Négociations nocturnes, rebondissements de dernière minute, joie des entrants, fureur des sortants : Aristide Briand a constitué son nouveau cabinet qu’il vient de présenter au Président de la République, Armand Fallières.
Je n’ai pas réussi à convaincre le Président du Conseil de prendre des ministres ayant du poids.
Qui connaît Théodore Girard que nous mettons à la Justice ? Qui se soucie de Jean Morel, pâle ministre des colonies ? Comment ne pas étouffer un bâillement quand nous apprenons la nomination de Maurice Faure comme ministre de l’Instruction publique et des Beaux arts ?
Briand a voulu un gouvernement plus maniable, plus obéissant. Les fortes personnalités comme Millerand, Barthou ou Viviani ont disparu. Il n’a pas supporté leur soutien très tiède pendant le dur conflit des chemins de fer.
Je suis chargé de faire le tour des nouveaux ministres ayant des postes clef et de fixer les méthodes de travail qu’ils devront suivre avec la Présidence du Conseil.
Un nouveau ministre des Finances, affable mais discret et au faible poids politique, Louis-Lucien Klotz
Ma rencontre avec le nouveau patron de la rue de Rivoli Louis-Lucien Klotz me plonge dans l’ennui. Il évoque son « grand projet » de centralisation du contrôle financier des ministères dépensiers à travers la mise en place d’une réunion trimestrielle. Il me demande conseil sur une centralisation identique des réponses aux observations de la Cour des Comptes. Je lui réponds avec des arguments techniques en me demandant si j’ai affaire à un chef de bureau ou à un ministre.
L’entretien avec Louis Puech ministre des travaux publics est à l’avenant. Sans réel programme pour son ministère, il continue à tempêter sur ce qu’il considère être « le » scandale de la Troisième république : la mauvaise conservation des archives du ministère des colonies en Afrique. Il veut une enquête interne immédiate sur cette « délicate question ». Je lui suggère de s’occuper en priorité de son propre portefeuille ministériel avant de venir fouiller dans celui du voisin.
J’évite enfin de croiser Louis Lafferre, ministre du travail, anticlérical forcené, impliqué dans le scandale des fiches et défenseur de la délation dans l’armée. Seule son amitié pour mon ancien patron Clemenceau me retient de dire du mal de lui à Briand.
Bref, un nouveau gouvernement décevant. La Chambre ne s’y trompe pas et lui accorde une confiance très mesurée par 296 voix contre 209.
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A mon avis votre patron a voulu se débarasser des « poids lourds » qu’il a, en quelque sorte, hérité de Clemenceau pour son premier cabinet, l’année dernière. L’occasion etait tentante suite à cette crise où il a montré qu’il était un homme à poigne, de profiter de ce petit « état de grâce » pour se constituer un gouvernement à sa main.
Le problème est que ces ministre dits de poids sont parfois bien utiles, tout autant par leur talent propre que par leur réseau politique, pour défendre les projets du gouvernement lors des discussions parlementaires un peu rudes.
Hors de la rudesse dans l’hémicycle du palais Bourbon, Briand risque d’en trouver lorsqu’il faudra parler concrètemement de ses projets de création de procédures d’arbitrage sensées éviter de nous faire revivre un jour la crise sociale que nous venons de connaitre, de la réforme du scrutin d’arrondissement dont il se dit partisan, du serpent de mer de la réforme fiscale (l’impôt progressif) qu’il faudra bien achever, ou encore du sujet toujours particulièrement conflictuel chez les radicaux et radicaux socialistes, des rapports de la république avec l’église catholique.
Enfin, on verra bien comment son cabinet se défend sur ces sujets. Quoiqu’il en soit des cassandres (fins connaiseurs?) pronostiquent déjà qu’il ne tiendra pas bien longtemps.
Bye
Olivier Stable
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Je viens de passer plusieurs heures sur ce carnet extraordinaire (après avoir passé plusieurs heures sur le blog Parisavant qui m’a conduit à vous). Bravo et merci !!!
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