La lame jaillit. Ernest sait qu’il ne peut plus reculer : il saisit son compagnon d’infortune à la gorge et lui plonge son poignard dans le gras du ventre. Le geste est brusque, violent et désespéré. L’assassin reste hébété devant sa victime qui s’affaisse, de tout son poids dans la terre humide, devant lui, avec de sourds grognements de douleur.
Ernest, dans un état de demi-conscience, jette au loin son arme et marche à pas lents vers un gardien presque endormi dans sa guérite, pour se rendre. Il est immédiatement jeté au cachot, dans l’endroit le plus chaud et nauséabond du camp, pendant qu’un infirmier tente de sauver celui qui a été poignardé.
Le lendemain, dans ce bagne non loin de Saint-Laurent-du-Maroni en Guyane, Ernest explique son geste aux autorités :
Le bagne en Guyane est un monde où même l’évasion devient un vrai cauchemar
« J’ai plongé un couteau dans le ventre d’Auguste pour défendre ma réputation. Depuis plusieurs jours, il m’offrait des vêtements et un peu de vin. Il me parlait doucement devant les autres, avec de longs regards. Et puis hier, il m’a invité à m’assoir à côté de lui pour goûter le chocolat qu’il avait préparé dans son vieux gobelet en fer. Je ne pouvais pas rester sans réagir. Si je ne faisais rien, j’allais être considéré comme sa « femme », son « môme », sa « marquise ».
Le chef du camp, pour être sûr de bien comprendre, se risque à une question qu’il trouve très embarrassante : « Auguste s’apprêtait à vous obliger à être… pédéraste, pour lui ? »
Ernest baisse la tête en écartant de son front un de ces énormes moustiques qui viennent sucer le sang et la sueur des pauvres hères de ce coin perdu. Il complète : « Si j’acceptais, je serais devenu le jouet de tous les caïds du camp, un jour ou l’autre. A la merci du plus fort d’entre eux… »
Le bagne, zone où le droit n’existe plus sinon celui du plus fort. Dans une chaleur étouffante et la boue, quelques centaines de corps décharnés qui ont été de vrais êtres humains quand ils étaient en métropole et qui ne sont plus que de pauvres types qui luttent pour leur survie et tombent, chaque jour, comme des mouches. L’absence de soins, les coups, les privations sans explication, le sadisme des matons, l’absurdité d’un travail qui ne produit rien. Et puis, l’absence de femme et la promiscuité qui conduisent à tous les dérèglements et à l’homosexualité forcée.
Toujours le même code ou rituel : une tasse d’un chocolat fort cher sous ces contrées, boisson obtenue sous le manteau. Celui qui accepte le breuvage trouve un protecteur auquel il devra se soumettre totalement, dans ce monde de brutes épaisses. Celui qui refuse risque de défendre chèrement son indépendance et son honneur.
Alors Ernest n’avait pas le choix. Entre le chocolat et le couteau, il a choisi le couteau.
L’embarquement pour le bagne en Guyane
Histoire à ne pas raconter en Suisse. Les moeurs de ce bagne doivent se pratiquer encore et ailleurs pour autre chose qu’une tasse de chocolat.
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Nous avons organisé en novembre 2009 une exposition -conférence sur le bagne de la Guyane: c’est pourquoi nous avons pris la liberté de publier sur notre blog associatif le début de votre note sur le bagne de la Guyane du 19 mars 2010:
http://villevaudeassocs.typepad.fr/villevaude/2009/11/lenfer-du-bagne-ou-la-guillotine-s%C3%A8che.html
Votre blog étant un de nos favoris, il est en lien permanent sur le nôtre.
Si cela ne vous convient pas, signalez le nous, nous supprimerons cette note.
Cordialement
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Très réaliste sauf qu’en 1910, le cantinage était interdit… donc le transporté devait s’être procuré du chocolat en fraude.
Il est à noter que des groupes solidaires savaient « s’auto-protéger contre ces agressions. On ne tentait jamais de suborner un anarchiste… ou un Corse (sauf bien entendu s’ils le voulaient bien)
L’administration pénitentiaire appréciait d’ailleurs ces situations, qui permettait de « calmer » les détenus. Un dur se montrait rétif? On le menaçait de déplacer son môme.
A contrario, comme l’a fort bien souligné Albert Londres, les meurtres commis pour motifs « sentimentaux » étaient jugés avec une grande indulgence par le tribunal maritime spécial qui appelait les bagnards efféminés des « planches à guillotine »
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Plus en haut, la case de Dreyfus est en fort bon état… En 1910 elle était occupée par l’authentique (lui!) traitre Ullmo
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Comme toujours, un article intéressant, qui rappelle une des grandes hontes du système pénitentiaire Français. A lire absolument, le reportage-livre de Albert Londres sur le bagne.
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