20 octobre 1910 : Grèves, tout rentre dans l’ordre

La situation sociale reste tendue mais le gouvernement a gagné. Les saboteurs agissant dans les chemins de fer ont presque tous été arrêtés, souvent sur dénonciation. Tous les comportements injurieux voire violents contre la police ou les troupes déployées dans les gares donnent lieu à des déférements immédiats devant la justice.

L’opinion publique qui craignait la grève générale et une déstabilisation du pays se range de notre côté et la presse, servile, ne donne la parole qu’aux ministres et représentants de l’administration.

saint-lazare.1287554461.jpg

Le mouvement social a été brisé sous les coups portés au bon endroit par un État inflexible et étouffé sous l’édredon d’un Président du Conseil ferme et serein, aux paroles lénifiantes.

Ainsi, pour ne citer que deux événements d’hier qui m’ont marqué : Un ouvrier qui passait devant la gare de la Ceinture, avenue d’Orléans, s’est mis à crier « Vive la grève ! » et s’en est pris à un commissaire de police effectuant sa ronde. L’excité a été immédiatement conduit au dépôt où il a passé toute la nuit. Il en est sorti « doux comme un mouton », pour reprendre l’expression du Préfet de police.

Deux jeunes femmes qui tentaient de s’opposer à l’arrestation d’un saboteur ont été condamnées, elles, dans les 48 heures, à huit jours de prison par le tribunal de Versailles. Là encore, cela sert d’exemple.

Les locaux de l’Humanité restent sous surveillance policière constante et intimidante. Dès qu’un leader syndical y met les pieds, il est immédiatement et sans ménagement arrêté.

Je réunis en outre chaque jour les journalistes pour faire le point sur leurs articles à venir. Les informations que je leur donne, avec le sourire, se divisent en trois parties : celles que je leur conseille de diffuser, celles qu’il serait préférable de taire et celles qui n’ont rien à voir avec la grève mais qui peuvent distraire leurs lecteurs.

A titre d’illustration, j’ai transmis le chiffre des dépenses sociales du pays : 200 millions de francs. J’ai comparé doctement cette somme considérable avec les dépenses anglaises, équivalentes, mais pour une population plus élevée et les dépenses belges, autrichiennes et italiennes (respectivement 28, 14 et 21 millions). J’ai donné le chiffre du budget social du Reich allemand, très faible par rapport au nôtre, en passant soigneusement sous silence que les acteurs du système germanique demeurent les sociétés privées, les mutuelles et les Landers.

Avant que les écrivaillons aient pu reprendre leur souffle, ils étaient invités à évoquer aussi l’Exposition Universelle de Bruxelles où la France a collectionné un nombre record de distinctions. De quoi faire rêver notre peuple cocardier.

Je leur jette, goguenard : « Bref, messieurs, vous pouvez publier autre chose que des mauvaises nouvelles ! « 

Bâton, édredon, informations doucement cadenassées : tout cela se révèle diablement efficace.

Les râleurs se taisent, les trains repartent et les voyageurs/électeurs sont contents.

Quant à moi, Aristide Briand envisage de me nommer directeur adjoint de son cabinet.

4 commentaires sur “20 octobre 1910 : Grèves, tout rentre dans l’ordre

Ajouter un commentaire

  1. Déferrements immédiats ? On les a donc libérés de leurs fers ? La coquille tient du lapsus (quand le surmoi se lâche, paraît-il). Je crois qu’il s’agissait de déférer les opposants à la justice couchée. Surtout après les massacres de Villeneuve-Saint-Georges – Draveil en 1908. Merci Clémenceau. On peut faire confiance aux « gens de gauche » pour se salir les mqins à la place des capitalistes

    J’aime

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

Propulsé par WordPress.com.

Retour en haut ↑

%d blogueurs aiment cette page :