« Bon, écoutez, je n’ai pas le temps de le recevoir. L’homme porte beau, parle d’or, fait rêver avec ses exposés diplomatiques brillants mais voilà, je n’ai pas le temps… » Briand se ferme et parle sèchement. Je recevrai donc seul notre ministre de France à Sofia, Maurice Paléologue.
Maurice Paléologue, ministre de France en Bulgarie…(pour ceux qui savent lire le …, on voit qu’il est le futur ambassadeur de France en…)
Pour réussir mon entretien avec ce fonctionnaire prestigieux, descendant de la très haute noblesse grecque de Constantinople et qui sera forcément déçu de n’échanger qu’avec moi, je révise studieusement mes fiches et mes dossiers sur la Bulgarie.
Royaume improbable, coincé entre la Russie ombrageuse, la fougueuse Grèce et le vieil Empire Ottoman, balayé violemment par l’Histoire et souvent oublié par les Puissances. Un petit peuple de trois millions d’habitants qui font d’excellents soldats faute de savoir monter des industries ou une agriculture moderne.
Je note avec soin cette citation de Victor Hugo dénonçant les dernières années d’occupation ottomane marquées par des atrocités : « On doit mettre fin aux empires qui tuent ! ». Je relis les rapports sur le souverain qui se fait appeler « tsar », Ferdinand 1er, de la famille des Saxe Cobourg (lointain cousin de la fille de Louis-Philippe, Clémentine d’Orléans et du feu prince consort Albert, mari de la Reine Victoria).
L’empereur du royaume bulgare encore tout neuf est-il inverti ? Nos espions, mélangeant la haute politique et les bêtes rumeurs d’alcove, le laissent entendre ici et là, sans en tirer de conclusions particulières. Dans tous les cas, Ferdinand 1er est un autocrate qui tient son pays d’une main de fer, en suivant des idées souvent très personnelles et sans éviter malheureusement une corruption qui gangrène les rouages d’un État balbutiant.
Maurice Paléologue semble évoluer dans les palais de Sofia comme un poisson dans l’eau. Conseiller du Prince, ami des banquiers souhaitant investir non loin de la Sublime Porte, cultivé et doué d’un vrai talent littéraire, il ne quitte guère le chapeau haut de forme qui participe de sa réputation d’homme important.
Comment va-t-il accepter notre entretien ? Et surtout, se pliera-t-il aux indispensables directives que je dois lui donner ?
A suivre.
Cher ami, merci de cet exposé…
Mais, moi qui suis en poste à Saint-Pétersbourg… je m’étonne! Car la suscription du portrait que vous citez dit textuellement: « Maurice Paléologue, ambassadeur de France auprès de la Cour de Russie… »
Serait-ce de la prémonition?! Ou, vous qui êtes si bien informé, m’annoncez-vous discrétement la nomination d’un futur patron? Dans ce cas, je compte sur votre obligeance pour me recommander à lui…
et tant que vous y êtes, recommandez-lui aussi de bien ouvrir les yeux… Il risque de se passer des choses en Russie…
Bien à vous
Machenka
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Notre ambassadeur en Bulgarie se doit d’être prudent dans ses propos et ses actes. La situation politique de ce pays est en effet assez particulière puisque depuis le traité de Berlin de 1878 il est certes un pays indépendant mais, curieusement, pas formellement, car ce traite a laissé subsister un lien de « vassalité », aux contours mal définis, avec l’empire ottoman, ce qui provoque régulièrement des incidents plus ou moins graves, notamment depuis que les « jeunes turcs » ont imposé en 1908 au sultan Abdul Hamid un programme de réformes libérales, mais aussi nationalistes, dans lequel figure en première place la volonté de maintenir coûte que coûte l’intégrité de l’empire.
Aussi Maurice Paléologue va devoir user de toute son influence afin d’empêcher Ferdinand de prendre des initiatives malheureuses, susceptibles de provoquer un conflit avec les ottomans qui risquerait de rompre l’équilibre balkanique actuel.
Bye
Olivier Stable
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