» Si tous les hommes de la Révolution n’avaient été tués, ils seraient morts fous, tant l’effort les brûlait vite ! »
Jaurès résume par cette formule dont il a le secret, sa volumineuse « Histoire socialiste de la Révolution Française » . Douze volumes qui viennent d’être édités chez le dreyfusard Jules Rouff.
Des ouvrages que peu lisent en entier mais que chacun commente.
La prise de la Bastille par Jean Pierre Houël oeuvre de 1789
Jaurès s’est inspiré de Michelet qu’il connaît par coeur et il arrive, comme lui, à refaire vivre ces héros de la Convention ou de la Terreur, remplis d’idéaux et couverts de sang. Il s’éloigne en revanche délibérément de Langlois et Seignobos qui prétendent, depuis trois ans, que l’on peut écrire l’Histoire de façon objective et scientifique.
L’historien Jules Michelet – ici photographié par Nadar – a beaucoup inspiré Jaurès. Son Histoire de la Révolution Française se lit comme un roman.
Oui, il écrit une histoire « socialiste » de la Révolution… et il s’en vante. Une histoire du socialisme qui plonge ses racines dans 1789 ou une vision socialiste des événements de cette époque ? Jaurès ne fait pas vraiment un choix entre ces deux options. Peu importe, un souffle puissant balaie ces pages qui aboutissent à interprétation stimulante de cette fin du XVIIIème siècle.
En piochant ici et là matière à réflexion, on est frappé notamment par le mouvement inattendu de réhabilitation de Robespierre.
Notre troisième République oppose de façon simpliste Danton – l’homme du peuple, dénonçant la Terreur – à Robespierre l’intransigeant et le sectaire. Des thèses universitaires jusqu’aux livres d’histoire qu’apprennent, comme une récitation, nos gamins sur les bancs de la communale, cette vision officielle est servie partout.
Jaurès la nuance considérablement et apporte un éclairage nouveau à ces pages flamboyantes de notre Histoire.
» Je suis avec Robespierre et je vais m’asseoir aux côtés des Jacobins. » Les lignes consacrées à celui qui voulait instituer le culte de l’Etre Suprême sont peut-être plus intimes que son auteur veut bien l’admettre.
» Exceptionnelle probité morale, un sens religieux et passionné de la vie, et une sorte de scrupule inquiet à ne diminuer, à ne dégrader aucune des facultés de la nature humaine, à chercher dans les manifestations les plus humbles de la pensée et de la croyance, l’essentielle grandeur de l’homme. »
L’arrestation de Robespierre : le gendarme Merda tire dans la direction de l’Incorruptible et le blesse grièvement à la mâchoire
De qui parle l’ouvrage que j’ai entre les mains ? De Robespierre ou de son auteur Jaurès ?
Le révolutionnaire n’est plus vraiment un tyran redouté mais plutôt un homme qui cherche avec acharnement à faire progresser la société de son temps, y compris contre l’opinion publique du moment. Il représente l’espérance des générations futures et renonce à satisfaire le coeur versatile des foules. Il poursuit un but « surhumain » de justice et de bonheur.
Au fil des pages, nous sommes entraînés dans un monde bien éloigné des combines ministérielles et des intrigues parlementaires actuelles. Chaque paragraphe peut être lu comme un plaidoyer pour une régénération de notre politique, pour un élargissement de ses perspectives.
Je m’interroge pourtant. Faut-il suivre aveuglément un homme » à la terrible sécheresse de coeur, obsédé par une idée et qui finit peu à peu par confondre sa personne et sa foi » ?
Les arcanes sans grandeur de notre République fatiguée ne forment-elles pas, sans le vouloir, un rempart contre toute pensée simplificatrice et tout gouvernement autoritaire qui voudrait notre bonheur… malgré nous ?
Il faut dire que les socialistes de l’époque, notamment les français, ne concevaient la révolution prolétarienne à venir que sous l’exemple paradigmatique de la révolution française. Aussi il n’est guère étonnant que Jaurès absolve toujours en fin de compte Robespierre de toute responsabilité première puisque celui-ci représente à ses yeux, en 1793-94 l’aile la plus radicale de la révolution, alors qu’aucun autre révolutionnaire (hormis Marat et Saint Just) ne trouve vraiment grâce à ses yeux (voir ses portraits de Desmoulin et Danton notamment).
Il faut éviter de juger des textes avec notre connaissance du siècle (le 20ème) et avec notre sensibilité morale du moment, il n’empêche qu’à propos de l’extrait suivant tiré du même ouvrage dans laquelle il « justifie » la liquidation de la Gironde, des Dantonistes etc, on peut à bon droit s’opposer totalement à la logique de son argumentation.
« Dans les périodes calmes et lentes de la vie des sociétés, il suffit d’enlever le pouvoir aux partis qui ne répondent pas aux nécessités présentes. Les partis dépossédés peuvent préparer leur lente revanche, sans paralyser le parti en possession.
Mais, quand un grand pays révolutionnaire lutte à la fois contre les factions intérieurs armées et contre le monde, quand la moindre hésitation ou la moindre faute peuvent compromettre, pour des siècles peut-être, le destin de l’ordre nouveau, ceux qui dirigent cette entreprise immense n’ont pas le temps de rallier les dissidents, de convaincre leurs adversaires. Ils ne peuvent faire une large part à l’esprit de dispute ou à l’esprit de combinaison. Il faut qu’ils combattent, il faut qu’ils agissent et, pour garder intacte toute leur force d’action, pour ne pas la disperser, ils demandent à la mort de faire autour d’eux l’unanimité immédiate dont ils ont besoin. »
LA CONVENTION p.1769
On sent la patte du grand orateur mais on ne peut oublier ici que ce sera aussi par l’exemple de la révolution française que les bolcheviks et leurs thuriféraires français justifieront les pires crimes accomplis dans le pays des soviet au nom de la révolution prolétarienne.
Bye
Olivier Stable
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« Quand un pays révolutionnaire lutte à la fois contre les factions intérieures et contre le monde, ceux qui dirigent cette entreprise immense n’ont pas le temps de rallier les dissendents, de convaincre leurs adversaires. Il faut qu’ils agissent, et, pour garder intact leur force d’action, pour ne pas la dissiper, ils demandent à la mort de faire autour d’eux l’unanimité immédiate dont ils ont besoin »
Jean Jaurès
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