Jan Toorop : » Les trois Mariées »
Ma nièce a rencontré sur les boulevards un garçon qui lui plaît. De cette simple phrase pourrait découler de vrais moments de joie. Il n’en est rien.
Mon oncle : » Mais qui est ce jeune homme ? Nous avons pris nos renseignements, il s’appelle Jacques M… , il n’a aucune fortune et aucune situation établie.
Ma nièce : Il me plaît, voilà tout. Il m’a suivi et rattrapé boulevard Brunes. J’ai aimé l’humour avec lequel il m’a abordée.
– Ta soeur aînée qui a fait, elle, un beau mariage avec Jean, te présentera cette semaine à un autre monsieur, qu’elle connaît. Il finit ses études de médecine et pourra faire honneur à notre famille.
– Mais nous n’allons pas retomber dans les conventions ridicules dont a souffert me soeur ! Je me rappelle, la demande de fiançailles présentée par les parents de Jean ; puis cette discussion sordide sur les intérêts patrimoniaux des deux familles.
– Ma non, ma chérie, Jean était déjà charmant. Tous les jours pendant les fiançailles, il envoyait un bouquet de fleurs blanches à ta soeur et un autre bouquet à ta mère.
– Ah, oui. Sa seule originalité était de se conformer à la mode orientale et de glisser quelques fleurs rouges au fur et à mesure que la date du mariage se rapprochait. Quelle audace, j’en ris encore !
– Mais ma chérie, que vas- tu devenir si tu ne fais pas un beau mariage ? T’imagines-tu que c’est la fréquentation de l’Université des Annales après celle de l’Ecole des Mères qui te conduira à un métier te permettant de subvenir à tes besoins ?
– En fait, je suis piégée. Il était exclu que je fasse de vraies études et maintenant, je suis condamnée à suivre l’homme que vous allez me désigner. Je n’en ferai rien. Je serai actrice ou catin, mais je serai libre, vous entendez, libre ! »
Ma nièce est partie de chez-elle en claquant la porte. Nous l’hébergeons à la maison à partir de ce soir.
Entre actrice et catin, je l’invite dans notre conversation du dîner, en souriant, à choisir la première hypothèse.