29 mars 1910 : « Les études rendent les femmes laides »

 « Je suis frappé par la laideur des jeunes femmes qui font des études : leurs traits tirés, leurs yeux bouffis par l’effort, leur teint jauni des suites de l’enfermement dans des espaces clos, sans parler de leur dos courbé. Si leur mémoire reste bonne, on regrette leur absence d’imagination, leur pensée sans profondeur, leur traditionnelle intuition qui ne peut remplacer un esprit de synthèse défaillant ni de médiocres capacités déductives. » La charge de Charles Turgeon, professeur d’économie à la faculté de droit de Rennes, est sans appel et sans nuance. Dans ce dîner en ville, peu osent pourtant lui tenir tête.

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La Sorbonne s’ouvre encore très peu aux femmes

Notre université ne s’est ouverte aux étudiantes que de façon presque honteuse, dans une société qui ne veut pas de femmes savantes. Jeanne Chauvin a prêté serment récemment pour devenir avocate sous les ricanements d’une partie de la presse et des chansonniers et Madeleine Brès, la première à décrocher le titre de docteur, n’a guère convaincu le grand public qui gloussait de voir une femme « carabine ».

Pour beaucoup, la place de nos compagnes demeure le foyer, l’éducation des enfants et les soins d’un mari, seul autorisé, du moins dans les milieux bourgeois, à occuper une fonction rémunératrice. Pensez-donc, leur tempérament nerveux, leur fragilité, leur douceur même, les rend inaptes aux métiers d’hommes, scientifiques ou juridiques, et aux lourdes responsabilités !

Maternité, esthétique et économie de la maisonnée : voilà leur trio gagnant, leur mission fondamentale que seule une perversion de l’esprit pourrait modifier.

Les féministes insistent sur la liberté des femmes qui doit se matérialiser par leur libre accès aux études et à une profession intellectuelle les dispensant d’un mariage arrangé où seule la dot compte. Ils crient dans le désert face à une population indifférente voire hostile. Même Colette Yver, femme écrivain très lue, dénonce les intellectuelles « intransigeantes » à l’âme froide et aux « moeurs presque masculines ».

L’opinion publique évolue lentement. La femme médecin trouve, depuis cinq ans, plus facilement sa place que l’avocate. Le rôle protecteur du docteur sied en effet plus facilement à celles qui restent appréciées pour leurs qualités maternelles. En revanche, le maniement des codes civil et pénal, la rigueur cartésienne du droit, devraient rester un apanage masculin, pense le Français de la rue.

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La femme avocat continue à faire sourire dans la France des années 1910

Le professeur Turgeon ne trouve pas ce soir de contradicteur. Mon épouse le regarde, navrée, mais se tait, les yeux rivés sur son assiette. Pour ma part, je ne veux pas engager une polémique, isolé, au milieu de convives qui ne se connaissent pas suffisamment et qui ont hoché la tête d’approbation quand il parlait.

Notre fille Pauline fera des études. Nous la soutiendrons car elle vivra seule ce qui sera un véritable combat. Et j’espère que d’ici là, elle pourra s’appuyer sur un autre guide des carrières que celui que j’ai à la maison. L’ouvrage commence, au chapitre « métiers pour les dames » par la phrase : « la carrière la plus abordable pour la femme, celle qui lui convient le mieux, c’est assurément le mariage. »

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