Vu de France, cela inquiète. Observer le maire de Vienne, Karl Lueger, c’est constater combien il est facile pour la droite dure et antisémite d’accéder au pouvoir dans un grand pays européen.
Nul ne sait qui de la poule ou de l’oeuf… Le bourgmestre de Vienne tient-il des propos contre les juifs pour ramasser des voix dans les milieux populaires viennois qui apprécient cette vision des choses ? Ou les phrases assassines et scandaleuses de Karl Lueger font-elles naître des sentiments nauséabonds dans le public qui l’écoute ? Les deux à la fois sans doute.
Karl Lueger
Il encourage l’exclusion des étudiants juifs des corporations d’étudiants, il dénonce la prééminence des grandes familles d’industriels -les Hirsch, les Springer, les Wodianer ou les Rothschild – et revient souvent sur « la culpabilité d’un peuple qui a crucifié le Christ ». Les petites gens des faubourgs viennois -artisans, commerçants sans le sou – apprécient ces phrases simples qui désignent des boucs émissaires évidents aux malheurs des temps.
« Der Schöne Karl » – le beau Charles – homme grand et élégant, parle aussi en dialecte pour séduire des masses qui recherchent son sens de la proximité, ses allusions « aux vrais problèmes de tous les jours ». Il remonte le Ring en serrant les mains qui se tendent. Il capte, à chaque instant, l’humeur du moment, l’ambiance d’une époque, les désirs cachés de foules urbaines qui se veulent un interprète et un guide.
Inquiétante aussi cette facilité à accéder et à se maintenir au pouvoir : Karl Lueger a été élu démocratiquement en 1897 et a toujours été réélu depuis.
La monarchie a un peu bronché au début et l’Empereur François-Joseph a refusé de le nommer immédiatement dans son poste mais finalement, s’est incliné. Depuis, Lueger et l’Empereur se croisent régulièrement à l’Opéra et se serrent cordialement la main.
Lueger est un gestionnaire habile. Il a fait construire à Simmering et Leopoldau les usines à gaz dont la ville avait besoin, il a électrifié les tramways et s’investit dans un programme social ambitieux réclamé par les milliers d’ouvriers miséreux des quartiers périphériques. De nouveaux hôpitaux et sanatoriums voient aussi le jour. Il entoure la ville d’une ceinture verte bienvenue pour les promenades du dimanche.
Les Viennois aiment cette Droite pleine d’assurance, ce tribun populiste qui les berce et les dirige d’une main sûre.
Chaque année, dans les faubourgs ou dans les salons, l’antisémitisme grandit, prend de l’ampleur comme un cancer. Il pourrait un jour étouffer l’Autriche comme la peste.