17 mars 1910 : Le violon, l’instituteur et le curé

Les fidèles de la procession s’arrêtent, stupéfaits. Par la fenêtre d’une maison de la rue Victor Hugo, dans cette petite ville tranquille non loin de Niort, ils entendent s’échapper les mesures de la Marseillaise. L’hymne national est joué avec vigueur, au violon, par l’instituteur qui rythme chacun de ses coups d’archet par un petit claquement de pied « tac, tac, tac ». L’air est entraînant mais paralyse, un instant, de stupeur les catholiques très pratiquants qui marchaient jusqu’à présent les mains jointes. Après avoir repris leurs esprits, les réactions courroucées ne se font pas attendre : les uns se signent, horrifiés, tandis que d’autres lèvent le poing furieux en criant « Satan ! Satan !».

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Dans une toute petite ville tranquille, non loin de Niort…

Le surlendemain, le maître d’école reçoit une lettre de l’inspection académique où son comportement est blâmé. Selon les termes du courrier, il a « inutilement provoqué l’Église » par une manifestation jugée « aussi indécente que puérile ».

Fin du premier épisode.

Plusieurs mois après, l’affaire rebondit et continue à faire des vagues. Le fonctionnaire musicien a saisi le Conseil d’Etat pour contester la sanction morale dont il fait l’objet. Plusieurs associations départementales d’enseignants le soutiennent et demandent audience au ministre de l’Instruction publique. Quant à l’évêque local, il exige au contraire le renvoi pur et simple de l’intéressé en considérant que la liberté du culte a été gravement mise en cause.

Des parlementaires de droite comme de gauche s’emparent du dossier tandis que la presse nationale commence à préparer des articles aux titres vengeurs.

Hier, Briand me donne alors l’ordre de stopper cette machine infernale qui risque, ni plus ni moins, de gravement troubler les prochaines sessions parlementaires.

Aujourd’hui, les protagonistes de cet incident sont donc tous dans mon bureau et nous nous efforçons de trouver une porte de sortie honorable pour chacun. L’objet du « délit », le violon, est posé sur la table de dégagement à côté de moi.

Un cardinal, deux évêques, trois présidents d’associations d’instituteurs, le maire de la commune, le député, le recteur et l’inspecteur d’académie s’échauffent autour de la table et font part de leur indignation à chaque fois que le camp d’en face prend la parole. Le député est ouvertement anti-clérical alors que le maire ne cesse de rappeler son attachement à l’Église. Le recteur regrette l’importance prise par l’affaire mais refuse de désavouer son subordonné inspecteur d’académie qui craint, pour sa part, une nouvelle guerre scolaire dans sa région si les enseignants continuent à s’y comporter de façon maladroite.

Les dignitaires catholiques sont regardés avec haine par les représentants des maîtres mais refusent de se laisser intimider en insistant sur le caractère presque « sacré » de la sanction reçu par le violoniste patriote.

La situation paraît bloquée. Et je me renverse sur mon fauteuil de lassitude, en essuyant mes lunettes.

Soudain, une idée me vient.

Je saisis l’instrument de musique et propose à tous mes interlocuteurs de descendre dans la rue, au bas de mon bureau, « pour tester le bruit d’un violon jouant la Marseillaise ».

Quelques minutes plus tard, défilent ainsi sous les fenêtres du ministère de l’Intérieur, trois hauts dignitaires catholiques, des maîtres d’école meneurs syndicaux, quelques élus locaux et des hauts fonctionnaires de l’Instruction Publique. Tout ce petit monde écoute attentivement mon récital au violon : la Marseillaise, bien sûr… mais, sentant mon public charmé, j’enchaîne avec une partita de Bach puis une sonate de Mozart. Les uns et les autres m’écoutent, « religieusement » sous le regard amusé des passants.

Lorsque tout ce petit monde revient à la table de la négociation, avec le sourire de ceux qui ont pris l’air et ont pu écouter de belles mélodies, nous convenons d’annuler la lettre de blâme touchant le pauvre instituteur.

Dans un grand élan de pédagogie et de générosité, nous décidons de la remplacer par un courrier simple, conseillant, pour la prochaine fois, à l’instituteur, de « diversifier le répertoire joué… à tous les grands noms de la musique classique ».

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