Mission à Vienne, suite …
Rencontre moins plaisante mais plus professionnelle qu’hier : le maire de Vienne.
Haut en couleur, antisémite, gestionnaire efficace, détesté de la Haute société, tribun redoutable : c’est tout cela, Karl Lueger.
Il symbolise bien une Vienne et une Autriche à la croisée des chemins. Empire qui a su trouver un compromis entre Allemands et Hongrois, respectueux des différentes langues tchèques, polonaises ou ruthènes. Mais Empire qui peine à présent à se moderniser (l’Allemagne est devenue plus industrielle et plus riche) et qui tend à se crisper sur la question des nationalités en admettant moins les différentes cultures qu’autrefois.
Le peuple viennois qui se méfie de ses élites naturelles, noblesse et grande bourgeoisie réunies, a préféré élire un bourgmestre qui parle haut, porte beau et le flatte en lui promettant d’houspiller l’administration de la ville pour la rendre plus efficace. Emporté par sa passion, Karl Lueger appelle de ses souhaits un grand Empire rénové, nationaliste et désigne les juifs comme la cause des malheurs du temps.
Les phrases qu’il prononce sur les juifs lui valent une réprobation des élites et démocrates autrichiens mais lui apportent des voix des nombreux quartiers populaires et ouvriers viennois. Le monde des petits employés et commerçants apprécie aussi sa faconde, son franc-parler teinté d’humour ravageur.
» Lui au moins il nous comprend, nous écoute, nous défend » s’exclame un vieil homme dans un café quand je lui parle du Maire.
En revanche, la baronne Sonja Knips m’indique qu’elle fuit toutes les réceptions où Karl Lueger pourrait être présent. Elle regrette que l’Empereur n’ait pas persisté dans sa volonté de refuser le verdict des urnes en ne nommant pas K. Lueger et n’ait pas demandé fermement au peuple de voter pour quelqu’un d’autre.
» Monsieur le Français, notre jeune démocratie et notre vieille monarchie sont toutes deux bien malades. Les maux de l’une provoquent des souffrances infinies pour l’autre et réciproquement…ré-ci-pro-quement » répète-t-elle lentement, fière de connaître ce mot français un peu « savant ».
La rencontre avec Karl Lueger ne m’a pas apporté grand chose que je ne savais déjà en entrant dans la pièce. Il m’a demandé de transmettre ses compliments à mon patron pour sa capacité à maîtriser les troubles et les grèves en France… Ce que je ne ferais sans doute pas puisque ce n’est pas l’aspect de G.Clémenceau que j’apprécie le plus !
Espérons que les peuples d’Europe ne seront pas tentés un jour de se laisser diriger par des copies de cet inquiétant Karl Lueger.
Karl Lueger et des membres de son parti » chrétien social «