9 novembre 1910 : La France n’a pas de déficit public !

« La France a des finances saines. L’État a des besoins qui augmentent mais il équilibre son budget sans emprunt. » Le sous-directeur de la rue de Rivoli est visiblement satisfait de la gestion de son ministère et toise en réunion ses collègues de la place Beauvau en leur demandant : «  Et vous, à l’Intérieur, comment vous débrouillez-vous pour que la délinquance juvénile ne cesse d’augmenter depuis 1840 ? »

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Le rigoureux ministère des Finances occupe une partie du Louvre depuis 1871

J’arbitre comme chaque année les réunions budgétaires. La rue de Rivoli est fière de ne pas produire la moindre dette publique contrairement à l’Allemagne qui accuse un déficit équivalent à 125 millions de francs, l’Angleterre qui traîne une ardoise atteignant le milliard, la Hongrie qui fait la tournée des capitales pour trouver 660 millions…

Toujours content de lui, le sous-directeur de la comptabilité reprend : « Vos belles brigades mobiles n’ont pas jugulé l’accroissement des crimes et délits commis par la jeunesse. Ils ont bondi de 20 % ces dix dernières années ! » Les pauvres responsables de la Sûreté n’osent répondre, de peur de voir leur budget réduit à due concurrence du courroux du gardien des comptes publics.

Je me charge de prendre leur défense : « Nous avons mis en place récemment les juges pour enfants, nous travaillons à généraliser les mesures de tutelle. L’extension de l’obligation scolaire ne serait pas non plus une mauvaise idée. Enfin, vous critiquez les brigades mobiles mais vous leur refusez toujours l’achat d’automobiles. Tout ce que j’évoque coûte cher. La Chambre devra faire des choix. Si les députés veulent pouvoir rentrer chez eux tranquilles sans risquer de se faire agresser par des Apaches embusqués, il faudra faire un geste sur la durée et favoriser une véritable politique publique ambitieuse pour les adolescents. Quelque part, le choix est simple : Soit voter tranquillement des crédits en séance pour l’avenir de nos jeunes, soit se condamner à remettre régulièrement et en tremblant son portefeuille aux petits malandrins en sortant dans la nuit noire. »

7 commentaires sur “9 novembre 1910 : La France n’a pas de déficit public !

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  1. Excellentissime, on a tendance a se penser si speciaux, dans une societe si compliquee, la verite est toujours la meme: Apprends ton histoire pour ne pas repeter les memes erreurs! Rien n’a vraiment change.
    La question reste ouverte ds cet article: pas de dettes et pas de futur ou dettes = investissement pour notre futur.
    Comme toute l’histoire du 19eme siecle, sans 2 guerres mondiales nous aurions peut etre une reponse.

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  2. Votre haut-fonctionnaire des finances pavoise à bon compte. Il peut certes présenter un budget sans tâches, mais on aurait pu lui rappeler qu’au niveau de l’endettement global, nous jouons la course en tête !

    La France a un endettement total de 35 milliards de francs (dette constituée principalement de titres de la rente publique) alors que le pays génère un revenu annuel global d’environs 22 milliards de francs, ce qui la plaçait au 01 janvier 1910 devant l’Angleterre, l’Allemagne ou la Russie.

    Reste evidement à discuter de la meilleure façon d’affecter les dépenses de l’état. Mais il est en tout cas certains que si l’on continue à produire ainsi de la dette on a aura du mal à satisfaire tout le monde, dont nos brigandes mobiles en manque de voitures, étant donné qu’il y aura à l’avenir une part toujours plus grande des dépenses qui devront servir à rénumérer les possesseurs de titres étatiques français.

    Bye

    Olivier Stable

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  3. Olivier
    Tu as raison. Le titre de l’article gagne à être plus précis : c’est de déficit qu’il s’agit et non de dette. Il y a bien une vieille dette publique que la France traîne depuis de nombreuses années (les fameux bons du Trésor par exemple…).
    Il n’y a en revanche pas de déficit public et nous n’augmentons pas la dette grâce à un budget équilibré (contrairement à la France d’aujourd’hui).
    Autre précision importante : la France de la Belle Epoque a une abondance de liquidités et finance le monde entier (contrairement à aujourd’hui).
    L’auteur

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  4. Parlons chiffres ! Voici les 3 principaux chapitres de la partie dépenses (Total : 4 386 462 181 francs) du Budget 1911, tel qu’il finira par être définitivement promulgué quelques mois plus tard (loi du 13 juillet 1911).

    Services généraux des ministères : 2 458 224 133 francs
    Dette Publique : 1 278 112 967 francs
    Frais de régie, de perception et d’exploitation des impôts
    et revenus publics : 585 009 233 francs

    Source : Revue de science et de législation financières (1911-p.455)

    http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5430571k.r=revue%20de%20science%20et%20de%20législation%20financières.langFR

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  5. Cher Olivier
    Le déficit public ne peut se trouver exposé, par hypothèse, dans la colonne « dépenses ». Il faudrait avoir la colonne recettes. Or, malgré des recherches minutieuses (dans la revue que vous citez et partout ailleurs), je n’ai pu mettre la main dessus. La loi de finances du 13 juillet 1911 demeure introuvable dans son intégralité sur le net.
    Je dois me contenter d’articles du Parisien et du Temps, qui soulignent, pour le premier, l’équilibre des finances sans emprunt (mon article vient de là) et le second, l’équilibre mais avec des hausses importantes des impôts (en les déplorant). Il n’est pas évoqué de recours à l’emprunt pour financer les dépenses.
    Jusqu’à preuve du contraire, la colonne « dépenses » que vous citez montre bien la nécessité de financer une vieille dette (importante) mais pas le bouclage de ce même budget par de nouvelles dettes.
    On peut imaginer une colonne « recettes » intégralement constituée d’impôts et taxes…et donc un équilibre des finances.
    En outre, la consultation de mes livres d’économie sur cette époque tend à montrer que les finances françaises étaient saines jusqu’à 1913, pour se dégrader fortement ensuite.
    Je ne doute pas que vous allez faire de nouvelles recherches… et je vous félicite pour votre souci de rigueur et votre ténacité.
    L’auteur

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  6. Je sais bien que le budget était équilibré, d’ailleurs c’était à l’époque considéré comme une obligation. L’expression « boucler le budget » avait alors tout son sens, d’où les longues discussions parlementaires pour trouver les recettes (impôts) supplémentaires afin d’y parvenir.

    Je voulais seulement souligner qu’il y avait déjà, malgré tout, un « poids de la dette », qui pesait sur les comptes publics, en ce sens qu’il fallait rénumérer les souscripteurs de bons étatiques, au taux de 3 % environs. Pour 1911 , cela représente plus de 25% du total des dépenses, ce qui n’est pas rien.

    Bye

    Olivier Stable

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