Bilan d’une riche année 1907

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La Triple Entente entre la Russie, l’Angleterre et la France, illustration de la presse russe

Pour faire un bilan de cette année 1907, quatre termes viennent à l’esprit:

tensions, apaisement, puissance retrouvée, et modernisation. 

« Tensions et apaisements »

Deux mots contradictoires pour qualifier cette année 1907 qui vient de s’écouler.

– Tensions au Maroc et sur la frontière algérienne. La France est poussée à intervenir de plus en plus dans cette région : les attaques contre nos troupes ou nos ressortissants, conduisent le gouvernement à envoyer des colonnes de renfort pour sécuriser des zones de plus en plus importantes de territoire marocain. Cela se fait sous le regard plus ou moins bienveillant du reste de l’Europe. L’Angleterre et l’Espagne ont obtenu des contreparties aux engagements français. L’Allemagne, en revanche, peine à accepter cette situation et le fait régulièrement savoir. Nous sommes toujours au bord d’un incident avec ce pays au sujet du Maroc. Cela n’est pas sain pour la paix entre les nations. 1908 devra être un année de pacification de la situation. Des actions militaires bien ciblées et une activité diplomatique intense devraient éviter à notre pays d’être engagé dans une aventure dangereuse.

– Tensions dans le monde du travail. Les ouvriers, les vignerons, les électriciens, les garçons de café…chacun revendique, exige plus des patrons et du gouvernement. Les heurts sont fréquents et G. Clemenceau n’hésite pas à faire donner la troupe. Celle-ci peut être amenée à tirer et on déplore dès lors des victimes…sources de nouvelles tensions. La création récente du ministère du travail devrait contribuer à faire baisser l’intensité de ces conflits en rendant l’Etat arbitre et protecteur des faibles au lieu d’être seulement celui qui ramène le calme avec le sabre.

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Depuis 15 ans, les grèves sont de plus en plus dures. On redoute une grève dans les transports de l’ampleur de celle de 1891

 « Apaisement «  dans les relations internationales et en France.

– Le spectre d’une révolution russe s’éloigne quelque peu après les graves événements de 1905. Stolypine a pris les choses en mains et semble vouloir s’attaquer au problème agraire de son pays. Il est grand temps et il n’a pas le droit à l’échec.

– Le système des alliances entre la Russie, la France et l’Angleterre protège notre pays de l’isolement par rapport à la puissante Allemagne. Il décourage la mise en cause, par la force, de nos intérêts et oblige les puissances à trouver des solutions diplomatiques. Attention, ces alliances ne sont valables que si les membres savent agir avec discernement dans leur politique extérieure. Sinon, les erreurs de l’un conduisent les autres dans la même direction. La France devra être vigilante par rapport aux Anglais ou aux Russes qui peuvent être tentés d’accroître leur puissance impériale sans souci des équilibres européens.

– Apaisement des tensions religieuses en France. Il est toujours aussi difficile d’inviter à un même dîner des catholiques intransigeants et des laïcs cachant difficilement leurs penchants anticléricaux ! Pour autant, G. Clemenceau a su mettre un terme aux inventaires des biens de l’Eglise sans renoncer à défendre la séparation stricte d’avec l’Etat. On déplore moins d’affrontements publics entre catholiques et représentants de l’ordre républicain que les années passées. La presse catholique continue à crier « au scandale » (voire le journal « La Croix ») mais n’est plus suivie par la foule des fidèles, rassurée par les intentions pacifiques des pouvoirs publics.

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L’église de France retouve une certaine sérénité face à un gouvernement apaisant. L’église Saint Aspais de Melun

L’autre mot clef de cette année est « puissance retrouvée« .

Les deux prix Nobel attribués au diplomate Louis Renault pour son action à la conférence de La Haye (prix Nobel de la Paix) et au docteur Alphonse Laveran, bactériologiste à l’institut Pasteur et spécialiste du paludisme (prix Nobel de médecine), montrent, s’il en était besoin, que notre pays reste à la pointe des avancées scientifiques. Nous avons sans doute les meilleurs médecins, les meilleurs biologistes et physiciens du monde.

Louis Renault jurist.gif Le juriste Louis Renault, prix Nobel de la paix

Après le conflit de 1870, la France a su se redresser. Elle rattrape l’Angleterre d’un point de vue économique, elle s’investit dans des secteurs d’avenir comme l’automobile. Cela profite à tous et contribuera, nous l’espérons, à l’apaisement des tensions sociales citées plus haut.

La France est aussi une puissance écoutée, respectée. Elle traite clairement d’égale à égale avec l’Angleterre, l’Allemagne ou la Russie.

Sa population ne progresse plus à la même vitesse qu’au début du siècle dernier. L’Allemagne est beaucoup plus dynamique de ce point de vue. D’autres pays émergent et pourraient devenir les grandes puissances de demain, au détriment de la France : la Russie aux mille ressources naturelles et aux territoires immenses, bien entendu, mais aussi et surtout, les Etats Unis, dont la puissance industrielle et financière n’a pas fini, je pense, de nous étonner.

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Les Etats Unis, puissance montante… Un « building » à Boston

La France ne survivra face à ces « empires montants » qu’avec des colonies multiples, à la population nombreuse. Il faut saluer ici les Français qui se battent loin de leurs foyers pour planter dans les endroits les plus reculés de la planète, le drapeau tricolore républicain. Quand ces Français respectent les habitants de ces régions dans leurs droits et leurs traditions, cela honore la Civilisation.

« Modernisation » sera le quatrième mot clef

Modernisation en cours de notre Police qui se dote de brigades mobiles (le décret a été signé aujourd’hui) mieux à même de lutter contre une criminalité qui se joue des limites départementales, situation dénoncée par la presse et crainte par une population qui attend plus de protection de la part de l’Etat.

Modernisation de notre fiscalité qui se dotera peut-être l’an prochain de l’impôt sur le revenu. Pour l’instant repoussé par la Chambre, ce projet apparaîtra un jour, nous l’espérons, comme porteur de plus de justice dans la répartition du fardeau du financement de l’Etat.

Modernisation sociale avec les projets sur la généralisation des pensions de retraite qui doivent vite sortir des cartons si la France ne veut pas être la lanterne rouge des puissances européennes dans la domaine social.

En conclusion, notre puissance française retrouvée ne tiendra qu’avec une volonté sans faille de progrès législatif. Le gouvernement Clemenceau doit « durer » (si les parlementaires pouvaient l’aider dans sa tâche !) et continuer son action de réforme.

Quelques dates clef que nous retiendrons de cette année :

2 janvier : Loi sur l’exercice du culte. Permet de trancher l’attribution des biens de l’Eglise. Elle est mise en oeuvre avec un esprit d’apaisement par la gouvernement.

 7 février : Joseph caillaux, ministre des finances, dépose pour la première fois son projet de loi instaurant l’impôt sur le revenu. Projet repoussé par la Chambre plusieurs fois pendant l’année.

8 mars : Grève des électriciens de Paris. Le gouvernement fait appel aux soldats du Génie pour les remplacer.

19/20 mars :Occupation de Oujda, au Maroc, par Lyautey, après l’assassinat, à Marrakech, du directeur du dispensaire français.

28 mars : Loi assimilant les réunions cultuelles aux réunions publiques. Ce texte permet de garantir, de fait, la liberté des cultes.

9/10 juin : le mouvement des vignerons dans le Midi tourne à l’insurrection. Le gouvernement aura une action très ferme en envoyant la troupe et en arrêtant des meneurs.

15 juin au 18 octobre : 2ème conférence de La Haye dirigée par Théodore Roosevelt. Les conventions internationales sont révisées pour favoriser les solutions diplomatiques dans la résolutions des conflits inter-étatiques.

28 juillet : Les chaussonniers, en grève, de l’usine Amos sont « bousculés » par la troupe : 2 morts, près de trente blessés.

31 août : accord anglo-russe sur la Perse; ce dernier accord confirme la « Triple Entente » anglo-franco-russe.

29 septembre : inondations catastrophiques dans l’Hérault et dans le Gard

1er octobre : ouverture du Salon d’Automne qui reconnaît, enfin, le talent de Cézanne

12 novembre : le parlement approuve par 464 voix contre 54 la politique marocaine du gouvernement

10 décembre : Alphonse Laveran et Louis Renault, deux Français, reçoivent respectivement le prix Nobel de médecine et le prix Nobel de la Paix

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« Travailler moins, gagner autant » , un slogan qui a de l’avenir ?

29 décembre 1907 : Les sous-entendus du préfet Lépine

 Louis Lépine.jpg Le préfet Lépine

Dernière réunion de l’année à la préfecture de Police.

Rencontre animée comme il se doit par le Préfet Lépine. Ce dernier fait un point sur son action « au service des Parisiens », pour reprendre ses termes.

En cette période de Noël et de fêtes de fin d’année, les marchands et fabricants de jouets font l’objet de toute son attention. Il souhaite continuer à mettre un terme à la multiplication des faillites dans le secteur. Le « concours » qu’il organise maintenant chaque année depuis 1901 a de plus en plus de succès. Au lieu de s’apitoyer sur le sort d’une profession, il la pousse à innover et à proposer de nouveaux articles pour un public attentif au progrès technique.

Sur le front de l’ordre public, le Préfet très aimé des Parisiens déplore toujours que les manifestations -qui sont la spécialité de la Capitale – aient toujours tendance à tourner à l’affrontement. Il affirme qu’il continuera à payer de sa personne pour empêcher les heurts. Au besoin en s’interposant lui-même, comme il l’a déjà fait.

Représentant le Ministre, j’interviens à ce moment. Je souligne l’importance des renseignements glanés en amont des manifestations par la Police pour repérer à temps les fauteurs de troubles, les agités ou les anarchistes. Sur la volonté du Ministre et Président du Conseil, je confirme que les fonds spéciaux destinés à rémunérer les informateurs seront augmentés l’an prochain.

Le Préfet me répond qu’il approuve cette démarche nationale. En revanche, il insiste sur le fait que l’action de la Police doit rester dans un cadre strictement républicain.

Ne comprenant pas bien cette précision qui paraît lourde de sous-entendus, je demande à M. Lépine de me donner des explications.

Dans un large sourire, celui-ci m’indique qu’il ne souhaite pas que Paris soit le terrain d’actions de « provocateurs, pilotés par on ne sait trop qui » . Ces derniers sévissent déjà lors des actions syndicales menées dans certains départements de province, ajoute-t-il.

Surpris par cette réponse venant d’un homme réputé modéré et ne parlant pas à la légère, je préfère me taire et laisser la réunion se dérouler jusqu’à la fin, sans incident.

Lorsque la rencontre s’achève, je glisse au Préfet que je souhaiterais m’entretenir avec lui seul à seul.

M. Lépine me prie de le suivre et me fait installer dans son bureau donnant, par une large vitre, sur la Seine.

 » -Monsieur le Préfet, je suis étonné par vos propos de tout à l’heure. Que vouliez-vous dire… il y aurait des provocateurs dans des manifestations de province, payés par le gouvernement ?

– Monsieur le Conseiller, je ne pense pas que vous trempiez personnellement dans ce genre d’affaires glauques. Mais mes informations de la part de mes collègues de province sont concordantes; il y a des gens assez hauts placés qui jouent avec le feu dans votre ministère. Que l’on souhaite enrayer des mouvements syndicaux volontiers violents visant la grève générale, soit ! Mais cela doit se faire en respectant l’esprit des lois.

Je n’en sais pas plus et ne peut donc en dire plus. J’espère que notre ministre pour lequel j’ai le plus grand respect, n’est pour rien dans tout cela.

– Monsieur le Préfet, je vous assure qu’il ne peut s’agir que d’un malentendu ou de dérives que notre ministre ne cautionne pas.  »

L’entretien porte ensuite sur des sujets plus classiques : répartition des crédits entre lignes budgétaires, remplacement des postes vacants, gardes statiques devant les ministères…

A la fin de l’entretien, M. Lépine me raccompagne avec beaucoup de chaleur et me glisse une phrase qui me fait plaisir :

 » Monsieur le Conseiller, vous êtes l’un de ceux qui ont oeuvré pour que les relations entre le ministre et moi-même soient bonnes. Alors que les propos tenus par G. Clemenceau lorsqu’il était dans l’opposition me laissaient craindre le pire à sa prise de fonction.

Merci de jouer ce rôle de « diplomate » entre nous. Je vous souhaite une carrière brillante et… d’excellentes fêtes de fin d’année « .

Sur ce compliment flatteur venant d’un personnage aussi réputé, je rentre chez-moi pensif. Des provocateurs payés par le ministère agiraient dans l’ombre ? Sur les ordres de qui ? Il faudra que j’aborde ce sujet rapidement avec Etienne Winter, le directeur de cabinet. Je ne supporterais pas de travailler avec une équipe qui se livrerait à de « basses besognes ».

28 décembre 1907 : Méliès tue le Jules Verne de notre enfance !

MeliesGeorges.jpg Georges Méliès

Projection privée, hier soir, dans le pavillon de Montreuil de Georges Méliès. Une fois de plus, mon chef, invité initialement, m’a proposé de le « représenter » .  » Vous qui aimez les arts et les lettres … allez-y à ma place, tout ceci m’ennuie mortellement « .

Je ne me suis pas fait prier. M. Méliès fait parti de ces types très imaginatifs qui donnent, progressivement, au cinématographe, un lustre qu’il n’avait pas il y a seulement cinq ans.

Le film projeté, réalisé cette année, s’intitulait  » Deux Cent Milles sous les Mers ou le Cauchemard du Pêcheur  » -très- librement inspiré des « Vingt Milles Lieues sous les Mers » du Jules Verne de notre enfance.

Pendant les vingt minutes que durait l’oeuvre, M. Méliès nous a encore montré ses talents d’illusionniste. Avec peu de moyens, il a inventé des  » trucs  » pour simuler une plongée de l’engin sous-marin dans l’eau profonde. Avec des coloriages directement sur la pellicule, des décors peints à la main et des trompe-l’oeil, il a réussi à reconstituer des décors marins avec des poissons qui paraissent presque vivants.

Une petite musique enjouée était diffusée pendant la projection et les spectateurs se réjouissaient … sauf moi.

G. Mélies m’a volé le Capitaine Nemo de mon enfance et le Nautilus de mes rêves ! Son film, certes plaisant, vient imposer à mon imagination une certaine façon de voire l’oeuvre initiale de Jules Verne.

Les vingt minutes de projection transforment l’aventure fantastique de Pierre Arronax en anecdote, en numéro de magicien de foire. La durée du roman qui, elle, laisse s’installer le mystère du Capitaine Nemo (dont on sait peu de choses) est gommée dans l’oeuvre de Méliès.

Les illustrations favorisant le clair-obscur, de l’édition Hetzel du livre de J. Verne, ont enflammé les imaginations de milliers d’enfants. Elles doivent laisser la place à des visages d’individus de tous les jours et des décors en carton.

Au bout de dix minutes, n’y tenant plus, j’ai fermé les yeux. Je me suis remis dans les mêmes dispositions que celles qui m’habitaient lorsque je lisais J. Verne.

J’ai retrouvé en un instant ce sentiment de liberté défendu jalousement par Nemo. J’ai alors tenté à nouveau de percer, un à un, les mystères de la création du Nautilus. Je me suis rappelé toutes les prouesses technologiques  – vive la fée électricité !- qui permettaient le voyage au fond de l’océan. Il m’a semblé, à ce moment où mon imagination vagabondait, que l’odeur chaude du bois et du cuir des salons luxueux et douillets du submersible, prison dorée du héros, me parvenait à nouveau.

Quand la lumière est revenue, mon rêve a pris fin.

J’ai pris rapidement congé de mes hôtes pour rejoindre, pour de vrai cette fois, l’univers du beau livre rouge qui trône maintenant dans la bibliothèque de mon fils.

J’ai lu toute la nuit. Quand, au petit matin, j’ai posé l’ouvrage, arrivé à la dernière page, il m’a semblé que je me sentais plus jeune, plus frais. Cette plongée en eau profonde avait été un bain de jouvence.

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Illustration de l’édition originale de Hetzel de « 20 000 Lieues sous les Mers » par Alphonse de Neuville et Edouard Riou : Le Capitaine Nemo face au calmar géant.

27 décembre 1907 : Segalen et Gauguin : triste Tahiti !

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Paul Gauguin, « Deux Filles Portant Un Plat de Fruits »

Une histoire complexe, un auteur inconnu qui écrit à compte d’auteur, un titre incompréhensible !

 » Les Immémoriaux  » de Victor Segalen restent une oeuvre qui a toutes les chances de sombrer dans l’indifférence totale du grand public. G. Clemenceau qui reçoit tant et tant d’ouvrages dédicacés par des fonctionnaires – aux talents pour le moins variés –  m’a pourtant demandé de jeter un oeil sur ce livre qui l’intrigue.

 » Lisez ce bouquin quand vous aurez un moment. J’ai entendu parler de Victor Segalen. Comme médecin dans la Marine, je ne sais pas ce qu’il vaut, mais comme admirateur et redécouvreur des oeuvres de ce peintre mort injustement dans la misère qu’était Gauguin, il faut lui reconnaître un talent certain.  »

Et il a ajouté :  » … Si j’en crois les quelques dizaines de pages que j’ai déjà parcourues, il aborde la disparition progressive de la civilisation des indigènes de Tahiti, détruite par les missionnaires de tous poils et les colons à courte vue … Lisez, je vous dis ! Il me faut des exemples concrets permettant de contrer le parti des colonisateurs quand ils sont trop gourmands d’un point de vue budgétaire, lors des débats à la Chambre . »

Collaborateur obéissant, j’ai répondu que le marchand d’art Ambroise Vollard m’avait déjà fait découvrir Gauguin et que j’étais donc ravi de me plonger dans l’oeuvre d’un écrivain évoquant l’univers de ce peintre.

En fait, Segalen nous immerge dans un monde où nous perdons beaucoup de nos repères. Nous sommes placés, une fois n’est pas coutume, du point de vue du colonisé et non du colonisateur.

Et ce que nous découvrons, au fil de pages denses mais très bien écrites, c’est bien une civilisation qui disparaît. L’arrivée du navire des Blancs, protestants, à Tahiti, à la fin du XVIII ème siècle, sonne le glas d’une langue et d’habitudes de vie étranges mais fascinantes.

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Hodges, « Resolution and Adventure in Matavai Bay », l’arrivée des premiers navires européens à Tahiti.

Avant la conquête occidentale, Les Tahitiens aiment les femmes, les honorent souvent et pas toujours au sein de couples bien établis. Dans des luttes viriles ou des courses de pirogues, ils établissent leur hiérarchie sociale et règlent leurs différents. Sous un soleil permanent et au sein d’une nature paradisiaque, ils affectionnent les fêtes bien arrosées où chacun exprime une vitalité de tous les instants.

Leurs chants, leurs danses joyeuses, leurs légendes très imaginatives, leurs rites sauvages et parfois cruels, les opposent en tous points à l’austère morale protestante de leurs colonisateurs.

Comme on s’en doute, la Sainte Ecriture et la langue des Blancs vont l’emporter sur le « parlé » des Tahitiens, des Maoris, qui n’a pas su prendre un forme écrite.

Térii, le héros maori, chargé par son vieux maître Paofaï, de mémoriser les légendes et la langue de tout son peuple , devient le traître. Il efface de son esprit les mythes et la généalogie des rois et se vend moralement aux hommes blancs en espérant occuper une place dans leur hiérarchie.

Par ses gestes irréparables, il contribue à la transformation de ses compatriotes en « Immémoriaux », en individus déracinés et sans mémoire. Il aide au triomphe destructeur de la civilisation européenne.

Ce livre attachant d’un homme jeune – Victor Segalen a 29 ans – permet de poursuivre le combat désespéré que menait Gauguin à la fin de  sa vie, alors malade et affaibli, pour la dignité des indigènes des Iles, soumis aux caprices et aux abus des Autorités occidentales.

En reposant sur ma table de chevet « Les Immémoriaux », je réalise combien cette lutte pour préserver les indigènes et leur culture se révèle pour l’instant sans espoir.

Personne ne lira Victor Segalen. Peut-être pourra-t-on faire découvrir avec Ambroise Vollard, les oeuvres de Gauguin. Mais la plupart n’y verront que de belles couleurs, des jolies « sauvages » à la peau hâlée. Les Parisiens rêveront un peu et passeront leur chemin.

Et des langues, des rites millénaires, des légendes merveilleuses, continueront à se perdre dans un oubli révoltant.

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Gauguin,  » Vairumati « 

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Gauguin,  » D’où venons nous? Que sommes-nous? Où allons-nous? « 

26 décembre 1907 : Grieg a créé la Norvège en musique

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Fjord norvégien

Très beaux chants au théâtre du Châtelet avec les « Concerts Colonne ». Des chants qui nous viennent du froid, du grand Nord, de Norvège.

J’avais déjà eu l’occasion d’écouter Edvard Grieg lors de son passage à Paris en 1903. Pour la première fois, depuis l’Affaire Dreyfus, le compositeur scandinave avait accepté cette année-là de se produire sur une scène française.

N’avait-il pas écrit en 1899 à M. Colonne pour l’informer « qu’après l’issue du procès Dreyfus il ne pouvait se décider à venir en France maintenant… Comme tous les étrangers, ajoutait-il, je suis indigné de voir le mépris avec lequel on traite la justice dans votre pays, de sorte que je me trouve dans l’impossibilité d’entrer en relations avec un public français… »

Le concert de 1903 avait commencé par quelques huées du public parisien, exigeant des excuses pour les propos de Grieg. Puis, la chaleur des rythmes lents norvégiens, la profondeur et la pureté des chants, la douce langueur qui se dégage de cette musique à forte identité, avait conquis l’auditoire qui avait fini par applaudir à tout rompre.

La représentation à laquelle je viens d’assister était plus courte mais aussi plus nostalgique. Elle rendait hommage au maître norvégien décédé en septembre de cette année.

Ce n’était pas une oeuvre majeure qui était jouée, comme l’est « Peer Gynt » d’après Ibsen, mais de la musique chorale.

Chansons d’amour et psaumes côtoyaient des petites cantates qui ravissaient les quelques centaines d’inconditionnels de Grieg, présents dans une salle qui n’avait fait aucune publicité compte tenu du nombre restreint de places. Le Choeur était français mais comprenait quelques norvégiens.

On ne pouvait s’empêcher de penser, en entendant ces notes fluides, aux paysages époustouflants des fjords, des montagnes abruptes plongeant dans la mer, aux innombrables rivières d’eaux glaciales et pures s’écoulant entre d’immenses forêts désertes de toute présence humaine.

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Chute d’eau dans le Geirangerfjord 

Ceux qui ont eu la chance de connaître personnellement Grieg, racontent que le compositeur, devenu une gloire nationale dans son pays indépendant depuis seulement deux ans, était en fait un solitaire.

Lassé des nombreux voyages où toute l’Europe l’acclamait, il se réfugiait de longues heures dans un chalet d’une seule pièce au fond d’un parc, près de Bergen, à Troldhaugen. Dans ce lieu tranquille, aménagé de façon simple mais chaleureuse, il réalisait à chaque nouvelle partition, la synthèse entre la musique romantique allemande, le folklore scandinave qu’il remet à l’honneur et une recherche plus personnelle de mélodies d’un premier abord un peu dissonantes mais finalement assez flatteuses.

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La maison de Grieg à Troldhaugen à côté de Bergen ; pour composer, le maître s’isole une centaine de mètres plus loin dans un chalet en bois.

Il y a des peuples qui ont conquis leur indépendance dans le sang. Les Norvégiens ont la chance – et le goût – de commencer leur histoire en musique. Ils s’écartent d’un Danemarck qu’ils appréciaient mais aussi d’une Suède à laquelle ils avaient été cédés en 1814.

Ils recherchent maintenant une identité culturelle. Grieg est arrivé à point nommé pour leur donner une âme , une richesse et pour tout dire : une légitime fierté.

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Entre  « Mo i Rana » et « Trondheim-Laksforsen »

25 décembre 1907 : Père Noël ou Petit Jésus ?

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« Santa Claus », le Père Noël anglo-saxon

Qui apporte les cadeaux aux enfants le soir de Noël ?

Les Etats-Unis, influencés par les Allemands, les Hollandais et les Scandinaves répondent :  » Santa Claus « , saint Nicolas. L’illustrateur Thomas Nast a largement contribué, outre atlantique, ces trente dernières années, à bâtir cette légende du bon vieillard à longue barbe, à tunique rouge et liseré de fourrure blanche. Il passe par la cheminée et apporte dans le secret de la nuit, des cadeaux aux enfants sages.

L’Eglise catholique fait tout pour combattre ce mythe qu’elle considère comme païen. Elle insiste sur le nécessaire recueillement qui doit présider à cette fête chrétienne glorifiant la naissance du Christ, celui qui a accepté de donner sa vie par amour et pour sauver les hommes.

Federico Barocci 002.jpg Federico Barocci,  » La Nativité »

Elle refuse ce  » Père Noël » américain, porté par les intérêts des marchands de jouets. Elle s’insurge contre ce porteur de peluches « Teddy », l’ours américain ou « Martin » , l’ours français.

Ainsi, dans notre bon pays de France, cohabitent des familles visitées par le Père Noël, et d’autres qui se réjouissent de fêter la naissance du Christ et offrent des cadeaux à leurs pieux enfants.

Le clergé voyant qu’il peine à endiguer la progression du Père Noël, qui fait la joie de la plupart de nos chères têtes blondes, tente ces dernières années, d’habiles manoeuvres de diversion et de récupération.

Diversion: « le petit Jésus  » apporterait lui aussi des cadeaux  » en traversant les airs, très bon et très juste, vers les enfants qui marchent droit ». Cette opération de diversion que je trouve moins respectable que le légitime rappel des aspects chrétiens du 25 décembre, fait long feu. Les enfants français préfèrent le bon vieillard rond, à pipe, arrivant sur un traîneau tiré par des rennes à un  » Petit Jésus aérien  » difficilement compatible avec l’image traditionnelle du petit être emmailloté et couché dans une crèche, évoqué par les Evangiles.

Récupération ; c’est cette fois-ci plus amusant et cela rapproche finalement toutes les familles de France : le Père Noël serait le fidèle messager du Petit Jésus, chargé de rétribuer tous les enfants qui ont fait preuve de bonté pendant l’année.

Ainsi grâce à l’imagination de notre clergé national, sans doute appuyé par un gouvernement souhaitant l’apaisement des querelles religieuses, le Père Noël et l’Enfant Jésus se rejoignent donc maintenant pour la plus grande joie des petits…

… et pour l’apaisement des passions entre leurs parents.

24 décembre 1907 : Retour à Paris en Orient Express

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Retour vers Paris en train. Plus de 12 heures dans les wagons de l’Orient Express. Dans une ambiance de luxe, servi par un personnel empressé, on se laisse aller à la rêverie ou l’on échange quelques mots courtois avec ses voisins, rentiers, aristocrates, riches hommes d’affaire pour la plupart.

Ce siècle qui commence s’annonce comme révolutionnaire au niveau des transports. Transatlantiques de plus en plus rapides, appareils volants à l’essai, automobiles … on peut maintenant profiter de ce train transfrontalier, bénéficiant de la technologie « Pullman ».

Il traverse toute l’Europe, de Paris (gare de l’Est) à Constantinople, en passant par Strasbourg, Munich, Vienne, Budapest et Bucarest.

Restaurant de l’Orient Express à sa création en 1883

Ce train est le résultat du dynamisme d’industriels audacieux.

George Pullman, d’abord. Cet Américain invente la technologie du wagon de nuit fiable, silencieux, confortable… et cher. Patron paternaliste, il diffuse son invention dans tous les Etats-Unis en insistant sur le sens du service à bord : ses trains américains emploient des familles d’esclaves affranchis après la guerre de Sécession !

Georges Nagelmackers ensuite. Industriel belge créatif. Il importe la technologie Pullman sur le continent européen. Il transpose en l’améliorant encore, cette idée de « service à bord parfait » qui fait la réputation de l’Orient Express.

Il crée cette puissante « Compagnie des Wagons Lits » qui possède l’Orient Express. Et grâce à ce riche capitaliste, les fonctionnaires, commerçants et industriels peuvent se rendre enfin d’un pays à l’autre, à travers toute l’Europe, dans de bonnes conditions de confort et dans un temps record.

Mon arrivée à la Gare de l’Est me donne l’occasion de monter dans un tramway à vapeur qui sera, je l’espère, bientôt remplacé par un tramway électrique moins bruyant et rejetant moins de saletés !

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Tramways à « air comprimé » desservant la gare de l’Est.

Il me reste quelques heures pour préparer mon rapport pour G. Clemenceau qui va me bombarder de questions sur Vienne, l’Empereur, mes impressions sur l’administration autrichienne…

Cela laisse peu de temps pour retrouver et passer un moment avec mon épouse qui était impatiente que je revienne et mes enfants, fascinés par cet extraordinaire voyage que vient de faire leur père.

22 décembre 1907 : Dernier jour à Vienne

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Le château de Schönbrunn

Il continue à avoir le verbe rare. Mais le fait qu’il ait accepté de passer une heure à me montrer les tableaux de Klimt de la collection impériale, reste exceptionnel. L’Empereur François-Joseph a tenu parole. C’est bien lui qui m’a accompagné dans son château de Schönbrunn et non un aide de camp.

Sa collection est très intéressante. Il a décidé de conserver une partie des oeuvres et s’apprête à confier prochainement les autres aux marchands d’art.

Klimt Danae.jpg « Danaé »

Cette « Danaé », lovée dans un sommeil aux rêves voluptueux, n’est pas exposable dans la demeure impériale. Trop osée. Un riche bourgeois la rachètera sans doute bientôt.

Gustav Klimt 026.jpg « Musique »

En revanche, cette « Musique » plus classique, aux couleurs chaudes, bien représentative de la Sécession qu’aime financer l’Empereur et de l’Art Nouveau dont il est amateur, restera plus longtemps dans les murs de Schönbrunn.

François-Joseph m’indique que Klimt, fils d’orfèvre, ne peut s’empêcher de couvrir ses oeuvres de dorures. Cela devient un élément important de son style.

Gustav Klimt 045.jpg « Pallas Athena »

« Pallas Athena », déesse triomphante et guerrière, suscite notre admiration à tout deux. L’Antiquité rejoint dans un tourbillon magique un nu stylisé très moderne. La féminité se pare des attributs masculins. La force laisse poindre la sensualité.

Peu avant que je prenne congé, François-Joseph m’a attrapé par le bras et m’a soudain glissé gravement :

 » J’ai tout de même deux messages à faire passer à M. Clemenceau.

 – Qu’il se méfie des alliances européennes. Chaque nation doit garder son libre arbitre et aucune ne doit entraîner ses alliées dans des conflits qu’elles ne souhaitent pas.

– La France doit nous laisser les mains libres au sud de l’Empire. Dans les Balkans, votre sécurité n’est pas en jeu. Alors que l’intégrité de l’Autriche Hongrie dépend de ce qui se passe là-bas .  »

Je retiens par coeur ces paroles que je devrai citer sans les déformer à mon Patron.

Demain soir, train de nuit et retour à Paris.

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Mon appartement loué discrètement par l’Ambassade de France se situait juste derrière ce « Pont Haut » de Vienne

21 décembre 1907 : Un quart d’heure avec l’Empereur

 Mission à Vienne, suite…

Pietzner, Carl (1853-1927) - Emperor Franz Josef I - ca 1885.jpg 

L’Empereur d’Autriche François Joseph 1er

Son peuple l’aime. Gros travailleur, il se dévoue totalement au service de l’Etat. Il sait écouter, il a sans doute su nous écouter. François-Joseph, l’empereur d’Autriche Hongrie, nous a reçu, l’ambassadeur de France et moi, pendant un quart d’heure, au Hofburg. Nous étions 3 ème sur la liste des cinquante entrevues prévues pour la journée.

Les audiences commençant à 10 heures du matin, nous sommes « passés » un peu avant 11 heures. Le souverain était détendu, souriant et très en forme pour son âge. Levé, comme à son habitude, dès quatre heures du matin, il avait lu le mémoire adressé par l’ambassade avant notre venue. Son aide de camp nous a indiqué, avant que nous soyons introduits, qu’il avait aussi travaillé différents dossiers relatifs à la France, pour ne pas être pris au dépourvu par nos éventuelles questions.

Mon objectif était de recueillir quelques indications de la part du souverain sur ce que ferait l’Autriche dans telle ou telle situation de tension internationale.

Je suis resté, de ce point de vue, sur ma faim. L’Empereur est resté presque silencieux tout le long de l’entrevue. Attentif, s’exprimant avec bonté, il relançait l’ambassadeur dès qu’un long silence risquait de s’installer.

Pour le coup, il faut avouer que je reviens bredouille. La discrétion de l’Empereur ainsi qu’une certaine rouerie de sa part, l’on conduit à ne pas dévoiler la moindre carte sur ses intentions stratégiques.

En fait, m’explique l’ambassadeur fin connaisseur des lieux de pouvoir viennois, dans l’automobile qui nous reconduit à l’ambassade, les conseillers, ministres, aides de camp, ont beaucoup d’influence au Hofburg. Il convient dès lors, plutôt que de parler avec l’Empereur directement (ce qui ne mène à rien), de surveiller les nominations des collaborateurs proches de François-Joseph. Si l’on veut décrypter la ligne politique de l’Empire des Habsbourg, c’est avec eux qu’il faut nouer des contacts.

L’ambassadeur qui se délecte de ces observations et analyses, m’indique qu’il se méfie, par exemple, d’un homme comme Leopold Berchtold, ambassadeur à Londres, puis à  Paris et qui occupe actuellement ce poste en Russie. Ambitieux, promis à un bel avenir en raison de la confiance que lui accorde François-Joseph, Berchtold déteste les serbes (qui le lui rendent bien) et pourraient pousser, avec d’autres, l’Empereur à prendre des positions dangereuses pour la paix.

Leopold Graf Berchtold - Project Gutenberg eText 16331.jpg Leopold Berchtold

A la réflexion, l’entrevue impériale n’a pas été totalement un échec. En fait, j’ai été sauvé par une question plus personnelle posée avec un peu d’ironie par l’Empereur à quelques minutes de la fin de la rencontre.

« Mais, vous n’êtes pas venu ici à Vienne, que pour travailler, Monsieur le conseiller ? On me dit que vous avez rencontré notre bon Klimt ? « 

Ma réponse enflammée sur le génie de ce peintre a entraîné cette répartie du souverain :

 » Je ne pense pas pouvoir satisfaire beaucoup la curiosité légitime de votre patron Clémenceau…qui devrait venir lui-même s’il veut connaître mes intentions. En revanche, si vous avez un moment, je serais ravi de vous accueillir à Schönbrunn et vous montrer quelques oeuvres de Gustav Klimt. Votre curiosité artistique sera, elle, satisfaite. « 

J’ai accepté avec empressement. Le château de Schönbrunn, des toiles hors du commun…de quoi conclure un séjour viennois dans l’émerveillement !

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Le Château de Schönbrunn, résidence privée de l’Empereur.

19 décembre 1907 : Karl Lueger, la démagogie au pouvoir

 Mission à Vienne, suite …

Karl lueger.jpg Karl Lueger

Rencontre moins plaisante mais plus professionnelle qu’hier : le maire de Vienne.

Haut en couleur, antisémite, gestionnaire efficace, détesté de la Haute société, tribun redoutable : c’est tout cela, Karl Lueger.

Il symbolise bien une Vienne et une Autriche à la croisée des chemins. Empire qui a su trouver un compromis entre Allemands et Hongrois, respectueux des différentes langues tchèques, polonaises ou ruthènes. Mais Empire qui peine à présent à se moderniser (l’Allemagne est devenue plus industrielle et plus riche) et qui tend à se crisper sur la question des nationalités en admettant moins les différentes cultures qu’autrefois. 

Le peuple viennois qui se méfie de ses élites naturelles, noblesse et grande bourgeoisie réunies, a préféré élire un bourgmestre qui parle haut, porte beau et le flatte en lui promettant d’houspiller l’administration de la ville pour la rendre plus efficace. Emporté par sa passion, Karl Lueger appelle de ses souhaits un grand Empire rénové, nationaliste et désigne les juifs comme la cause des malheurs du temps.

Les phrases qu’il prononce sur les juifs lui valent une réprobation des élites et démocrates autrichiens mais lui apportent des voix des nombreux quartiers populaires et ouvriers viennois. Le monde des petits employés et commerçants apprécie aussi sa faconde, son franc-parler teinté d’humour ravageur.

 » Lui au moins il nous comprend, nous écoute, nous défend  » s’exclame un vieil homme dans un café quand je lui parle du Maire.

En revanche, la baronne Sonja Knips m’indique qu’elle fuit toutes les réceptions où Karl Lueger pourrait être présent. Elle regrette que l’Empereur n’ait pas persisté dans sa volonté de refuser le verdict des urnes en ne nommant pas K. Lueger et n’ait pas demandé fermement au peuple de voter pour quelqu’un d’autre.

 » Monsieur le Français, notre jeune démocratie et notre vieille monarchie sont toutes deux bien malades. Les maux de l’une provoquent des souffrances infinies pour l’autre et réciproquement…ré-ci-pro-quement  » répète-t-elle lentement, fière de connaître ce mot français un peu « savant ».

La rencontre avec Karl Lueger ne m’a pas apporté grand chose que je ne savais déjà en entrant dans la pièce. Il m’a demandé de transmettre ses compliments à mon patron pour sa capacité à maîtriser les troubles et les grèves en France… Ce que je ne ferais sans doute pas puisque ce n’est pas l’aspect de G.Clémenceau que j’apprécie le plus !

Espérons que les peuples d’Europe ne seront pas tentés un jour de se laisser diriger par des copies de cet inquiétant Karl Lueger.

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Karl Lueger et des membres de son parti  » chrétien social « 

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