31 janvier 1911 : Un gouvernement de gens de maison

« Il n’a plus de jus notre Président du Conseil ! Épuisé par la grève des cheminots, enlisé dans le vote interminable du budget, troublé par les odeurs de scandale qui flottent ici et là, peu sûr de lui au Maroc… Plus d’humour, mauvaise mine, toux sèche, l’œil jaune… il va craquer notre bonhomme ! »

Joseph Caillaux se fait médecin politique, diagnostique les défaites futures et invente déjà les remèdes. « Il faut remettre des ministres avec du poids, des hommes qui savent où ils vont et non des chefs de bureau comme Klotz. »

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L’ambitieux Joseph Caillaux. Ancien et brillant inspecteur des finances, il méprise l’actuel ministre des Finances Louis-Lucien Klotz

Je suis dans le bureau du vice-président de la commission des finances, poste occupé par Caillaux depuis qu’il a mis en sommeil ses activités de banquier international. Il est accompagné du président du parti radical Maurice Berteaux. Grands bourgeois tous les deux, le cigare à la bouche, ils spéculent à haute voix sur l’affaiblissement de mon patron Briand.

Caillaux se tourne vers moi : « Votre budget 1911, nous allons en faire un cauchemar. Chaque ligne sera discutée des heures, nous soupèserons finement les crédits et allons demander des explications sur tout. Et puis à un moment, vous verrez, l’épuisement vous gagnera, le fruit sera bien mûr, il tombera. Nous serons là, Berteaux et moi, pour le ramasser. »

C’est Briand qui m’a demandé de rencontrer les deux requins afin de négocier avec eux une accélération du vote de la loi de finances. C’est raté. Nos deux compères ne se cachent même pas pour conspirer.

Je tente le tout pour le tout : « Vous avez dorénavant assez de relais à la Chambre pour faire échouer un vote de confiance, renverser le ministère et donc Briand. Mais, je ne vous crois pas assez populaires, ni l’un ni l’autre, au point d’être désignés pour former un gouvernement. Vous, Monsieur Caillaux, votre projet d’impôt sur le revenu énerve trop de gens et vous, Monsieur Berteaux, vos fonctions de chef de parti, vos origines patriciennes – vous êtes fils d’agent de change richissime – vous éloignent du président Fallières qui préfère des parlementaires provinciaux d’origines plus modestes. »

Caillaux se recule et tire un bouffée de son cigare : « Il n’a pas tort, notre Olivier le Tigre. Formé à l’école Clemenceau. Il apprécie bien les rapports de force. » Il complète alors : «  Mais qui vous dit que nous voulons être Président du Conseil ? D’autres peuvent s’en charger et nous nommer ensuite à des postes clef. »

Je continue à défendre mon patron et ses ministres. Je supplie : « Il reste encore beaucoup de choses à faire, ne tirer pas le tapis tout de suite. »

Caillaux me regarde avec cruauté et conclut avant de me congédier d’un revers de main :   » Mon pauvre ami, c’est la fin. Votre patron est affaibli et c’est de sa faute. Briand, dans son second gouvernement, n’a pris quasiment aucun ministre pouvant lui faire de l’ombre. C’est un gouvernement de gens de maison ! « 

 

Un commentaire sur “31 janvier 1911 : Un gouvernement de gens de maison

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  1. Briand et Caillaux sont les deux ministres qui ont vraiment « percées » sous Clemenceau et sont devenues des personnalités politiques de premier plan. Il est donc peut être logique que ces deux-là, disposant de soutiens parlementaires assez opposés, ne puissent guère se supporter.

    Joseph Caillaux ne doit en plus guère être satisfait que Briand n’ait une nouvelle fois, pour son deuxième cabient, pas songé à lui pour prendre de nouveau le ministère des finances et lui permettre ainsi de poursuivre son combat, devenue sa marque de fabrique politique, pour la création d’un impôt sur le revenu, dont le projet fût voté par la chambre des députés en 1909, mais défait par le sénat, et qu’il a juré de mener jusqu’à son terme par tous les moyens, ce qui ne manque pas de susciter certains doutes sur ses motivations.

    Ainsi Aristide Briand, pourtant lui aussi partisan de la réforme fiscale ne manquera pas quelques années plus tards, alors que la bataille parlementaire sur ce sujet se poursuivait, de mettre directement en cause Caillaux, sans le nommer il est vrai, dans un discours à la chambre qui fit date;

    « Il y a dans notre démocratie des impatiences fébriles, des ploutocrates démagogues qui courent vers le progrès d’une course si frénétique que nous nous essouflons à vouloir les suivre; ils veulent, ceux-là, le tout ou le rien. Dans le moment même où ils s’enrichissent avec une facilité scandaleuse, dans ce moment même, ils ont le poing tourné vers la richesse dans un geste si menaçant, si désordonné, si excessif que nous avons le droit de nous demander si c’est bien pour l’atteindre, si ce n’est plutôt pour la protéger. » (13 décembre 1913)

    Bon, il est vrai que cette description peut sans doute s’appliquer à des hommes ou femmes politiques d’autres époques!

    Bye

    Olivier Stable

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