22 décembre 1908 : L’homme qui valait quatre milliards

Discussion avec Joseph Caillaux, ministre des Finances, qui attend d’être reçu par G. Clemenceau. Je lui lance en plaisantant :

 » Vous êtes l’homme qui vaut quatre milliards !  »  

Pensif et peu sensible à ma tentative de dérider l’atmosphère, il me répond :

– Les milliards de notre budget s’envolent effectivement. Sous la monarchie de Juillet, la France se contentait d’un milliard de francs pour faire face à ses dépenses publiques. Thiers qui voyait bien comment les choses allaient évoluer dans l’avenir avait dit : Saluez ce milliard car vous ne le reverrez plus !

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Joseph Caillaux, ministre des Finances : son budget pèse 4 milliards de francs

Il ne croyait pas si bien dire. En 1869, à la veille de la guerre, nous étions déjà à deux milliards. Aux lendemains de nos désastres, nous franchissions la barre des trois milliards, notamment pour payer l’indemnité de guerre et permettre la libération de notre territoire.

Aujourd’hui, nous sommes effectivement à quatre milliards. C’est beaucoup.

Curieux, je lui demande comment il explique l’envolée de nos dépenses.

– Le budget des armées reste très gourmand. La marine et nos troupes à terre coûtaient après la guerre 350 millions, elles nécessitent aujourd’hui 1 milliard. C’est le prix à payer pour redevenir une puissance indépendante.

L’Instruction publique se contentait de 24 malheureux millions sous l’empire, 270 millions sont aujourd’hui nécessaires si on veut que chaque petit Français apprenne à lire, écrire et compter dans de bonnes écoles républicaines. Quant aux dépenses d’assistance et de solidarité, elles croissent pour couvrir des besoins sociaux tout à fait légitimes.

– Et la dette ?

– Nous nous efforçons de la maintenir à un niveau modéré mais elle pèse lourd elle aussi. En trente ans, son arrérage est passé de 600 à 1200 millions. Ce que nous avons dû payer aux Prussiens n’a rien arrangé et a durablement déséquilibré nos finances.

Heureusement, les Français forment un peuple d’épargnants, qui souscrit comme un seul homme aux emprunts publics, dans des bonnes conditions pour l’Etat.

Et puis pour trouver de nouvelles recettes et faire face à la hausse inexorable de nos dépenses, je ne désespère pas de faire passer un jour mon projet d’impôt sur le revenu.

De nouveau perdu dans ses pensées, il marmonne pour lui-même :

– Nous n’avons pas le choix. Soit on taxe les revenus, soit…. on crée un impôt sur les achats… on pourrait faire les deux.

Je le regarde avec un peu d’effroi. Voyant mon trouble, il me lance :

– N’ayez pas peur, je n’ai pas d’idées de nouveaux impôts. Simplement, la France ne peut pas vivre durablement au dessus de ses moyens.

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Le ministère des Finances au Louvre, le pavillon Colbert

3 commentaires sur “22 décembre 1908 : L’homme qui valait quatre milliards

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  1. Tout ceci laisse effectivement songeur. Car effectivement on a eu le droit aux deux impôts évoqués (TVA + IR).

    Plus généralement, tous mes compliments sur votre blog. Instructif, amusant, permettant de remettre un certain nombre de faits en perspective. C’est bien simple je n’arrête pas de le recommander depuis que je l’ai découvert, il y a un mois.

    J’espère que vous continuerez en 2009 !

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  2. Précisons que la TVA (environ la moitié des recettes de l’État) concerne tout un chacun. L’IR (environ le quart de ces recettes) est normalement proportionné aux revenus.

    L’histoire économique au XXè s. montre que les périodes où les impôts ont le moins taxé les riches sont celles où la croissance économique fut la plus faible & que les phases où l’impôt progressif a empêché la concentration du patrimoine sont celles où la croissance économique fut la plus soutenue.

    Les très grandes fortunes en France se sont formées entre la Restauration et la Première guerre mondiale, période d’inflation faible et d’absence d’IR et d’impôt sur les successions. L’IR sera finalement créé en 1914.

    Les baisses d’impôts sur les hauts revenus alimentent une épargne “oisive” qui pousse les marchés à la hausse (et éventuellement à la casse) sans nourrir l’investissement.

    L’endettement de l’État n’est pas du à un excès de dépenses publiques, ce sont les déficits publics qui sont dus à l’ampleur des baisses d’impôts.

    Les pays nordiques possèdent un taux de prélèvements obligatoires bien plus importants que les nôtres, mais aussi une bien meilleure cohésion sociale.

    La dîme du nouveau clergé financier et la corvée libérale sont en train de détruire tout cela.

    La “Stratégie” fiscale des libéraux augmente les inégalités et accentue la concentration du patrimoine.

    La fiscalité est l’instrument par excellence de correction des inégalités.

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