11 mars 1910 : Chut ! Laissons-les mourir…

Que s’est-il passé d’épouvantable et de mystérieux dans le village de Touloug’nou dans le bassin du Congo ? Si les cases se dressent bien là, intactes, le soleil de plomb éclaire pourtant une scène de désolation.

Trois cadavres d’hommes noirs encombrent le passage de la grand-route. Une odeur pestilentielle se dégage de chaque lieu d’habitation. Les soldats français qui s’approchent ouvrent une première porte : une famille entière est affalée, sur des nattes, râlant faiblement, délirante entre deux phases de sommeil. La maigreur des parents comme des enfants fait peine à voir. Là encore, dans cette hutte, deux individus sont déjà décédés et plus personne ne semble prendre la peine de procéder à leur enterrement. Dehors, seul le bruit désagréable des criquets vient troubler un silence oppressant et lourd de menace.

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« Ils ont tous la maladie du sommeil… » diagnostique le médecin militaire

« Ils ont tous la maladie du sommeil ». L’officier médecin, malheureusement habitué de ce type de situation, vient de poser le triste diagnostic. La tribu entière est touchée par cette inquiétante maladie véhiculée par la mouche tsé-tsé. Maigreur absolue des malades, fièvre prolongée, phase de plus en plus longue de sommeil irrepressible puis de coma, délires fréquents, impossibilité à s’alimenter, vertiges et douleurs articulaires intenses… tous les symptomes du terrible mal sont réunis sur ces quelques hectares de désolation.

Le rapport établi par le médecin remonte au gouverneur puis au ministère des colonies. Il vient compléter des centaines de pages déjà transmises par d’autres officiers sur l’ensemble de notre Empire : l’Afrique se meurt.

La maladie du sommeil dont on connaît maintenant l’origine – un parasite microscopique, le trypanosome, transmis par piqûre de mouche – envahit sournoisement nos chères colonies. Elle paralyse les forces vives de territoires que nous souhaiterions mettre en valeur. Elle touche les noirs mais aussi, nous l’avons appris récemment, les blancs.

Nos soldats sur place paraissent complètement démunis. Nous n’avons pas ou peu de traitements en nombre suffisant : les injections d’un mélange énergique à base d’arsenic, recommandées par une partie du corps médical, sont encore peu répandues et on se pose des questions sur leurs effets secondaires.

Dans les tribus noires, chacun se réfugie dans une foule de croyances sur la maladie : elle se propagerait, disent les marabouts, dans les groupes où l’on parle d’elle. Seul le silence total pourrait vaincre la diffusion de l’épidémie. De même, l’enterrement des victimes devrait s’effectuer sans bruit, afin de ne pas réveiller le mort et de ne pas contaminer les survivants.

Superstition chez les noirs, affolement chez les blancs, le terrible mal gagne du terrain : Congo, Oubangui-Chari, Tchad… On signale déjà des cas en AOF et le gouverneur général de Dakar, William Merlaud-Ponty partage l’inquiétude de son collègue de Brazzaville, Martial Henri Merlin.

Que fait Paris pendant ce temps ? On échange des notes alarmistes mais sans solution, on tergiverse, les réunions se succèdent sans décision ; les crédits qui devaient être débloqués restent en caisse, les fonctionnaires de la rue de Rivoli estimant que les arbitrages n’ont pas été rendus dans les formes et que rien n’est décidé d’efficace. L’armée hésite quant à elle à mobiliser ses trop rares médecins sur place, déjà pris pour d’autres tâches urgentes.

Et là-bas, l’Afrique, notre bel avenir colonial, se meurt petit à petit… sans bruit.

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