30 novembre 1907 : Le calvaire du ministre des finances Caillaux

 Joseph Caillaux.jpg Joseph Caillaux

Voilà un dossier dont je suis content de ne pas m’occuper : Le projet de mise en place de l’impôt sur le revenu.

Mon patron suit cela de loin et laisse le ministre des finances, Joseph Caillaux, à la manoeuvre.

Si cela passe au Parlement, nous aurons un système fiscal modernisé et plus juste. Les « quatre vieilles » issues du Directoire – contribution foncière, impôt sur les portes et fenêtres, contribution mobilière et patente -ainsi que la contribution sur le revenu des valeurs mobilières, seraient remplacées par un impôt sur tous les revenus.

La taxe serait fixe, de 3 % sur tous les revenus du travail et de 4 % sur les revenus du capital.

Ceux qui gagnent bien leur vie paieraient un impôt complémentaire par tranche de revenu.

Bref, les gros salaires ne seraient plus exonérés et la rente d’Etat ne passerait plus à travers les mailles du filet.

C’est clair, c’est équitable, c’est moderne…

Et pourtant !

Que de débats à la Chambre et au Sénat ! Le mot « impôt » est, pour certains, un « gros mot » en soi. D’autres font leurs calculs et constatent qu’ils y perdent. Leurs protestations n’en sont que plus vives.

Quant à ceux qui gagnent à la mise en place de cette réforme, ils restent bien silencieux.

Joseph Caillaux n’a donc que des oppositions à son projet.

Cela affaiblit cet homme intelligent, ancien inspecteur des finances, brillant professeur à l’Ecole libre des  sciences politiques, qui pourrait devenir un redoutable concurrent de mon ministre.

A la réflexion, « être ministre de l’intérieur », cela mène plus sûrement en haut du cocotier !

29 novembre 1907 : Zeppelin et la puissante Allemagne

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Le premier vol d’un Zeppelin, en 1900, est suivi par de nombreux succès à partir de 1907

Nouvelle preuve de la puissance de notre voisin.

Les dirigeables et autres appareils volants plus légers que l’air commencent à faire leur preuve grâce à la persévérance du comte Ferdinand von Zeppelin.

Ce général et ingénieur construit des appareils massifs, solides qui pourront sans doute un jour transporter des passagers civils… ou militaires.

C’est sur ce dernier point que notre pays devrait rester vigilant.

Grâce aux frères Tissandier, nous avions su construire le premier dirigeable – « La France »  –  capable de revenir à son point de départ. C’était il y a plus de vingt ans.

Plus récemment, Alberto Santos Dumont a réussi un aller-retour entre Saint Cloud et la Tour Eiffel.

Pour autant, ces initiatives qui déclenchent un accueil enthousiaste du grand public, ne sont pas soutenues comme il le faudrait par l’Etat et notamment l’armée.

Connaissant un peu M. Santos Dumont, je sais que cela serait terrible pour lui que ses inventions (il construit maintenant des aéroplanes biplans plus lourds que l’air) soient reprises dans un cadre militaire et puisse devenir des appareils de destruction.

Pour autant, notre pays ne doit pas se laisser distancer par l’Allemagne.

Avec les Zeppelin, nous avons un concentré du savoir-faire germanique. Le Comte a une fortune personnelle qui lui permet de conduire ses recherches. Le grand public aide à financer par la mise en place…d’une loterie.

L’armée allemande, dont le comte a été l’un des officiers supérieurs, est attentive aux progrès enregistrés et envisage d’acheter les premiers modèles industriels.

Lorsque nous voyons ces Zeppelin, énormes masses, avancer dans le ciel, nous ne pouvons qu’être impressionnés.

Ne laissons pas les Allemands progresser seuls…

28 novembre 1907 : Campagnes, la fin des veillées ?

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Nous, les Parisiens, sommes souvent des provinciaux par nos attaches familiales. Nous gardons des contacts avec nos régions d’origine : Bretagne, Normandie, Auvergne, Sologne …

Nous préservons aussi dans un coin de notre coeur la nostalgie de tel ou tel aspect de la vie de nos villages.

Et nous sommes peinés quand nous constatons le déclin voire la disparition de traditions que nous aimions.

Il en va ainsi des veillées. Ces moments chaleureux associaient dans une grange, une étable ou une cave, trente à quarante villageois, voisins, frères ou cousins, des plus jeunes aux plus vieux. On chantait, on buvait, mangeait des chataignes ou des noix.

Les plus anciens échangeaient des souvenirs de guerre. Les enfants écoutaient, ébahis, des contes fantastiques destinés à parfaire leur éducation.

Les jeunes gens arrivaient à s’isoler pour  » roucouler  » ensemble. Les filles prêtes à marier préparaient leur trousseau.

Chacun échangeait sur l’actualité du village et sur les travaux à organiser de façon collective.

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Les femmes qui organisaient ces veillées d’antan doivent maintenant s’effacer devant l’essor des cafés et des cabarets.

Depuis la loi du 17 juillet 1880 qui supprime les autorisations préalables, ces lieux de boissons et de jeux, connaissent un développement considérable. On en compte parfois cinq à dix pour des villages de 500 âmes !

En outre, les jeunes commencent à utiliser la bicyclette et donc élargissent leurs possibilités de rencontre, sans avoir besoin des veillées.

Celles-ci disparaissent donc au profit de longues soirées au café, des bals ou des réunions festives n’associant que les jeunes.

Les hommes jouent aux cartes. Cézanne les a immortalisés. Et les femmes dans tout cela ? Doivent-elles attendre les bals pour sortir ?

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  » Les joueurs de cartes  » , par Cézanne

27 novembre 1907 : Puvis de Chavannes ; veiller sur la Paix

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 » Geneviève veillant sur Paris  » par Pierre Puvis de Chavannes

Une oeuvre, un symbole.

Cette sainte femme sereine veillant sur la capitale.

J’étais très jeune en 1870 et je n’ai aucun souvenir de notre pays envahi par les Prussiens. Pourtant, le souvenir de ce déshonneur, entretenu par mes parents, mes oncles et tantes, lors de longues discussions de famille, grave cette courte et lamentable guerre dans ma mémoire. Je ne l’ai pas vécue mais je l’ai subie.

Comme beaucoup d’autres compatriotes, je suis donc naturellement sensible à ce beau tableau, discrètement patriote, sans agressivité.

Paris se place sous la protection d’une Geneviève pacifique. Elle regarde au loin mais aussi à l’intérieur des murs. Paris a autant souffert des tentatives d’invasion que des révoltes et émeutes internes. Elle protège la capitale d’un ennemi étranger et barbare, venu de l’est, mais elle veille aussi sur nous. Elle s’efforce que nous ne nous déchirions pas en de vaines querelles entre Parisiens, entre Français. 

Sa main droite posée sur le mur est apaisante, rassurante. L’autre main qui caresse le voile se révèle plus sensuelle. Le visage trahit une grande détermination doublée d’une certaine tristesse.

 » La France demande à ceux qui la protège, beaucoup de sacrifices » suggère le peintre Puvis de Chavannes.

26 novembre 1907 : Les Poincaré, quelle famille !

 Poincare.jpg Henri Poincaré

Dîner en ville hier soir sans mon patron.

Ce dernier me charge de maintenir des liens – directs ou indirects – avec Raymond Poincaré. Il va de soi que j’occupe un poste trop modeste pour rencontrer seul le célèbre sénateur.

Je m’acquitte donc de ma mission en déjeunant régulièrement avec Lucien Poincaré, fonctionnaire comme moi et frère de Raymond.

Lucien (nous nous tutoyons) prend très à coeur ses fonctions d’inspecteur de l’instruction publique. Nous avons souvent de longs échanges de fin de repas sur ce qu’est l’école et surtout ce qu’elle devrait être.

Hier soir, la conversation a été plus scientifique et pour cause : Lucien m’a présenté son cousin Henri, mathématicien réputé.

J’avoue ne pas avoir tout compris, loin de là, les échanges. Il m’a semblé qu’on évoquait la relation entre l’espace, le temps, la masse des objets et leur vitesse de déplacement.

Mes interlocuteurs ont commenté les thèses d’un physicien allemand vivant en Suisse, à Berne, du nom d’Albert Einstein.

Les convives faisaient un vrai effort pour vulgariser et me permettre de suivre. Je n’ai finalement retenu que le  » temps «  ne semble pas être une donnée aussi immuable qu’il n’y paraît. En effet, des corps se déplaçant à des vitesses très différentes (l’un lentement, l’autre à une vitesse proche de celle de la lumière) ne vieillissent pas de façon identique. Le temps et l’espace se contractent. Et celui qui va le plus vite, reste le plus jeune… ou quelque chose comme cela.

A un moment de la soirée, j’ai complètement décroché. Pendant que Lucien et Henri écrivaient de longues équations sur un carnet, je réfléchissais aux liens que l’on pouvait faire entre ce que j’entendais ce soir et des théories d’autres domaines scientifiques.

Copernic nous a montré, il y a longtemps déjà, que notre Terre n’était pas au centre du monde. Darwin nous a replacé, nous les hommes, dans une chaîne d’évolution des espèces, à une place modeste. Le docteur Freud nous rappelle que notre conscience n’est que le reflet d’un ensemble inconscient plus vaste que nous maîtrisons mal. Et maintenant les mathématiciens démontent les notions d’espace et de temps !

Ces savants me donnent le tournis. Plus rien n’est sûr, tout est relatif.

Quand je suis sorti du restaurant, l’air frais du Paris de fin novembre, les bruits de circulation des derniers fiacres et omnibus m’ont fait du bien. Le retour au réel et aux choses simples du monde de tous les jours …

Mon patron peine souvent à comprendre les positions politiques de Raymond Poincaré. Je lui expliquerai qu’en fait, c’est toute sa famille qui manie des idées peu accessibles pour le commun des mortels !

24 novembre 1907: Pie X et la modernité

 Popepiusx.jpg Le pape Pie X

N’allant pas à la messe, aimant penser en toute liberté, je ne fais pas parti a priori de ceux qui soutiennent notre nouveau pape Pie X.

Les attaques dont fait l’objet le prêtre français Alfred Loisy, de la part du Vatican, m’inquiètent. Dans l’encyclique  » Pascendi Dominici « , le pape met en cause avec vigueur ceux qui défendent les thèses modernistes, comme le père Loisy. Le souverain pontife réfute la distinction entre le Christ de la Foi et le Christ historique. Il condamne ceux qui pensent que Jésus n’a pas voulu fonder une Eglise ou instituer des sacrements.

Il est dommage que les analyses ne puissent pas s’exprimer plus librement au sein de l’église catholique romaine. Idéalement, il faudrait que puissent cohabiter ceux qui pensent comme le Pape et ceux rejoignent les options d’Alfred Loisy, sans que les uns obligent les autres à se soumettre.

Notre monde qui bouge très vite a besoin de ceux qui réfléchissent très librement et s’affranchissent des dogmes. Il a aussi besoin de repères immobiles et de quelques certitudes rassurantes. Pourquoi devoir faire un choix entre une messe en latin dont l’impeccable ordonnancement ne bouge pas depuis des dizaines d’années et des écrits « révolutionnaires  » qui proposent de changer le monde ? 

On dit que le pape, sans véritable expérience internationale, suit son très jeune secrétaire d’état, brillant et polyglotte, Rafael Merry del Val. Ce dernier se révèle comme un homme très conservateur. Certains milieux radicaux prétendent qu’il déteste la France et les Français ; ce qui est sans doute exagéré et simpliste.

Les deux hommes se rejoignent pourtant dans un même profond refus de la loi française de séparation de l’Eglise et de l’Etat. Ils font tout pour qu’elle ne puisse porter ses fruits, notamment en refusant la formation d’associations cultuelles.

Je regrette beaucoup Léon XIII, disparu il y a quatre ans maintenant. Il avait su porter un regard critique sur notre capitalisme et défendre la classe ouvrière dans son encyclique « Rerum Novarum « .

S’il était toujours notre pape, je serais peut-être retourné à la messe !

22 novembre 1907: Salons douillets et usines galeuses

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Abram Jefimowitsch Archipow : « Les Laveuses »

Au chaud chaque jour dans mon ministère, je ne peux m’empêcher de penser parfois à la condition des ouvriers.

Curieux destin…

Vous naissez dans un quartier bourgeois, vous faites l’Ecole Libre des Sciences Politiques, vous réussissez le concours d’accès au Conseil d’Etat puis, vous fréquentez des endroits agréables près de ceux qui décident, vous avez des responsabilités, vous allez au théâtre, à l’opéra, votre logement est vaste, clair, bien chauffé… Vos enfants fréquentent des bonnes écoles et iront au lycée pour apprendre le latin et le grec.

Ou bien…

Vous naissez dans un logement insalubre à Saint Denis, vous apprenez à peine à lire et écrire, vous travaillez dès 12 ans. A l’âge adulte, vous abattez 12 heures de travail, six jours sur sept sous les ordres d’un contremaître pointilleux et détesté de tous qui peut vous infliger à tout moment des amendes qui se déduisent de votre maigre salaire. A 45 ans, vous êtes usé par les machines dangereuses, les cadences, le bruit et les odeurs d’une usine qui vous prend toute votre vie.

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Quand je suis invité à dîner dans une grande famille parisienne, au milieu de ces jolies femmes aux toilettes somptueuses, de ces messieurs élégants et contents d’eux, je pense à ces pauvres gens qui se lèveront tôt le lendemain, qui mettront toute leur force de travail au service de ces riches personnes qui m’invitent.

Pendant que le champagne coule à flots à la soirée de la duchesse de P… , l’ouvrier recompte les 10 francs qu’il gagne chaque jour. 4 francs partent pour sa nourriture et couvrent ses frais de transport. Il lui reste 6 francs pour se loger et subvenir aux besoins du reste de sa famille.

Oh, l’école n’a pas servi à grand chose à l’ouvrier auquel je pense. Sa femme n’a guère l’occasion de mettre en pratique les cours de cuisine qu’elle a suivis. Du pain, des pommes de terre, peu de viande, jamais de poisson. Tout cela ne demande pas de talent de cordon bleu.

Ses enfants sont maigres, le teint pâle. Ils n’apprendront pas le latin et le grec. Mais ils iront peut-être un jour grossir les rangs de la CGT.

Cette CGT qui parle de grève générale depuis l’an dernier.

Il faut que j’arrive à convaincre mon ministre que l’on ne pourra pas toujours envoyer la cavalerie contre ces forçats du monde du travail qui se révoltent.

La loi sur les accidents de travail de 1898, celle sur le repos hebdomadaire de l’an dernier, la création du ministère du travail confié à M. Viviani : tout cela va dans le bon sens. Il faut continuer. Et pas seulement pour donner meilleure conscience au fonctionnaire que je suis…

Une nouvelle génération attend beaucoup du siècle qui commence.

21 novembre 1907: Gallieni, le général  » honnête homme « 

  Le général Gallieni

Je suivais aujourd’hui mon ministre lors d’une promenade dans Paris en compagnie d’un général qu’il apprécie particulièrement : le général Gallieni.

Impressionnant le parcours de cet homme ! Les campagnes militaires pour agrandir notre empire colonial l’ont mené du Haut Niger au Soudan puis du Tonkin à Madagascar.

Il a su pacifier au profit de la France cette île immense. Ses méthodes sont fermes et certains lui reprochent une mise au pas brutale du gouvernement local. On me dit qu’il aurait fait procéder à plusieurs condamnations et exécutions.

Mon ministre remarque plutôt ses talents d’administrateur et sa bonne connaissance des peuples colonisés. Il veille à promouvoir les économies locales et l’accès à l’enseignement pour les enfants.

Ce qui me plaît chez ce général, c’est l’attitude qu’il a eu lorsqu’il était fait prisonnier pendant la guerre avec la Prusse en 1870.

Loin d’être abattu par son sort, il en a profité pour apprendre l’allemand et surtout pour commencer à observer toutes les méthodes de fonctionnement et d’organisation de l’administration prussienne et de son armée. Il est maintenant à même de comprendre la force de ceux qui pourraient redevenir nos adversaires un jour. Cela le guide beaucoup dans les conseils qu’il donne à des politiques comme G. Clemenceau.

Mon patron voit en lui un homme profondément libre, avec une personnalité originale, qui sait s’affranchir des règlements militaires pesants voire franchement idiots.

De façon surprenante, la conversation s’est achevée sur une analyse brillante du dernier roman du jeune et talentueux Gabriele D’Annunzio:  » L’Innocent  » .

Joseph Gallieni m’est apparu ainsi comme le type d’homme dont notre armée a besoin. Officier victorieux sur le  terrain, fin connaisseur des peuples à administrer, il sait pourtant quitter la sphère militaire pour se passionner pour le monde des lettres.

Un honnête homme de ce XXème siècle qui commence.

Un homme que mon ministre vient de nommer gouverneur militaire de Lyon et qui va aider le gouvernement à mieux préparer notre armée face au danger venant de l’est.

20 novembre 1907: L’odeur du sang

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 » Le Vampire  » par Edvard Munch

Nous vivons à une époque paradoxale. Jamais les rapports humains n’ont été aussi policés. Jamais l’idée de paix n’a fait autant de progrès. Jamais les droits de chaque homme n’ont été aussi préservés par la Loi.

Pour autant, le monde de l’Art et des Lettres imagine des rapports humains bien barbares. Et le public en redemande !

J’en veux pour preuve les vampires et le mythe de Dracula. Ce  comte roumain du XVème siècle ne se doutait sans doute pas de la célébrité qui allait être  la sienne quatre siècles plus tard.

Pourquoi un tel succès du livre de Bram Stoker qui ne cesse d’être réédité depuis dix ans ?

Fascination pour les pouvoirs surnaturels ou attirance pour la transgression ?

Que ce soit dans le tableau de Munch ou celui de Burne-Jones, on ne peut qu’être frappé par le plaisir que semble prendre la victime du vampire et l’abandon dont elle fait preuve.

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 » Le Vampire  » par Philip Burne-Jones

L’Angleterre tourne le dos à la pesante morale victorienne et entraîne le reste de l’Europe dans son sillage.

Je repense au livre du docteur Freud sur les rêves. Ces oeuvres d’art confirment son intuition :  Le sexe et l’inconscient humain ne font pas forcément bon ménage avec une morale pudibonde. Et si l’homme ne peut réaliser ses désirs inavoués, il aura recours au rêve ou à l’oeuvre d’art.

Drôle d’époque:

On réclame plus de sergents de ville dans les rues, plus de protection contre tous les risques de la vie ; on s’efforce de faire preuve d’une politesse exquise dans les dîners.

Puis, quand on rentre chez soi, on se vautre dans ces histoires de sang et de perversité. On se délecte de ces images troublantes d’hommes soumis, de femmes offrant leur sang et de princes des ténèbres de l’âme humaine.

Deux possibilités:

– Nous traversons une époque paradoxale, qui pourrait changer un jour ;

– ou nous découvrons avec un peu d’effroi le « propre de l’homme », une partie obscure de nous-même, qui traversera les siècles ?

19 novembre 1907: Passion et vitriol au ministère

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 » La Vitrioleuse  » par Eugène Grasset

 J’ai un collègue de bureau, Victor L. assez charmeur et volage. Elégant, bien fait de sa personne, il court les salons mondains à la recherche de jeunes beautés qu’il impressionne par son humour et ses talents de pianiste.

Je l’enviais un peu jusqu’à vendredi midi. 

Au moment où nous sortions du ministère pour nous restaurer, une jeune femme tout de noir vêtue s’est précipitée sur notre  » Don Juan ministériel  » . Je n’ai pas compris tout de suite ce qui arrivait. Elle avait un flacon à la main et a crié :  » Voilà la punition que tu mérites !  » . Avant que nous ayons pu nous reculer, le malheureux a été aspergé de vitriol, cet acide qui attaque la peau de façon très rapide.

Victor, le visage fumant, hurlait de douleur et de frayeur. De façon dérisoire, il protégeait – c’était trop tard – son visage avec ses mains.

Pendant ce temps, la jeune femme en noir restait bouche bée, immobile, comme tétanisée par la violence de son acte fou.

Immédiatement arrêtée et conduite à la police, elle a reconnu être une ancienne maîtresse de Victor.

 » Je suis une de ses mille et une conquêtes. Il m’a trop fait souffrir, il doit payer !  » hurlait-elle à la face des inspecteurs qui essayaient de comprendre son geste. Puis elle partait dans des crises de larmes, en répétant de façon obsessionnelle :  » Mon Victor, mon Victor…. » .

Je suis allé voir Victor à l’hôpital. La presse qui adore ce type de scandale était déjà là. Les médecins pensent que la peau de sa joue droite restera profondément marquée par l’acide. Pourtant, Victor a eu de la chance. Il a pu s’écarter suffisamment pour que ses yeux ne soient pas atteints.

Que risque la jeune femme en noir ? Mes collègues du Palais de Justice m’indiquent que les juges sont souvent cléments dans ce type d’affaire,  » blessures volontaires à l’aide d’un liquide corrosif  » . Les avocats – certains sont spécialisés –  plaident le geste passionnel et obtiennent des peines assez faibles pour leurs clientes.

Messieurs, cessez de courir les jupons, si vous ne voulez pas perdre la face!

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Un manuel sorti l’an dernier qu’il faudrait peut-être interdire … dans les lycées de jeunes filles ? On y trouve la formule du vitriol (acide sulfurique).

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