Toulouse-Lautrec, » La Modiste «
Il fréquentait les bordels. Il y peignait sans égard les personnages les plus variés, sans s’attendrir, en faisant parler les faits, froidement.
D’une taille de 1,52 mètres, Henri de Toulouse-Lautrec avait décidé de s’étourdir dans la vie. Riant de son infirmité, compensant par le génie ce que le physique ne lui avait pas donné, il se jetait sur les toiles avec avidité. Mort en 1901, trop jeune, à trente-sept ans, il a eu le temps de réaliser une oeuvre impressionnante.
Cette modiste demeure un joli symbole de son talent.
Ivresse chromatique qui enveloppe la jeune femme, pauvreté du décor. La lumière éclaire un visage sensuel et doux, l’obscurité cache le cadre d’une activité, d’un métier plus austère qu’on ne croit.
On ne saura rien des pensées peu joyeuses qui étreignent notre héroïne, Toulouse-Lautrec a su saisir l’instant où la faille apparaît. La fêlure qui fait douter d’un bonheur possible.
Le monde de ce peintre connaît la fausse joie des professionnels de la nuit. Cette gaieté feinte, fabriquée, destinée à divertir le fêtard ; ce rire qui pue le vin, ces blagues lancées grassement à la cantonade, dans le brouhaha d’un cabaret.
Plus avisé encore, Lautrec peint « l’après ». Le spectacle est fini, on se rhabille. Les rires ont cessé, il ne reste que le corps nu qui cherche les vêtements de tous les jours, il ne reste qu’à retourner à son modeste emploi de modiste.
Dans un bref instant de songe, entre deux clientes, l’imagination reconstitue ce monde de la nuit attirant et lénifiant. Il faut attendre le soir qui vient vite pour pouvoir à nouveau faire tomber les barrières entre la vendeuse et celle qui achète, entre la petite employée et la bourgeoise.
Dans la salle, sur scène, dans les loges, les classes sociales se mélangent, s’épient. Les rôles sont inversés si le talent est au rendez-vous. La scène domine la salle, le peuple se donne à voir aux bourgeois qui applaudissent.
Toulouse-Lautrec a immortalisé ce monde du spectacle, ce monde où le temps n’est plus compté avec les mêmes pendules que le jour. Il est mort à trente-sept ans mais ses personnages, si denses et expressifs, lui survivent pour très longtemps encore.