Le ton du télégramme est sec, l’ordre sans appel : » Puisque négociation avec Berlin terminée, retour attendu Paris dès lundi. Nombreux dossiers en attente. Signé: directeur de cabinet Winter. »
Pas un merci pour le succès obtenu auprès de l’amiral Tirpitz. On sent que le patron G. Clemenceau regrette déjà mon absence (qui modifie ses petites habitudes) et réclame à cors et à cris mon retour rapide.
Je me suis donc engouffré dans le premier train pour Paris après avoir accéléré le pas pour notre petit tour, l’ambassadeur Jules Cambon et moi, dans la magnifique capitale allemande.
Confortablement assis sur les sièges en velours rouge bordeaux du compartiment de 1ère classe, pendant que le quai de la gare s’éloigne, j’essaie de fixer dans ma mémoire les images que j’ai le plus aimées de ma visite.
La Friedrichstrasse et le Central-Hotel :
Le récent réseau métropolitain sous-terrain électrifié qui nous a permis d’accélérer le rythme de notre visite et de voir beaucoup de choses en peu de temps :
Le pont Jannowitz où se croisent de façon savante les trafics terrestres et fluviaux, où le métropolitain surplombe le tramway, les autobus et les automobiles. Une image de la modernité berlinoise :
Le pont « Monbijou » et le musée du roi Frédéric dirigé par l’historien d’art passionné Wilhelm von Bode ; le fameux musée qui achète actuellement une bonne partie des plus fameuses peintures européennes :
Autre bâtiment imposant, massif, qui montre tout l’orgueil d’un régime qui souhaite à présent rayonner dans le monde entier. L’Arsenal :
En face de moi, dans le compartiment, un riche industriel berlinois. L’homme est en partie à l’origine de l’électrification de la capitale. Un scientifique mais aussi un philosophe : Walther Rathenau.
Il a mon âge, parle très bien le français et profite de notre voyage vers Paris pour me donner des clefs pour comprendre Berlin et l’Allemagne que j’ai quittés trop vite.
» Berlin n’est pas seulement la ville des bâtiments monumentaux -comme le Reichstag – que l’ambassadeur Cambon a juste eu le temps de vous montrer. Et vous devez comprendre que l’Allemagne n’est pas uniquement l’Empire florissant -et apparemment sûr de lui – que les étrangers comme vous croient connaître.
Si vous avez la patience de m’écouter, je peux vous raconter une autre Allemagne, une autre capitale, aussi riches mais plus subtiles que celles que vous avez actuellement en tête. Avez-vous entendu parler du capitaine de Köpenick, de la Sécession ou des casernes locatives ? « .
Devant mon regard intéressé et interrogatif, il enchaîne. Je ne perds pas une miette de cet exposé passionnant et note tout sur mon carnet.
A suivre…
Walther Rathenau
Votre commentaire