» Le Bourse est un métier bête comme chou, je préfère exposer des tableaux. » Le jeune Daniel-Henry Kahnweiler rejette le monde de la corbeille où sa famille de banquiers aurait aimé le voir évoluer pour une carrière en contact avec la peinture.
Ses modèles ? Paul Durand-Ruel et Ambroise Vollard. Sa ligne de conduite ? Donner une certaine noblesse au métier de marchand d’art.
Daniel-Henry Kahnweiler
Ce mois de novembre, il a décidé de prendre des risques, de sortir du lot. » Je veux frayer la voie à Georges Braque, ce peintre inconnu doit trouver un public. »
Ce dernier, peintre sportif, passionné de lutte, qui tape de longues minutes dans un punching-ball avant de saisir ses pinceaux, a vu ses toiles refusées au Salon d’Automne. Le jury dont faisaient parti Matisse et Guérin avait accepté, in extremis, un compromis en « repêchant » et proposant l’exposition de deux toiles seulement.
Pour Braque, c’était tout ou rien. Il était reparti avec ses oeuvres sous le bras, fâché.
Kahnweiler a donc décidé d’exposer Braque dans sa galerie de quatre mètres sur quatre au 28 rue Vignon, dans le quartier de la Madeleine. Des toiles pleines de lumière, aux tons chauds, composées sous le soleil du midi, près de Marseille, cet été. Un style nouveau aussi.
Braque, Le Grand Nu 1908: Les Demoiselles d’Avignon de Picasso nées en 1907 ne sont pas loin
Louis Vauxcelles, le redoutable critique à la plume acérée, décrit ces oeuvres dans la revue Gil Blas : » M Braque construit des bonshommes métalliques et déformés qui sont d’une simplification terrible. Il méprise la forme et réduit tout, sites figures maisons, à des schémas géométriques, à des cubes. Ne le raillons point puisqu’il est de bonne foi et attendons… »
En discutant ce soir autour d’un pot de vin chaud avec Kahnweiler, nous plaisantons sur ces fameux « cubes ». Vauxcelles est un récidiviste. Il avait déjà essayé de défendre une sculpture qui lui plaisait dans un précédent Salon alors que le buste était isolé au milieu de tableaux aux tons très vifs : » la candeur de cette oeuvre d’inspiration italienne surprend au milieu de l’orgie des tons purs ; c’est Donatello au milieu des fauves ! » s’était-il écrié. Depuis, fauve a donné le mot « fauvisme ».
Je lâche, content de moi : » Impression de Monet a donné Impressionnisme, fauve s’est transformé en Fauvisme… je te propose, Daniel, de passer des cubes au cubisme ! « .
Kahnweiler fait la moue et se moque : » cubisme, cubisme… le mot est bon, il prendra sans doute…mais s’il est imaginé ou repris par un vrai critique d’art. Tu n’es pas du sérail mon vieux : ni critique, ni marchand, ni collectionneur. L’Histoire ne retiendra donc pas que c’est toi qui as inventé le cubisme, tu verras ! «