Que préférez-vous ? Un poste de général avec un bel uniforme rouge et bleu ou une fonction plus discrète au ministère des transports ? Un riche Chinois n’hésite pas longtemps. Il laisse la fonction militaire où les détournements de fonds restent plus difficiles voire interdits et se jette sur le métier de directeur coordonnant la construction des nouvelles lignes de chemins de fer ou la réfection de milliers de kilomètres de route.
Des fonctionnaires de police chinois dans le Pékin des années 1910
Étonnant ? Préférer l’ennui de la vie de bureau plutôt que le prestige d’encadrer une armée toute neuve, formée à l’occidentale, avec un mélange de méthodes prussiennes, anglaises et françaises ! L’explication de ce choix n’est pas à chercher loin. Dans l’Empire chinois, une bonne part des postes de l’administration civile est rémunérée par des « prélèvements directs », plus ou moins occultes, sur l’activité placée sous contrôle de l’État. Tel poste de directeur se vend 50 000 taels (200 000 francs) et ses titulaires savent qu’ils peuvent récupérer cette somme sur cinq ans et ensuite s’enrichir, tranquillement.
Tranquillement ? Pas tout à fait. La puissante presse chinoise veille. Vieille de six siècles, très lue, hargneuse, bien informée, commentée à haute voix par les bonzes pour les villageois illettrés, elle étale la vie privée des serviteurs de l’État à longueur de pages. Malheur à celui qui se prétendait pauvre alors qu’il organise une réception fastueuse pour le mariage de sa fille ! Il fera l’objet d’articles au vitriol jusqu’à ce qu’il démissionne ou qu’il rende les fonds prélevés indûment.
Vénalité des charges, détournements des fonds publics, lutte contre la corruption : la Chine hésite entre ces modes de fonctionnement.
Nous recevons ce jour trois commissions de Célestes (j’aime ce nom que nous donnons à nos amis chinois). L’une a pour but d’observer nos règles d’hygiène publique, l’autre vient assister à des manœuvres de nos régiments dans l’est de la France et la troisième passera de longs moments à la Chambre pour bien comprendre les subtilités de notre vie parlementaire.
Ne doutons pas qu’avec une observation aussi fine du fonctionnement de notre belle République, les Chinois transformeront leur État en modèle du genre.
Toutes les grandes puissances veulent avoir leur part du « gâteau chinois ». Le Japon a déjà pris place alors que la Russie et la France attendent leur tour avec impatience…
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Dans toutes les (bonnes) librairies :“Il y a 100 ans. 1910″
Le « gâteau chinois » on y mord donc apparemment depuis longtemps. Par contre je ne connaissais pas le rôle vertueux de la presse chinoise de l’époque. A ne pas comparer avec la presse occidentale d’aujourd’hui.
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Il semble que notre narrateur exagère quelque peu l’importance qu’avait traditionnellement la presse en Chine, qui pour être effectivement très ancienne, avait quand même un rôle fort limité en dehors du champ officiel (mandarinal).
L’explosion d’une presse moderne est en cours, toute fraîche car la Chine en ce moment bouge, et bouge vite. Les jeunes lettrés ont largués les vieux préjugés et écrivent maintenant dans un style populaire, plus direct et beaucoup moins ampoulé, littéraire.
Et pas un jour ne se passe dorénavant sans qu’un journal de Shanghaï, de Tsien Tsien ou même de Pékin ne révèle quelques turpidudes de la famille impériale, ne dénonce les dernières manigances des impérialistes nippons ou des plutocrates anglais (ou français), tout en se faisant l’écho des idées de progrès economique, de liberté politique, voire même en agitant le spectre d’une révolution à venir…..
Bye
Olivier Stable
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