Ayant commencé ce journal en octobre, je n’ai pu raconter avec quel talent et détermination mon Ministre a réussi à mettre fin à la révolte des vignerons dans le Languedoc, d’avril à juin dernier.
La crise de mévente du vin méridional avaient conduit, dès 1903, de nombreux vignerons dans une situation délicate. Au même moment, dans cette région, des négociants s’étaient rendu coupables de fraudes scandaleuses…avec la tolérance ou la passivité d’une partie de l’administration.
Des meneurs ont émergés, pendant que les manifestations de désespoir des vignerons grossissaient, en 1906 puis en début d’année 1907. Les différentes professions ont commencés à rejoindre le mouvement en juin et quatre départements ont vu poindre un début de grève fiscale doublée d’une démission en masse des conseils municipaux.
C’est là que tout le talent de Georges Clémenceau intervient.
Dans un premier temps, il m’a demandé de rédiger à sa signature l’ordre de réquisition de la troupe et les départements du Languedoc ont été rapidement quadrillés par l’armée. Cela a permis de ramener, très progressivement, le calme…Il a fallu cependant déplorer plusieurs morts et blessés après des charges des cuirassiers.
Dans un second temps, les rapports de nos informateurs nous ont permis d’identifier les intentions du meneur, le cabaretier Marcelin Albert.
Ce dernier, fort en gueule, avait décidé de monter à Paris pour faire une entrée remarquée à l’Assemblée nationale.
Ne parvenant pas à ses fins (j’avais fait prévenir les gendarmes gardant le Parlement), il a accepté une invitation de mon Ministre.
Mielleux, charmeur, flatteur…je ne sais comment il s’y est pris, mais mon Ministre a réussi à convaincre Marcelin Albert d’arrêter le mouvement et lui a donné 100 francs pour son voyage de retour.
Celui-ci a accepté.
Erreur fatale…quelques heures plus tard, j’avais la consigne de prévenir les différents journaux que le Ministre avait une nouvelle d’importance à leur donner. Et les journaux se sont mis peu après à titrer sur Marcellin Albert « acceptant de renoncer à son mouvement pour 100 francs » ou « pleurant dans le bureau de Clemenceau ».
Après un tel discrédit, ce meneur traditionnellement si sûr de lui mais finalement bien naïf, s’est constitué prisonnier. Le mouvement a pris fin ensuite assez vite.
La récolte vinicole de cette année sera sans doute médiocre. La surproduction devrait donc diminuer.
En liaison avec les services de M. Ruau, ministre de l’agriculture, nous mettons la dernière main à des mesures d’apaisement pour les vignerons (réglementation sur le mouillage ou la circulation des vins).
La révolte du Languedoc n’est donc, nous l’espérons, plus qu’un mauvais souvenir.