29 février 1908 : Mata Hari , un dossier à classer

matahari.1204236985.jpg Mata Hari

 » Surveillez-là, ne l’approchez pas de trop près mais vérifiez si des personnalités publiques ne sont pas victimes de ses charmes !  »

Mission peu ragoûtante confiée par le chef de cabinet, le sous-préfet Roth.

Margaretha Geertruida Zelle, la petite trentaine, est danseuse de son état. D’allure eurasienne, elle se fait appeler Mata Hari : « l’Oeil de l’Aurore » en malais.

Son public enthousiaste et de plus en plus international (elle commence à se produire dans d’autres capitales que Paris) apprécie ses danses exotiques et … érotiques.

J’avais été la voir quand elle se produisait dans la salle de spectacle privée du Musée Guimet. On ne peut pas dire qu’elle dansait bien mais on restait fasciné par ses déhanchements et les mouvements de son long corps voluptueux qu’elle ne savait cacher longtemps.

Elle prétend être la fille d’un prince indien ? Les rapports de police dont j’ai demandé la transmission indiquent que son père était plutôt un vendeur hollandais de casquettes et chapeaux !

Les prêtres hindous lui auraient appris ses danses sacrées ? En fait, elle aurait improvisé ses chorégraphies aguichantes quand elle était … une jolie courtisane appréciée des milieux aisés.

Pour l’instant, je n’en sais guère plus. Je compte sur mes contacts suivis avec la Préfecture de Police pour récupérer des informations supplémentaires.

Le Préfet Lépine, homme droit et franc, va encore être peiné de devoir collaborer à la mission dont j’ai la charge. J’entends déjà sa réaction :  » Mais enfin, qui essayez-vous de mouiller ? Qui voulez-vous faire tomber ? Ah, ces combines de basse politique, c’est à vomir !  »

Et une fois de plus, je lui ferai comprendre que cette commande ministérielle gagne à être traitée par nous deux, si on ne veut pas aller plus loin qu’un rapport administratif « pince-sans-rire » qui ne contiendra que des informations sans grande importance sur le fond.

Sur la couverture  du document que je remettrai à mon chef, sera inscrit la mention « documentation non urgente » , catégorie qui ne permettra pas qu’il soit placé à portée de main du ministre. Au bout d’un mois, noyée dans une pile volumineuse prenant la poussière, la liasse sera alors brièvement ouverte par une secrétaire distraite qui procédera, du fait de l’absence de mouvement connu sur le dossier, à son classement immédiat.

Mata Hari disparaîtra alors de notre champ de vision gouvernemental et policier. Elle continuera, en toute tranquillité, à faire rêver les Parisiens en mal d’exotisme. Elle séduira encore longtemps de riches protecteurs qui pourront, grâce à ma mauvaise volonté et à celle du Préfet, rester … d’heureux anonymes.

27 février 1908 :  » Les prix flambent ! « 

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 Le  » franc or « 

 » Les prix flambent !  » Voilà une expression qui amène peu de contestations lorsqu’elle est lancée dans un déjeuner entre collègues. On peut aussi l’essayer avec ses voisins et obtenir sur le sujet un consensus rapide dans tout l’immeuble.

Et pourtant ! La Statistique Générale de France, bureau prestigieux rattaché, il y a peu, au tout nouveau ministère du travail de Viviani, apporte une vision plus nuancée du sujet.

Une première grande enquête, transmise à notre ministre, a été réalisée l’an dernier sur la consommation des Français.

– S’il est vrai que l’ouvrier, l’employé et le petit fonctionnaire continuent de consacrer bien plus de la moitié de leurs revenus à l’alimentation, ils se procurent pourtant de plus en plus de viande et ils mangent en revanche moins de pain, aliment de base du pauvre.

– Les bourgeois mobilisent moins d’un cinquième de leurs ressources pour la nourriture et investissent de plus en plus dans la rente mobilière.

– Les employés comme les bourgeois essaient de se constituer des réserves alternant dépôts en banque, achats de valeurs (emprunts d’Etat) et bas de laine (au sens propre du terme). Le franc germinal ou franc or, finalement très stable (0,32 g d’or), est conservé dans de nombreuses chaumières, maisons ouvrières ou appartements bourgeois. Chacun met de côté pour ses vieux jours. Rares sont en effet les professions où l’on peut bénéficier d’une pension.

En fait, quand on évoque la  » vie chère  » , de quoi parle-t-on ?

Chaque Français veut maintenant acheter du cacao pour ses enfants ou boire du café. On met à présent du sucre partout et les petits adorent cela. Or, ces denrées restent plus coûteuses que le pain ou la traditionnelle pomme de terre.

Les vêtements confortables en laine ou coton font reculer les blouses. Sur ces articles, là aussi, le porte monnaie est plus rudement mis à contribution qu’autrefois.

Et encore, je ne parle pas du logement. Si on souhaite  » l’eau et le gaz à tous les étages » , la petite plaque bleue si recherchée, il faut accepter d’amputer une part non négligeable de ses revenus.

En définitive, que les Français veuillent simplement se nourrir de façon variée ou qu’ils aient envie de profiter un peu des nouveaux produits ou conforts modernes, ils n’ont pas fini d’avoir le sentiment de ne pas gagner assez !

26 février 1908 : Fortune personnelle et service de l’Etat

paul-cambon.1203976204.jpg P. Cambon

Rencontre éclairante et édifiante avec l’ambassadeur de France à Londres, Paul Cambon. Il n’était pas prévu que nous parlions diplomatie mais plutôt de son parcours de haut fonctionnaire. Préfet de l’Aube, du Doubs puis du Nord, M. Cambon a eu une carrière administrative riche avant de représenter notre pays au Royaume-Uni ; il connaît donc les rouages de notre Administration.

Quand on s’entretient avec ce personnage prestigieux de notre corps diplomatique, signataire en 1904 des traités de l’Entente cordiale avec l’Angleterre, on peine à imaginer les conditions dans lesquelles il a effectué une partie de son ascension professionnelle.

Contrairement à beaucoup de ses collègues, Paul Cambon est issu d’un milieu assez simple. Sans fortune personnelle, il a eu les plus grandes difficultés à assumer la fonction de représentation dévolue à un préfet.

Il me confie en soupirant :

 » Pour faire face aux invitations destinées à m’attirer les bonnes grâces des notables locaux et organiser les réceptions et les bals attendus d’un préfet, il me manquait plus de 10 000 francs par mois dans mon traitement de fonctionnaire.

Rendez-vous compte, j’étais obligé d’emprunter l’argenterie de mes beaux parents lorsque je donnais des réceptions à la préfecture de Lille !

Comme ambassadeur, je m’en sors mieux mais uniquement grâce à la fortune de celle qui est mon épouse depuis peu, fille d’un général de Napoléon.  »

La situation n’est pas saine.

Si la fortune reste une condition pour faire face aux obligations liées à l’exercice de hautes responsabilités publiques, il restera illusoire de vouloir démocratiser l’accès aux corps prestigieux.

Et les rares représentants de milieux modestes parmi les hauts fonctionnaires , parce qu’ils sont obligés d’emprunter et/ou de faire des mariages d’intérêt, deviennent les « obligés » des aristocraties et des anciennes élites dirigeantes.

Ces mêmes élites que les gouvernements républicains successifs ont pourtant tentées d’écarter.

24 février 1908 : Prélude à l’Après-Midi d’un Faune

2008_0216_154514aa.1203169327.JPG La salle Gaveau

Concert Salle Gaveau hier soir.

Le chef d’orchestre André Messager et l’Orchestre Lamoureux nous emmenaient avec talent dans l’oeuvre de Debussy : « Prélude à l’Après Midi d’un Faune » , d’après le poème de Mallarmé.

messager.1203845893.jpg A. Messager

Sur les bords de l’Etna, dans un après-midi inondé de soleil, le Faune observe, caché dans les roseaux, les délicieuses Nymphes. La chaleur est moite et la passion monte.

La flûte enchante les jeunes déesses qui se laissent surprendre. Pendant qu’elles se soumettent avec une résistance feinte au désir du Faune, Debussy entraîne ses auditeurs dans un jeu complexe d’arabesques et d’harmonies fondues faites de cors, de harpes et de hautbois.

Les violons appelés à la rescousse rythment la scène sans que l’on sache bien si nous sommes dans le rêve du Faune ou dans celui des Nymphes finalement conquises.

Pendant le concert, je dévisageais discrètement la sulfureuse princesse de Polignac (on prête des moeurs très particulières à cette amoureuse de grande musique) assise à quelques rangées de moi. Elle restait attentive, son visage fin et intelligent n’était traversé que par quelques rares expressions de satisfaction à l’écoute de cette musique très sensuelle.

A un moment, son regard s’est tourné dans ma direction. J’ai senti un peu d’amusement dans ses yeux. Honteux d’être découvert, je me  suis plongé dans le reste du programme de la soirée: Fauré, Weber, Rimski-Korsakov, Rachmaninov. Un pur bonheur.

Lorsque nous sommes sortis, j’ai entendu quelques spectateurs qui évoquaient le tableau ayant inspiré Debussy : une toile de Boucher exposée à la National Gallery de Londres.

Pour rester dans l’ambiance magique de ce concert hors du commun, je vais aller cet après-midi contempler les oeuvres de Boucher du Louvre.

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Cette « Diane Sortant du Bain » pourrait bien capter mon attention un moment. Un peu d’imagination et je peux faire revivre ce Faune, cette force sauvage qui croit dominer la grâce et se laisse en fait submerger par son désir brûlant pour cette beauté féminine parfaite qui se dérobe au simple mortel qui s’approche.

22 février 1908 : La mission Pavie ; une conquête sans larme et sans arme

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Luang Prabang

Conquête des coeurs, visions de contrées humides, chaudes, inondées de soleil, paysages fabuleux de monts arrondis à perte de vue, bruits assourdissants des eaux furieuses des rapides du Mékong, odeurs des forêts vierges inexplorées puis retour au calme dans une maison en bambous et paillottes … je pose sur ma table de nuit, rêveur, les premières pages du journal d’Auguste Pavie.

Fonctionnaire retraité installé en Bretagne, il est connu au ministère pour avoir délimité les frontières du Laos avec la Chine (c’était la fameuse « mission Pavie » ) après avoir placé ce royaume sous la protection de la France.

Il a fait cela sans tirer un coup de feu. Ses seules victimes demeurent les merveilleux papillons et autres insectes qu’il a collectionnés là-bas.

Il a su convaincre, souvent seul, les milliers d’habitants du nord de l’Indochine de se rallier à la République Française. Ses seules armes : l’écoute, la simplicité des attitudes, une parfaite connaissance des moeurs locales et des langues pratiquées, un vrai sens du rapport de force qui lui permet d’exploiter au mieux la peur suscitée par les ambitions du puissant Siam voisin.

Pavie m’a confié, quand il est parti à la retraite ( je représentais mon chef à la réception donnée en son honneur au Quai ), qu’il lui faudrait de nombreuses années pour relier, compléter, annoter, tous les documents réunis lors de ses missions en Indochine.

augustepavie.1203625897.jpg A. Pavie

Ce que j’ai déjà pu voir, ce soir, de son oeuvre laisse admiratif.

Il nous fait revivre son aventure avec un vrai sens des effets et du suspens. Nous le suivons haletants, lorsqu’il sauve d’une mort certaine le vieux roi de Laos à Luang Prabang. Nous tremblons avec lui quand il arrive à échapper in extremis aux redoutables pirates chinois « Pavillons-Noirs » .

Patiemment, avec beaucoup de poésie et de souci du détail, c’est aussi toute une civilisation qu’il fait revivre pour nous. Sur des centaines de pages, s’étalent des relevés topographiques, des dessins de flore et de faune exotiques et des analyses passionnantes d’ethnologie ou d’histoire locale.

Il faut que je parle d’Auguste Pavie à Clemenceau. A minima, je calmerai peut-être les ardeurs anti-coloniales de mon Patron. Au mieux, il acceptera de rédiger une dédicace pour ce journal, séduit par la personnalité passionnée et idéaliste de son auteur.

20 février 1908 : Une armée qui réfléchit trop

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Dans notre République, il y a un débat récurrent : l’école prépare-t-elle à la caserne ou la caserne doit-elle continuer l’école ?

Dans le premier cas, on axe nos effort sur la constitution d’une armée française puissante, performante, solidement implantée dans le pays. Après la désastreuse guerre de 1870, cette orientation apparaissait comme prédominante. Il fallait à tout prix préparer la « Revanche ».

Avec la seconde option, l’élévation du niveau d’instruction de la population devient une priorité et l’armée est priée de se mettre au service de cette grande oeuvre. Depuis le début des années 1900, la France privilégie cette belle idée.

Clemenceau, pour sa part, souhaite en avoir le coeur net sur ce que les jeunes recrues apprennent au cours de leur service militaire et il remet en question le fait que l’armée se transforme en école.

 » Les boulangers doivent faire du pain et les plombiers réparent les tuyaux. Si on inverse les rôles, les tuyaux se percent et le pain a un goût infâme. Pour l’armée et l’école, c’est pareil. Laissons les instituteurs apprendre aux enfants à lire, écrire et compter. Demandons aux officiers de préparer nos jeunes à porter les armes pour défendre le pays et ne mélangeons pas tout « .

Le Patron me demande donc un court rapport sur cette question, sachant que je vois bien la réponse qu’il souhaite que j’apporte !

Je viens de me mettre en contact avec la hiérarchie militaire pour recueillir les opinions de généraux réputés et j’ai demandé à assister, dans les régiments, à quelques cours dispensés par des officiers aux jeunes recrues issues de toutes les villes et campagnes de France.

Après observation, j’ai été assez convaincu par le fait que les gradés devaient se préoccuper de la situation mentale et de la vie matérielle de leurs subordonnés. Demander des nouvelles de la famille n’est pas un mal en soi. L’officier a sans doute une responsabilité sociale à assumer.

En revanche, j’avoue avoir été pris d’un fou rire nerveux lorsque j’ai eu l’occasion d’assister à des cours sur l’hygiène, les mathématiques, la morale civique, l’histoire ou les techniques agricoles. Dans les casernes visitées, ces enseignements prenaient une bonne part de l’emploi du temps des jeunes appelés. Les officiers, guère compétents sur ces sujets mais beaux parleurs, dispensaient sans aucune méthode, des savoirs incertains à des jeunes gens complètement somnolants (levés depuis cinq heures au clairon !).

Et pendant ce temps, j’imaginais l’armée prussienne, nombreuse, bien équipée, se préparant en bon ordre au tir et aux manoeuvres complexes de campagne. Je voyais déjà des mitrailleuses allemandes faucher sans pitié nos intellectuels à deux sous, nos officiers pérorants, en lunettes, le doigt sentencieux levé, avec un livre « sur l’hygiène  » à la main.

Une fois de plus, l’Etat major est à côté de la plaque. Une fois de plus, Clemenceau et les ministres vont devoir se fâcher pour que les soldats redeviennent … des soldats.

Clemenceau a demandé à consulter mon rapport avant même qu’il ne soit terminé. Satisfait de sa lecture, il m’a glissé, malicieusement :  » il ne sert à rien d’apprendre l’algèbre à la caserne. Le soldat ne doit savoir compter que  … jusqu’à « 2  »

Il a alors quitté mon bureau, hilare, le corps rigide, le torse bombé, la tête levée, singeant un soldat marchant « au pas cadencé » sous les ordres d’un caporal aboyant de grands « une, deux, une, deux « .

19 février 1908 : Garnier, le bonheur est dans le béton armé

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Tony Garnier, dessin pour une cité-jardin

Dans le cadre de mes fonctions, j’ai des rendez-vous avec beaucoup de gens avec pour mission de leur donner l’impression qu’ils ont été reçus par « quelqu’un de très important qui va confier au Président du Conseil, sur-le-champ, ce qu’il a entendu » . Mes interlocuteurs doivent croire que Clemenceau tenaient à les recevoir personnellement ; mais … voilà … un contretemps de dernière minute ….

Cela donne des entretiens amusants, passionnants ou pathétiques.

Aujourd’hui, nous étions dans le registre de l’amusant.

Tony Garnier. Son nom ne me disait rien et je savais juste qu’il venait d’être embauché comme architecte par la Ville de Lyon.

Il souhaitait être reçu  » au plus haut niveau  » . Un peu déçu au début que le plus haut niveau s’arrête à ma modeste personne, il a rapidement oublié qu’il n’avait pas un ministre face à lui, emporté qu’il était par sa passion pour l’architecture et ses projets de cités futuristes.

Et bien, notre Tony Garnier, il va nous changer notre société ! Fini les commissariats, les églises, les prisons ou les casernes … Dans les villes du demain qu’il imagine, l’Homme sera naturellement bon et pourra aller jusqu’au bout de sa personnalité, sans contraintes.

Les lieux de travail resteront soigneusement séparés des habitations. Celles-ci seront bordées d’arbres, d’espaces verdoyants et de vastes stades pour des sports pratiqués par tous.

Les véhicules circuleront sur des voies les séparant soigneusement des piétons, le cas échéant dans des souterrains. Des aéroplanes vont envahir les airs et permettront à chaque homme de rejoindre les autres dans des délais records.

Chaque citoyen pourra retrouver ses semblables au centre municipal où se prendront les décisions collectives comme dans une agora.

Le tout utilisera le béton armé qui permet des lignes pures et audacieuses pour chaque bâtiment.

Le calendrier sera rythmé par des fêtes et des cérémonies populaires dont les défilés franchiront les entrées monumentales de stades  où des spectateurs joyeux célébreront une société réconciliée avec le bonheur.

Ah, ce Tony Garnier ! Je l’ai écouté jusqu’au bout. Sa fraîcheur m’a fait du bien. Cela change des attaques mesquines entre administrations ou des interpellations de parlementaires jaloux et ennemis du Patron.

Paix, sérénité et béton armé. Merci Monsieur Garnier !

17 février 1908 : Neuilly, ville de combats acharnés ?

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Barricade d’insurgés de la Commune

Visite chez des amis, à Neuilly-sur-Seine, en cette fin de semaine (les milieux parisiens à la mode commencent à employer une horrible expression anglaise :  » week-end  » ) .

Neuilly : personne n’a oublié les combats terribles de 1871 au moment où des fédérés de la Commune se sont retranchés dans des maisons de la ville et ont résisté pendant plus d’un mois et demi à des bombardements intensifs.

Les Versaillais avaient dirigé leurs puissants canons du Mont Valérien vers les quartiers abritants les communards. Plus de cinq cents maisons ont été détruites avant que les quelques fédérés survivants ne quittent les lieux.

Lorsque l’on se promène dans cette ville aujourd’hui, au milieu des hôtels particuliers et des quartiers résidentiels aisés, on peine à imaginer ces combats d’il y a quarante ans.

Communards prisonniers des troupes versaillaises

Neuilly, il y a deux ans, le 12 novembre 1906, c’est aussi le premier vol du brésilien Santos Dumont à Bagatelle, propriété de la Ville. Son biplan  » 14 bis  » s’est élancé pour un vol homologué – de 220 mètres au dessus de l’herbe – devant des centaines de spectateurs enthousiastes.

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Ces combats de 1871 et ce vol de 1906 font dire à mon ami neuilléen qui voit, sans doute un peu vite, des symboles partout :

 » Il faut se méfier du calme apparent de Neuilly. Elle peut être, un jour, une sombre ville d’affrontements terribles et un autre jour, une cité radieuse d’où l’on prend son envol majestueux pour un grand destin.  »

Pour l’agacer un peu, en Parisien moqueur, je lui réponds en mobilisant quelques connaissances éthymologiques acquises de fraîche date dans un dictionnaire :

 » Mais Neuilly ne tire-t-elle pas son nom de  » lun  » qui signifie  » forêt  » et de « noue  » que l’on peut traduire par …  » marécage  » ? « .

15 février 1908 : Retrouver une ambition sociale, c’est possible.

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 » C’est un sceptique, presque un cynique mais il est passé par le socialisme et il lui en restera toujours quelque chose » .

Qui parle ? Blum, le jeune fonctionnaire prometteur avec lequel je déjeune parfois quand je passe au Conseil d’état.

De qui parle-t-il ? Aristide Briand, le nouveau Garde des Sceaux.

 A. Briand

Le Patron est impressionné. En quelques semaines, cet homme madré a pris des dispositions qui vont réellement dans le bon sens.

Les ouvriers ne pouvaient être membres de jurys d’assises. Disposition choquante qui en disait long sur la conception qu’avait notre République des classes populaires. Grâce à une simple circulaire, le ministre de la justice autorise ces salariés à être jurés et donc devenir des citoyens à part entière. Dans le texte qu’il vient de signer, il prévoit que les ouvriers ne pourront être licenciés pendant qu’ils occupent cette fonction dans l’appareil judiciaire. Il revalorise les indemnités des jurés afin que les ouvriers puissent être retenus sur les listes sans être pénalisés au niveau de leurs ressources.

Le recrutement des magistrats est démocratisé par une autre mesure simple : les juges suppléants sont à présent rémunérés, ce qui élargit leur recrutement en dehors de la bourgeoisie aisée et rentière.

Les personnes injustement emprisonnées sont maintenant indemnisées…

Et j’en oublie.

Les mesures pleuvent. Pour les femmes divorcées, pour les faillis non frauduleux, pour les saisis sur salaires … Briand écoute, agit, tranche vite, fait bouger le droit.

Grâce à ce ministre inventif et volontaire, le gouvernement peut garder une ambition sociale. Mon Patron devrait s’inspirer de cet exemple, lui qui a un peu trop tendance à se contenter d’envoyer la troupe en cas de grève ou de manifestation.

14 février 1908 : Où sont les dreyfusards de la première heure ?

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Auguste Scheurer-Kestner et Dreyfus réintégré dans l’armée

Dans les jardins du Luxembourg, inauguration d’un monument en hommage à Scheurer-Kestner, l’ancien vice-président du Sénat qui a soutenu Alfred Dreyfus dès le début de l’Affaire.

En 1897, il en fallait de la clairvoyance pour se ranger parmi les défenseurs de cet innocent !

A travers ce que disait la presse, les fausses preuves réunies par certains militaires, les mouvements d’une partie de l’opinion publique volontiers antisémite, il n’était guère évident d’entendre et de comprendre ceux qui restaient persuadés de l’innocence de Dreyfus.

Scheurer-Kestner fait parti de ceux qui ont convaincu mon Patron de basculer, à temps, du bon côté. Par son prestige d’homme politique haut placé, il a donné plus de crédibilité aux thèses de la défense.

Je ne peux oublier cette triste affaire. Je n’ai pas le souvenir exact du moment à partir duquel j’ai douté de la culpabilité de cet officier mais je suis sûr que c’est bien tard. Quant à la date où j’ai agi effectivement pour sa réhabilitation, elle est encore plus tardive. Comme beaucoup, j’ai un peu honte. Il m’a paru longtemps impensable que les états-majors, les tribunaux militaires, les plus hauts magistrats de France, la grande presse et une majorité des hommes politiques puissent se tromper ou osent mentir.

Pire, je ne suis pas sûr que la thèse selon laquelle il ne fallait à aucun prix désavouer l’armée et les institutions, quitte à faire payer un innocent, n’ait pas eu prise sur moi.

Et puis, dans beaucoup de milieux, s’afficher dreyfusard était mal vu. Alors, même si l’on doutait, on se taisait.

L’hommage d’aujourd’hui rendu à Scheurer-Kestner est l’occasion de réfléchir à tout cela, de remettre certaines valeurs à leur place. Oui, la vie et le respect d’un seul homme doit passer au dessus des certitudes de toute une Institution. Oui, il faut s’opposer au mensonge d’Etat.

Scheurer-Kestner est mort d’un cancer avant la révision du procès et la réhabilitation définitive de Dreyfus. Il nous laisse avec nos remords et nous nous pressons autour de son monument, en foule dérisoire, pressée d’oublier qui pensait quoi, qui faisait quoi, il y a dix ans.

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