28 décembre 1907 : Méliès tue le Jules Verne de notre enfance !

MeliesGeorges.jpg Georges Méliès

Projection privée, hier soir, dans le pavillon de Montreuil de Georges Méliès. Une fois de plus, mon chef, invité initialement, m’a proposé de le « représenter » .  » Vous qui aimez les arts et les lettres … allez-y à ma place, tout ceci m’ennuie mortellement « .

Je ne me suis pas fait prier. M. Méliès fait parti de ces types très imaginatifs qui donnent, progressivement, au cinématographe, un lustre qu’il n’avait pas il y a seulement cinq ans.

Le film projeté, réalisé cette année, s’intitulait  » Deux Cent Milles sous les Mers ou le Cauchemard du Pêcheur  » -très- librement inspiré des « Vingt Milles Lieues sous les Mers » du Jules Verne de notre enfance.

Pendant les vingt minutes que durait l’oeuvre, M. Méliès nous a encore montré ses talents d’illusionniste. Avec peu de moyens, il a inventé des  » trucs  » pour simuler une plongée de l’engin sous-marin dans l’eau profonde. Avec des coloriages directement sur la pellicule, des décors peints à la main et des trompe-l’oeil, il a réussi à reconstituer des décors marins avec des poissons qui paraissent presque vivants.

Une petite musique enjouée était diffusée pendant la projection et les spectateurs se réjouissaient … sauf moi.

G. Mélies m’a volé le Capitaine Nemo de mon enfance et le Nautilus de mes rêves ! Son film, certes plaisant, vient imposer à mon imagination une certaine façon de voire l’oeuvre initiale de Jules Verne.

Les vingt minutes de projection transforment l’aventure fantastique de Pierre Arronax en anecdote, en numéro de magicien de foire. La durée du roman qui, elle, laisse s’installer le mystère du Capitaine Nemo (dont on sait peu de choses) est gommée dans l’oeuvre de Méliès.

Les illustrations favorisant le clair-obscur, de l’édition Hetzel du livre de J. Verne, ont enflammé les imaginations de milliers d’enfants. Elles doivent laisser la place à des visages d’individus de tous les jours et des décors en carton.

Au bout de dix minutes, n’y tenant plus, j’ai fermé les yeux. Je me suis remis dans les mêmes dispositions que celles qui m’habitaient lorsque je lisais J. Verne.

J’ai retrouvé en un instant ce sentiment de liberté défendu jalousement par Nemo. J’ai alors tenté à nouveau de percer, un à un, les mystères de la création du Nautilus. Je me suis rappelé toutes les prouesses technologiques  – vive la fée électricité !- qui permettaient le voyage au fond de l’océan. Il m’a semblé, à ce moment où mon imagination vagabondait, que l’odeur chaude du bois et du cuir des salons luxueux et douillets du submersible, prison dorée du héros, me parvenait à nouveau.

Quand la lumière est revenue, mon rêve a pris fin.

J’ai pris rapidement congé de mes hôtes pour rejoindre, pour de vrai cette fois, l’univers du beau livre rouge qui trône maintenant dans la bibliothèque de mon fils.

J’ai lu toute la nuit. Quand, au petit matin, j’ai posé l’ouvrage, arrivé à la dernière page, il m’a semblé que je me sentais plus jeune, plus frais. Cette plongée en eau profonde avait été un bain de jouvence.

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Illustration de l’édition originale de Hetzel de « 20 000 Lieues sous les Mers » par Alphonse de Neuville et Edouard Riou : Le Capitaine Nemo face au calmar géant.

27 décembre 1907 : Segalen et Gauguin : triste Tahiti !

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Paul Gauguin, « Deux Filles Portant Un Plat de Fruits »

Une histoire complexe, un auteur inconnu qui écrit à compte d’auteur, un titre incompréhensible !

 » Les Immémoriaux  » de Victor Segalen restent une oeuvre qui a toutes les chances de sombrer dans l’indifférence totale du grand public. G. Clemenceau qui reçoit tant et tant d’ouvrages dédicacés par des fonctionnaires – aux talents pour le moins variés –  m’a pourtant demandé de jeter un oeil sur ce livre qui l’intrigue.

 » Lisez ce bouquin quand vous aurez un moment. J’ai entendu parler de Victor Segalen. Comme médecin dans la Marine, je ne sais pas ce qu’il vaut, mais comme admirateur et redécouvreur des oeuvres de ce peintre mort injustement dans la misère qu’était Gauguin, il faut lui reconnaître un talent certain.  »

Et il a ajouté :  » … Si j’en crois les quelques dizaines de pages que j’ai déjà parcourues, il aborde la disparition progressive de la civilisation des indigènes de Tahiti, détruite par les missionnaires de tous poils et les colons à courte vue … Lisez, je vous dis ! Il me faut des exemples concrets permettant de contrer le parti des colonisateurs quand ils sont trop gourmands d’un point de vue budgétaire, lors des débats à la Chambre . »

Collaborateur obéissant, j’ai répondu que le marchand d’art Ambroise Vollard m’avait déjà fait découvrir Gauguin et que j’étais donc ravi de me plonger dans l’oeuvre d’un écrivain évoquant l’univers de ce peintre.

En fait, Segalen nous immerge dans un monde où nous perdons beaucoup de nos repères. Nous sommes placés, une fois n’est pas coutume, du point de vue du colonisé et non du colonisateur.

Et ce que nous découvrons, au fil de pages denses mais très bien écrites, c’est bien une civilisation qui disparaît. L’arrivée du navire des Blancs, protestants, à Tahiti, à la fin du XVIII ème siècle, sonne le glas d’une langue et d’habitudes de vie étranges mais fascinantes.

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Hodges, « Resolution and Adventure in Matavai Bay », l’arrivée des premiers navires européens à Tahiti.

Avant la conquête occidentale, Les Tahitiens aiment les femmes, les honorent souvent et pas toujours au sein de couples bien établis. Dans des luttes viriles ou des courses de pirogues, ils établissent leur hiérarchie sociale et règlent leurs différents. Sous un soleil permanent et au sein d’une nature paradisiaque, ils affectionnent les fêtes bien arrosées où chacun exprime une vitalité de tous les instants.

Leurs chants, leurs danses joyeuses, leurs légendes très imaginatives, leurs rites sauvages et parfois cruels, les opposent en tous points à l’austère morale protestante de leurs colonisateurs.

Comme on s’en doute, la Sainte Ecriture et la langue des Blancs vont l’emporter sur le « parlé » des Tahitiens, des Maoris, qui n’a pas su prendre un forme écrite.

Térii, le héros maori, chargé par son vieux maître Paofaï, de mémoriser les légendes et la langue de tout son peuple , devient le traître. Il efface de son esprit les mythes et la généalogie des rois et se vend moralement aux hommes blancs en espérant occuper une place dans leur hiérarchie.

Par ses gestes irréparables, il contribue à la transformation de ses compatriotes en « Immémoriaux », en individus déracinés et sans mémoire. Il aide au triomphe destructeur de la civilisation européenne.

Ce livre attachant d’un homme jeune – Victor Segalen a 29 ans – permet de poursuivre le combat désespéré que menait Gauguin à la fin de  sa vie, alors malade et affaibli, pour la dignité des indigènes des Iles, soumis aux caprices et aux abus des Autorités occidentales.

En reposant sur ma table de chevet « Les Immémoriaux », je réalise combien cette lutte pour préserver les indigènes et leur culture se révèle pour l’instant sans espoir.

Personne ne lira Victor Segalen. Peut-être pourra-t-on faire découvrir avec Ambroise Vollard, les oeuvres de Gauguin. Mais la plupart n’y verront que de belles couleurs, des jolies « sauvages » à la peau hâlée. Les Parisiens rêveront un peu et passeront leur chemin.

Et des langues, des rites millénaires, des légendes merveilleuses, continueront à se perdre dans un oubli révoltant.

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Gauguin,  » Vairumati « 

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Gauguin,  » D’où venons nous? Que sommes-nous? Où allons-nous? « 

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