réussi à mettre fin à la révolte des vignerons dans le Languedoc, d’avril à juin dernier.

La crise de mévente du vin méridional avaient conduit, dès 1903,  de nombreux vignerons dans une situation délicate. Au même moment, dans cette région, des négociants s’étaient rendu coupables de fraudes scandaleuses…avec la tolérance ou la passivité d’une partie de l’administration.

Des meneurs ont émergés, pendant que les manifestations de désespoir des vignerons grossissaient, en 1906 puis en début d’année 1907. Les différentes professions ont commencés à rejoindre le mouvement en juin et quatre départements ont vu poindre un début de grève fiscale doublée d’une démission en masse des conseils municipaux.

C’est là que tout le talent de Georges Clémenceau intervient.

Dans un premier temps, il m’a demandé de rédiger à sa signature l’ordre de réquisition de la troupe et les départements du Languedoc ont été rapidement quadrillés par l’armée. Cela a permis de ramener, très progressivement, le calme…Il a fallu cependant déplorer plusieurs morts et blessés après des charges des cuirassiers.

Dans un second temps, les rapports de nos informateurs nous ont permis d’identifier les intentions du meneur, le cabaretier Marcelin Albert.

Ce dernier, fort en gueule, avait décidé de monter à Paris pour faire une entrée remarquée à l’Assemblée nationale.

Ne parvenant pas à ses fins (j’avais fait prévenir les gendarmes gardant le Parlement), il a accepté une invitation de mon Ministre.

Mielleux, charmeur, flatteur…je ne sais comment il s’y est pris, mais mon Ministre a réussi à convaincre Marcelin Albert d’arrêter le mouvement et lui a donné 100 francs pour son voyage de retour.

Celui-ci a accepté.

Erreur fatale…quelques heures plus tard, j’avais la consigne de prévenir les différents journaux que le Ministre avait une nouvelle d’importance à leur donner. Et les journaux se sont mis peu après à titrer sur Marcellin Albert « acceptant de renoncer à son mouvement pour 100 francs » ou « pleurant dans le bureau de Clemenceau ».

Après un tel discrédit, ce meneur traditionnellement si sûr de lui mais finalement bien naïf, s’est constitué prisonnier. Le mouvement a pris fin ensuite assez vite.

La récolte vinicole de cette année sera sans doute médiocre. La surproduction devrait donc diminuer.

 En liaison avec les services de M. Ruau, ministre de l’agriculture, nous mettons la dernière main à des mesures d’apaisement pour les vignerons (réglementation sur le mouillage ou la circulation des vins).

La révolte du Languedoc n’est donc, nous l’espérons, plus qu’un mauvais souvenir.

16 octobre 1907: Lire le Guide Michelin… à défaut de s’offrir une auto.

 Poster de 1898

Acheter une automobile n’est pas encore à la portée de ma bourse de fonctionnaire (j’économise cependant pour que nous puissions nous offrir un jour cet objet convoité par beaucoup).

En attendant, je me « délecte » à la lecture du Guide Michelin publié et soigneusement mis à jour chaque année depuis 1900.

Vu le nombre de conseils donnés sur le montage et le démontage des pneumatiques, j’ai l’impression que les chauffeurs passent leur temps à crever! De ce point de vue, il vaut mieux attendre avant d’acheter un véhicule; avec le temps et le progrès technique, les pneus gagneront en robustesse.

Certaines citations du livre ne manquent pas de souffle: « Cet ouvrage paraît avec le siècle, il durera autant que lui. L’automobilisme vient de naître, il se développera chaque année et le pneu avec lui, car le pneu est l’organe essentiel sans lequel l’automobilisme ne peut rouler ». Ce lyrisme laisse rêveur.

Le livre nous conseille de jolies routes, des hôtels charmants…Les connaisseurs des différentes régions décrites débattent à perte de vue de la pertinence des jugements (souvent définitifs) du guide.

Pour ma part, j’aimerais voir la tête des aubergistes qui apparaissent un année puis disparaissent l’année suivante du guide…surtout s’ils découvrent que leur principal concurrent a pris leur place!

15 octobre 1907: Il faut que je lise BERGSON!

 Henri Bergson

Certains collègues ou chefs ne cessent de me parler de ce professeur au collège de France qu’est Henri Bergson.

Son livre le plus récent, « L’Evolution Créatrice », a fait grand bruit dans le petit monde de ceux qui s’intéressent à la philosophie.

Dans un langage clair, il donne des armes à ceux qui se plaignent d’une époque où seule la science, le progrès technique comptent. Il explique que notre esprit n’est pas que matière mais aussi et surtout « élan vital ». Nos actes, notre personnalité ne sont pas le produit d’un déterminisme qui nous échappe mais d’une conscience et d’une liberté créatrice qui nous appartient.

Les scientifiques purs se trompent aussi en jugeant que des données comme le « temps » sont mesurables et uniformes. Chacun sait pourtant que l’impression de durée varie plus ou moins longuement en fonction de la joie ou de l’ennui que nous pouvons ressentir pendant l’instant que nous cherchons à mesurer. Il y une durée psychologique qui est celle que ma conscience éprouve. Cette durée, les savants sont impuissants à la mesurer..alors que chaque être humain peut la ressentir, la vivre.

La science a donc clairement des limites.

Ceux qui ont rencontré le professeur reviennent fascinés par son intelligence lumineuse, sa façon de parler littéraire et précise. Dans une France où l’on peine à voir Dieu autrement que comme une « tradition », il évoque les saints et les héros qui inventent des valeurs nouvelles, dans un amour des autres sans limites.

Dans ce monde de souffrance (le monde ouvrier…), de progrès technique qui ne profite pas à tous; dans ce monde menacé par la guerre…tout cela est rafraîchissant.

21 octobre 1907 : Libérez-nous du Paris de M. HAUSSMANN!

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Le célèbre Préfet Haussmann a certes permis l’éclosion d’un Paris plus aéré, avec des rues et des avenues dégagées. Les vieilles maisons insalubres ont été détruites au profit d’immeubles robustes avec des appartements plus habitables.

Mais le résultat esthétique n’est pas toujours à la hauteur. Les façades se ressemblent toutes, l’ennui guette l’observateur de ces nouveaux ensembles sans âmes, faits pour la spéculation immobilière mais éloignant les architectes originaux.

Au début de ce nouveau vingtième siècle, la tendance commence heureusement à s’inverser.

La Ville de Paris, imitant en cela la capitale belge, a lancé le « concours des façades » depuis 1898. Elle incite à plus de recherche, plus d’originalité de la part des promoteurs et architectes.

Le progrès technique favorise aussi l’émergence de nouveaux bâtiments étonnants. Par exemple, l’ascenceur se généralise et les étages du haut ne sont plus réservés au plus pauvres.

En outre, un décret de 1902 libère les inventions pour les parties hautes des immeubles.

Les résultats de ces efforts convergents ne se font pas attendre et j’ai pu observer de forts belles constructions dans le 16ème arrondissement.

Je vous livre un exemple observé avenue Victor Hugo. L’architecte Charles Plumet nous propose un Art nouveau inspiré – très librement – du Gothique.

Nous allons rechercher un nouvel appartement dans un immeuble de ce style…peut-être celui-là? J’ai commencé ce jour à discuter avec le concierge pour savoir ce qui pouvait se libérer.

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13 octobre 1907: Rencontre avec Ambroise Vollard

Portrait d'Ambroise Vollard, Paul Cézanne, 1899.

Lors de ses promenades, mon épouse a repéré, rue Laffite, la galerie d’Ambroise Vollard, marchand d’art.

Nous y sommes retournés ensemble. Le mélange des artistes exposés est habile. Des artistes en vogue comme Maurin ou Bernard côtoient des inconnus comme Picasso, Matisse ou Vlaminck.

Mis à part les Cézanne que j’ai encore un peu de mal à apprécier (je progresse cependant), je découvre avec joie ces nouveaux talents.

En fait, au delà de la galerie proprement dit, c’est tout un univers qui s’ouvre à nous: Les artistes les plus anciens conseillent Ambroise Vollard qui a un vrai flair pour repérer des peintres de talent.

M. Vollard a des relations commerciales avec les galeries et marchands des autres grands pays européens: Angleterre (international Gallery de Knightbridge de Londres) mais aussi Allemagne (Munich, Berlin) et Autriche.

J’espère que nous serons bientôt invités lors des dîners qu’organise M. Vollard, dans une cave -et oui! – rue Laffite. S’y côtoient ceux qui percent dans l’art de notre époque…et la cuisine -coloniale – y est bonne. Si nous avons de la chance, nous pourrons y croiser Renoir!

12 octobre 1907: Le cinématographe

 Affiche de publicité pour le Cinématographe Lumière

Pendant mes heures de travail, mon épouse rencontre nos amis et relations. Elle le fait chez nous, un jour par semaine et le reste du temps, c’est elle qui se déplace chez nos différentes connaissances. Ces rencontres peuvent être ennuyeuses…mais tant que je travaille aussi près du ministre, nous ne pouvons nous permettre de nous couper de membres éminents de la bonne société parisienne.

Heureusement pour elle, ma femme peut aussi se détendre en découvrant cette attraction très nouvelle qu’est le cinématographe.

Dans les sous sols de cafés parisiens à la mode, elle assiste dès qu’elle le peut, à des séances impressionnantes où une « lampe magique » projette sur un drap blanc des images très réalistes de trains arrivant en gare (« on a l’impression que la locomotive fonce sur les spectateurs » m’a t’elle dit effrayée et… ravie) ou amusantes d’arroseurs se faisant eux-même arroser.

J’ai hâte de me rendre moi-aussi à ces séances avant que cette attraction, sans doute sans lendemain, disparaisse.

11 octobre 1907: Voler, enfin, grâce à Mrs. ADER et BLERIOT!

 L’Avion III de Clément Ader

Les services du ministère se renseignent actuellement sur les essais de vols de machines plus lourdes que l’air.

Le ministre a eu vent des essais de Clément Ader: L’armée a demandé à cet ingénieur génial de fabriquer des engins propulsés par des moteurs à vapeur.

Il semble que les appareils construits réussissent à décoller sur quelques mètres.

Le ministère de la Guerre qui a soutenu les premiers essais semblent maintenant se désintéresser du sujet. Ceci est regrettable, pense mon ministre. En effet, il ne faudrait pas que les allemands disposent un jour d’un appareil qui permettrait de survoler notre territoire et nos armées…sans que nous soyons en mesure de riposter.

M. Ader n’a pas l’autorisation de nous donner des informations sur ses travaux, couverts par le secret militaire. Même les interpellations répétées de mon ministre, Président du Conseil, à son collègue de la Guerre, se heurtent à des réponses vagues.L’Etat major s’enferme aussi dans le mutisme.

En attendant d’en savoir plus, nous suivons discrètement (nous avons des informateurs partout) les progrès de Louis Blériot.

Son appareil équipé d’un moteur à cylindre, actionnant une hélice à quatre pales, semble promis à un bel avenir. Lui aussi décolle sur une petite distance.

Tout cela fait rêver. Un jour, nous prendrons tous  » les plus lourds que l’air » pour nous rendre où nous voulons, comme des oiseaux.

En attendant, ces machines méritent de vrais perfectionnements… pour cesser d’être des cercueils volants.

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