8 octobre 1909 : Picasso réveillé par un singe

La guenon s’impatiente, le tire par le bras, le pousse et attrape sa mèche de cheveux. Picasso la repousse violemment en s’écriant : «  Monina, il n’est que dix heures, laisse-moi rêver ! ».

Le maître a besoin de ces moments volés, de ces grasses matinées à la catalane qui lui permettent de laisser venir des idées neuves ou d’affiner des jugements.

Son portrait déjà commencé d’Ambroise Vollard ? Choisir des couleurs pour mieux faire ressortir l’aspect massif du personnage. Garder ces cubes et ces autres petites formes géométriques facilitant une vision immédiate de l’intéressé sous plusieurs angles à la fois.

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Ambroise Vollard, peint par Pablo Picasso en 1909

Le prix de ses dessins ? 50 francs. Il a en a partout, affichés, en pile sur la table, en vrac par terre. 50 francs l’unité et il sera riche. Picasso aime l’argent et il se sait génial. 50 francs n’est donc pas trop cher pour un dessin de lui.

Doit-il faire confiance à Kahnweiler ? Le marchand sait l’écouter, respecte l’intimité de son atelier, ne le presse pas, lui avance les sommes dont il besoin. Mais va-t-il continuer à le suivre dans son audace picturale ? D’autres ont renoncé, ont été effrayés lors de son passage à une peinture moins figurative, éloignée du bon goût bourgeois. « Cela ne se vendra pas… » ont-ils dit. Kahnweiler semble aimer les risques à prendre avec lui. Il ira le voir encore ce soir après ses heures de labeur et de création, pour papoter ou refaire le monde.

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Le marchand de Pablo Picasso, Daniel-Henry Kahnweiler

Monina pousse des petits cris stridents. Elle a faim, elle veut jouer. Elle fait une galipette. La chienne Fricka ouvre un oeil, agacée par ce vacarme et jappe deux fois en montant sur une chaise. Pablo pousse lui aussi un grognement. L’appartement du 11 boulevard Clichy se transforme en ménagerie de cirque.

Le peintre se redresse et attrape l’une des deux mandolines achetées la veille. Quelques accords et une chanson en catalan suffisent à calmer les deux animaux qui attendent une caresse et un peu de viande.

Bientôt Picasso laissera ce petit monde et, après un bol de lait ou de café, ira rejoindre la pièce atelier où le « Vollard » l’attend. Avec ses pinceaux et ses tubes, il pourra faire ce qu’il veut du marchand. Il pourra le représenter à sa guise. Il montrera que son art est au-dessus des contingences matérielles. A travers l’agencement des cubes sur la toile, la disposition habile des couleurs et des reliefs, il laissera passer une impression magique montrant que son œil a tout percé de la personnalité de Vollard. «  L’art domine tout le reste ; quand je peins, je suis le maître… » marmonne Picasso en rangeant sa mandoline.

Le marchand Ambroise Vollard

2 commentaires sur “8 octobre 1909 : Picasso réveillé par un singe

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  1. Cher ami,

    Votre jeune fille barbouille-t-elle toujours, sous les conseils de ce peintre espagnol, comme vous nous le racontiez il y a quelques temps ? A-t-elle fait des progrès ?

    J’aime

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