» Pour que nous soyons un peu considérés en ville, pour que l’on nous estime enfin, nous qui avons fait le choix de porter les armes, il faudrait, ni plus ni moins, une guerre… » Après ces propos désabusés, plein d’amertume sur la triste condition d’officier d’une armée de temps de paix, Charles de Gaulle quitte le fauteuil de l’invité de notre appartement du 8ème et déplie son mètre quatre-vingt-treize. Il visse son képi sur sa grosse tête au menton en avant, rajuste son ceinturon pourtant déjà bien serré, se regarde un instant d’un air un peu hautain dans la psyché de l’entrée et me précède pour une promenade au parc Monceau.
Arrivé à côté de la Rotonde, il poursuit : » Il y a des choses qui ne tournent pas rond dans notre chère armée. Nos vieux généraux par exemple, savez-vous qu’ils ignorent les talents d’officiers supérieurs originaux, ceux qui ne pensent pas comme eux ? Voyez Pétain. Il a toutes les chances de finir sa carrière comme colonel, tellement il a déplu ! Seul contre tous, il ne croit pas à la doctrine officielle et aux vertus de l’offensive à outrance, coûteuse en vies humaines et peut-être inefficace dans une guerre de plus en plus mécanisée. Ses maîtres mots sont le mouvement, l’initiative, la préparation d’artillerie et la puissance de feu. Intéressant… Même si je crois plus que lui aux mérites de l’assaut victorieux, celui qui emporte tout sur son passage. «
Sur ces sujets de tactique militaire, je fais la moue et n’ai guère d’avis.
C’est dimanche, je cherche à lancer Charles sur un sujet plus léger.
Son amitié réciproque avec Philippe Pétain doit bien le mener à une ou des confidences intéressantes ! Je l’incite à évoquer un sujet susceptible de le dérider : les femmes. Plus exactement : » Pétain, les femmes et lui « . Des échos persistants venant du ministère de la Guerre prétendent qu’ils partagent tous les deux la même conquête. Je veux en avoir le cœur net.
Perçant mon stratagème, mon avidité à recueillir petits ragots et autres discrets bruits d’alcôves, il s’arrête au milieu de l’allée et me toise : » Eh bien mon ami, que voulez-vous savoir au juste ? »
» Oh rien, Charles, je garderai toutes vos confessions pour moi, vous savez… » poursuis-je d’un air faussement détaché mais en fait vraiment gourmand.
De Gaulle me pose la main sur l’épaule et me fait pivoter vers lui : » Olivier, vous savez que Pétain et moi sommes très « sur les femmes » en ce moment. Je les méprise comme on le fait aux alentours des vingt-cinq ans et il les apprécie comme il est fréquent pour un homme après cinquante ans. Ce qui fait que le colonel et moi, nous prenons le même train venant de notre régiment d’Arras et nous nous croisons ensuite souvent quand nous sommes à Paris… et pas seulement pour donner ou suivre des cours à l’Ecole de Guerre ! » glousse-t’il, visiblement content de son petit effet.
Je n’en saurai pas plus. Mon Charles repart sur une longue et interminable comparaison entre le fusil français Lebel (précis mais peu maniable) et son équivalent allemand, le Mauser 98 ( rapide et pratique lors des combats ). Je baille et réfléchis en l’écoutant d’une oreille distraite.
Un instant, loin de l’officier fier mais un peu raide, de l’homme taiseux sur sa vie personnelle, j’ai cru entrevoir le vrai de Gaulle… Cela n’a pas duré. L’huître s’est refermée, avec ses mystères.
Je m’en ouvre à mon ami :
» Charles, pourquoi parlez-vous toujours aussi peu de vous, même à vos vieux camarades comme moi ? »
Le jeune lieutenant me glisse alors avec un demi-sourire : » Vous savez ce que disait Confucius ? Le silence est un ami qui ne trahit jamais ! »
WordPress:
J’aime chargement…
Votre commentaire