28 mars 1910 : Tuer son patron pour 65 centimes

La jeune veuve a-t-elle tué son patron et incendié l’usine dans laquelle elle travaillait ? Arrestation humiliante, enquête bâclée, jugement inique, le lecteur connaît la vérité et frémit de l’erreur judiciaire touchant l’héroïne : vingt ans d’emprisonnement ! Heureusement, à la suite d’une évasion réussie, la course s’engage pour retrouver le véritable criminel. Comme dans tous les romans populaires, la fin sera morale et rassurante.

Qui n’a pas lu « La Porteuse de Pain » de Xavier de Montépin ? Des rebondissements toutes les dix pages, une héroïne attachante et seule contre tous parfois, l’éloge du courage face à des obstacles a priori insurmontables. On ne lâche pas un tel roman qui transforme les heures en minutes et les longues attentes en gare en moments de détente. Peu importe le style, tout est dans le mouvement ; oublions la finesse psychologique pour observer de vrais méchants et d’authentiques salauds transformer la vie de gens sympathiques en cauchemar. Laissons de côté toute vraisemblance pour nous engager dans des combats où le bien finit toujours par triompher du mal alors que le rapport de force paraissait au départ désespéré.

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« Chaste et Flétrie » (tout un programme !) de Mérouvel, « Le Crime d’une Sainte » de Decourcelle et pour finir, le sommet de l’aventure, avec la série des Pardaillan de Zévaco.

Le sexe que l’on cache maladroitement, la sainteté bousculée, l’Histoire transformée en succession de vengeances, de sombres manœuvres et d’anecdotes croustillantes : la morne vie de l’usine ou du bureau s’oublie au fil des pages tournées avec avidité.

Le lecteur paie 65 centimes un ouvrage publié parfois à plus de cent mille exemplaires. Les éditeurs comme Fayard parient enfin sur des gros tirages pour arriver au seuil de rentabilité. Le populo peut pour la première fois acheter facilement des livres qu’il paie cinq fois moins cher qu’autrefois.

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Les fameux livres populaires à 65 centimes des éditions Fayard

En amont, l’auteur se fait rémunérer 5 à 10 centimes la ligne par le Petit Journal ou le Petit Parisien qui lancent les œuvres, dans un premier temps, sous forme de feuilletons.

5 à 10 centimes ? Il en faut des pages pour gagner correctement sa vie ! Résultat, les écrivains les plus en vue embauchent des nègres : ce sont toujours leurs idées, leur style, leur façon de raconter mais leur plume ne sert plus guère qu’à signer.

On prétend que derrière Montépin se cachent au moins dix inconnus dont le travail aussi acharné qu’industriel explique la volumineuse production. Jamais cet aristocrate dilettante ne pourrait enchaîner trois à quatre romans par an avec la vie mondaine qu’il mène et les aventures féminines qu’il collectionne avec désinvolture. De son hôtel particulier, il répond à ses admiratrices issues du peuple avec un papier à lettres luxueux orné d’une couronne ducale.

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Xavier de Montépin : un portrait et une caricature

Tous n’ont pas la chance de Xavier de Montepin, la plupart des auteurs crie misère. Il faut les imaginer avec un café fort sur la table de leur logement miteux, des couvertures sur le dos pour se protéger de l’humidité et du froid. Le peuple, ils connaissent et en font partie. Ils écrivent pour leurs semblables. L’encre sur le papier leur apporte une maigre pitance mais les met aussi en relation avec l’autre, le lecteur, celui qui justifie que l’on se lève tôt et se couche tard pour peu qu’il apprécie notre production.

Ces centaines d’écrivains qui oublient leurs rêves de gloire pour se concentrer sur des lignes qui doivent absolument plaire, méditent ces quelques mots de Stendhal : « un roman est comme un archet. La caisse du violon qui rend les sons, c’est l’âme du lecteur. »

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