L’homme malade de l’Europe. Un ventre mou instable voire dangereux pour notre sécurité collective. L’Empire Ottoman n’est plus que l’ombre de lui-même. Jadis puissance menaçante pour un Occident divisé (on se souvient des Turcs assiégeant Vienne sous Soliman le Magnifique), la Sublime Porte grince, se rouille avant d’être enfoncée par la Russie, la France, l’Allemagne ou l’Angleterre qui se disputent ses accès à la mer, le produit de ses taxes internes, ses voies de chemin de fer ou ses mines.
Cet article est la suite de l’abécédaire sur notre époque commandé par la direction du journal « Le Temps »
Un dernier sursaut ou un renouveau engagé depuis l’an dernier avec la révolution des Jeunes Turcs ne suffit pas à ralentir la désagrégation de cette Europe du sud-est et de ce Proche-Orient compliqué.
La liste des nouveaux pays qui se forment, des provinces qui gagnent leur indépendance ou basculent sous le contrôle d’un État plus puissant dans ce pourtour méditerranéen donne le tournis. Une Bosnie-Herzégovine sous contrôle autrichien depuis 1878, une Thessalie et une Crète qui basculent dans le giron grec respectivement en 1881 et en 1908, une Roumélie annexée par les Bulgares en 1885, une Slovénie et une Croatie revendiquée par les ambitieux Serbes et qui sont à l’étroit dans un Empire Austro-Hongrois devenu agressif, sans parler des aventures palestinienne, syrienne ou égyptienne soumises aux vents anglais, français voire allemands.
Partie de la planète instable, ferment d’un monde nouveau capable d’accoucher du meilleur comme du pire.
Croisement de l’Occident industriel en voie de déchristianisation et de l’Orient qui se cherche à l’ombre d’une splendeur passée, le monde ottoman essaie, sous l’impulsion des jeunes officiers et intellectuels du Comité Union et Progrès, une synthèse aussi habile que périlleuse.
Ces derniers veulent aussi bien promouvoir une identité turque que préserver ce qui peut être sauvé dans l’Empire, tout en mettant en avant les droits de l’homme et la démocratie parlementaire. Le tout dans un Anatolie encore largement paysanne et arriérée.
Nous assistons donc, souvent impuissants, au choc d’objectifs incompatibles qui représentent pourtant le souhait de tout un peuple qui ne veut plus de la domination occidentale. L’Histoire s’écrit avec l’encre des aspirations contradictoires d’un régime marqué par les luttes de pouvoir ou les alliances improbables entre les tenants de l’ancien régime du sultan, les jeunes diplômés issus des universités d’Europe de l’Ouest et une armée qui veut des consignes claires. Convulsions, soubresauts, râles d’une dictature mourante qui se mèlent aux cris de nouveau-né d’une démocratie hésitante très tentée par l’autoritarisme.
Le monde ottoman est un baril de poudre où se chamaillent des artificiers pas toujours habiles qui allument des mèches qui pourraient bien tout faire sauter demain ou après demain.
Et au sein des « jön türk », un jeune officier plein d’ambition nourri par la philosophie des lumières. Quelques années plus tard, il sera Atatürk, le père turc.
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Une vision qui n’est pas à détacher de celle de la Turquie d’aujourd’hui, voulant être elle-même tout autant qu’européenne. L’Istanbul actuel m’a stupéfié dans sa capacité d’être moderne sans renier ses attaches au passé.
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Vous écrivez :
« Nous assistons donc, souvent impuissants, au choc d’objectifs incompatibles qui représentent pourtant le souhait de tout un peuple qui ne veut plus de la domination occidentale. »
Quelle vision anachronique et tiers-mondiste de la fin de l’Empire Ottoman…, ou est ce un lapsus ?
En 1909, la Turquie n’existait pas encore. Un pourcentage important des habitants du territoire Turc actuel étaient des chrétiens – orthodoxes grecs, arméniens etc..-). Cette importante minoritée chrétiennes est le résultat de l’histoire suite à l’expansion de l’Empire Ottoman depuis le XIVème siècle. Elle n’est pas le résultat d’une quelconque colonisation « occidentale ».
L’Empire Ottoman était un Empire Turc, Musulman, mais il appliquait les principes de tolérance envers les « peuples du livre », que l’on peut lire dans le Coran. Cette tolérance lui avait été certainement nécessaire, la partie européenne de l’Empire Ottoman étant très majoritairement chrétienne.
En 1909, on était à la veille des grands nettoyages ethniques qui allait créer la Turquie actuelle qui est un un pays à 99% musulman.
En 1909, des nettoyages ethniques dans les pays d’Europe balkanique (dont les Turcs étaient chassés par des massacres commis par les populations Slaves) étaient en cours.
L’effondrement de l’Empire Ottoman est un exemple de ce qu’à pu être l’effondrement de beaucoup d’empires. Des nationalismes (Serbe, Bulgare, Roumain et … turc) apparaissent : L’anarchie est totale. Elle est une porte ouverte aux militaires ambitieux (dont Atatürk faisait partie) et aux puissances européennes – qui s’y bruleront les ailes…
Pour ma part, j’aurais écrit la phrase suivante :
« Nous assistons donc, souvent impuissants, au choc d’objectifs incompatibles émanant pourtant du même souhait d’une multitude de peuples qui ne veulent plus de la domination Ottomane. »
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Patrick
Merci pour ce long commentaire intéressant et stimulant.
Je ne partage pas tout à fait votre point de vue (je pense aussi que nous nous comprenons mal) et maintient mes propos.
1/ L’Empire Ottoman est, en 1909, largement sous domination occidentale à travers l’arme financière, l’apport de technologies, le conseil militaire… les puissances occidentales contrôlent administrations (Dette publique…), banques, sociétés commerciales…
2/ Cette domination est – à juste titre – de plus en plus mal vécue par la population – et surtout ses élites – résidant dans les territoires qui formeront l’actuelle Turquie.-
3/ Sur ce qu’il reste de l’Empire, il y a effectivement de multiples peuples qui ne veulent plus de domination… ottomane ou autre.
4/ La tolérance que vous évoquez appartient, en 1909, largement au passé… cela aurait été, pour le coup, anachronique d’en parler comme vous l’évoquez. C’est vous qui parlez de veille de « nettoyages ethniques » – terme daté fin XXème siècle – et de massacres : cela montre bien que l’esprit de tolérance appartenait à un passé malheureusement révolu.
5/ Votre proposition de phrase n’est pas fausse mais ne correspond pas à ce que je souhaitais évoquer dans cet article.
L’auteur
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Tolérance ? Quelle tolérance ? Le pouvoir ottoman n’allait tout de même pas exterminer les Juifs et les Chrétiens, les deux groupes les plus entreprenants, dont le statut de dhimmis donnait lieu qui plus est à de fortes surtaxes, en plus que de leur interdire l’usage de la force faute de pouvoir détenir des armes. Voilà l’explication de la « tolérance ».
Dès que les ressources fiscales ont commencé à perdre de leur intérêt – en clair, lorsque les Arméniens ont commencé à exiger l’application des engagements pris par les Ottomans à Berlin, et qui incluaient notamment une réforme de la collecte de l’impôt dans les provinces arméniennes (et accessoirement une participation arménienne à la Police locale) – les massacres ont soigneusement été planifiés sous le pouvoir du Sultan AbdülHamid II (200.000 morts selon les sources françaises de l’époque, le tout à la fin du XIXe siècle).
Notons au passage qu’il n’y a pas là de « racisme » (les motivations sont religieuses, le contrepoids de l’intérêt économique ayant disparu), d’ailleurs le Sultan était fils d’une Arménienne. Sur le terrain, les massacres seront exécutés par la population locale musulmane, motivée par des arguments exclusivement religieux, et non point « nationalistes ».
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Bonjour, j’ai rencontré une petite fille. Elle disait étudier le monde musulman en Histoire à l’école. Je lui ai parlé de l’Empire Ottoman mais ça ne lui a rien dit. J’ai donc cherché « Monde musulman et empire Ottoman » sur Google et je suis tombé sur cette page. Que signifie « monde musulman » pour un historien ? Note : la jeune fille est d’origine turque par ses parents.
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