» Le Japon, ce n’est pas seulement une vaillante armée et une excellente marine. Je suis tombé amoureux des villes et surtout de la capitale, Tokyo, où il fait aussi bon vivre qu’à Paris. »
Le capitaine Charles-Emile Bertin est intarissable. Fils de Louis-Emile Bertin, le célèbre ingénieur général du génie maritime, ami de l’Empereur Mutsuhito, qui a restructuré toute la flotte japonaise, il a grandi avec ses parents dans ce fascinant pays d’extrême orient. Il en parle la langue et va être nommé attaché militaire à l’ambassade de Tokyo, grâce à mon intervention. J’étais l’un de ses professeurs à l’Ecole de Guerre et nous sommes restés amis.
La capitale Tokyo, dans les années 1900
Charles Bertin sort plusieurs photographies de son portefeuille. Des habitants en chapeau melon, un tramway, des automobiles : une ville occidentale à l’autre bout de la planète. Un temple shintoïste et l’architecture des maisons nous rappellent cependant opportunément que nous ne sommes pas dans un arrondissement parisien.
» Je garderai en fin de semaine les mêmes occupations qu’actuellement. Je ferai les grands magasins ! »
Il évoque alors le Mitsukoshi, cette immense galerie où tout peut s’acheter comme Au bonheur des dames de Zola.
-Quand vous arrivez dans cette vaste maison aux immenses baies vitrées, vous êtes pris en charge par une inspectrice aimable et empressée qui va s’occuper de vous pendant toute la durée de vos achats. Elle vous guide, vous conseille discrètement et vous évite les pertes de temps dans les multiples galeries. Vous pouvez vous étourdir de toutes les nouveautés dans les rayons jouets, chaussures, papeterie, lingerie ou articles de toilette. De grandes affiches signalent les occasions du jour et au loin, un orchestre joue des airs entraînants.
Quand vous décidez de régler vos achats, vous tendez vos billets à un commis qui l’envoie par pneumatique jusqu’au service financier. Un tube reçu en retour quelques instants plus tard, permet de disposer de sa monnaie et d’une facture acquittée. Quant à la transaction, elle est immédiatement enregistrée dans la comptabilité du magasin.
Après vos emplettes, vous pouvez aller vous faire coiffer, raser et déposer vos vêtements à nettoyer. Avant de regagner la rue, une promenade dans le vaste jardin qui fait toute la terrasse du premier étage, vous permet de rentrer chez vous détendu. Les marchandises trop lourdes ou encombrantes vous sont livrées chez vous par automobile dans les heures qui suivent. »
Je ne peux m’empêcher d’être un peu moqueur :
– Vous passerez un peu de temps, tout de même, à l’Ambassade ?
– Rassurez-vous. Le gouvernement aura tous les rapports souhaités sur la flotte japonaise ou sur le dajô-daijin, le premier ministre, qui porte actuellement le nom de Taro Katsura.
– Surtout, essayez de faire comme votre père qui avait ses entrées à la Cour impériale. Depuis son départ, ce sont les Allemands qui prennent les meilleures places de conseillers particuliers de l’Empereur. »
Charles Bertin range ses photographies. Il est heureux de rejoindre l’empire du mikado et de continuer l’oeuvre paternelle. Il me laisse quelques cartes de ce Tokyo qui a tant changé ces dernières décennies. Les voici :
Messieurs,
Je prends connaisance, avec beaucoup de plaisir, de votre article qui était inconnu de moi jusqu’à ce jour. Charles, Émile Bertin (1871-1959) était mon grand oncle que j’aimais beaucoup et avec lequel j’ai vécu à Versailles jusqu’à son décès. Charles Bertin était un homme cultivé et délicieux. C’était un spécialiste éminent du Japon Meiji, malheureusement oublié ! qui sera aussi un observateur attentif envoyé par le gouvernement français, auprès de l’armée japonaise pendant toute la guerre russo-japonaise, en Mandchourie. J’ai écrit deux ouvrages totalement inédits (avec une abondante iconographie) non commercialisés, sur lui et son père, mon arrière grand-oncle, l’illustre Émile Bertin le créateur de la Marine militaire japonaise à l’Ère Meiji et des arsenaux de Kure et de Sasebo et le réorganisateur de l’arsenal de Yokosuka. J’espère que votre grand journal d’information, de relations internationales et de culture pourra un jour prochain faire un reportage sur l’oeuvre considérable de Bertin au Japon, ce grand pays ami de la France ainsi que sur mon arrière grand-père l’amiral Henri Rieunier (1833-1918) grand-croix de la Légion d’honneur, décoré de la Médaille militaire qui terminera une prestigieuse et brillante carrière militaire et diplomatique comme ministre de la Marine et député. Rieunier fut aussi un Pionnier de la Chine et du Japon qui rencontra les plus hauts dignitaires du Japon (le seul officier général sur le sol Nippon) et qui arriva pour son premier séjour au Pays du Soleil Levant avant Émile Guimet, au Japon ! J’ai également réalisé un bel ouvrage inédit de 718 pages format A4, en quadrichromie (non commercialisé), sur la vie extraordinaire de ce grand marin…. au Japon et ailleurs ! Il sera le premier navigateur de la marine nationale française à revisiter le détroit de Tartarie, en 1876, après les équipages de lapérouse au XVIIIe siècle, de la « Boussole » et de l' »Astrolabe.
Bien cordialement à vous.
Hervé BERNARD
Membre d’honneur de l’Association des « Anciens du Croiseur Émile Bertin »,
Membre Adhérent de l’Association des Écrivains Combattants.
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