Le pilote du dirigeable commence à paniquer. Le vent violent au-dessus du Maisons-Laffitte souffle par rafales. L’engin de 56 mètres de long se révèle peu maniable dans ces conditions et les spectateurs craignent qu’il ne s’écrase parmi les habitations.
Une embardée à droite, un virage à gauche difficilement négocié, Capazza le conducteur ne sait plus à quel saint se vouer. La piste d’atterrissage lui paraît maintenant trop loin, des maisons sont à protéger sur sa gauche : il fait donner toute la puissance possible aux deux hélices latérales de six mètres chacune. Le moteur Clément Bayard de 120 chevaux réagit bien et le pire est écarté aux grands soulagements des habitants qui retiennent leur respiration quelques dizaines de mètres plus bas.
Un dirigeable « Clément Bayard » semblable à celui qui vient de s’abattre sur la Seine. L’actualité m’oblige à interrompre, momentanément, la publication de l’abécédaire sur notre époque, commandé par la direction du journal Le Temps.
S’abattre sur les arbres ou sur la Seine ? Capazza n’hésite pas. Les branches risquent de causer des dommages irréparables au dirigeable et l’incendie sera difficilement évitable. Il reste le fleuve. «Atterrissage » sans gloire mais efficace. L’appareil accroche la frondaison des hêtres et des saules qui bordent le plan d’eau et chute lourdement au milieu des flots, moteur coupé.
Le constructeur Adolphe Clément s’arrache les cheveux et jette sa casquette par terre de rage. 500 000 francs or viennent de s’évaporer. Les envoyés du tsar qui devaient finaliser le contrat de vente de ce « plus léger que l’air » à la Russie, regardent leurs pieds, silencieux.
L’ingénieur Clerget qui a su bâtir un moteur pourtant parfait a les larmes aux yeux devant un tel désastre. L’ambassadeur russe Nelidov, sur un ton plein de bonté, tient des propos a priori rassurants :
- – Il ne faut pas oublier que ce vol a permis de battre le record de hauteur (1550 mètres), nous n’avions jamais vu cela! Le tsar, mon maître, sera aussi sensible au fait que le dirigeable est resté plus de deux heures à plus de 1200 mètres. Votre engin reste remarquable malgré sa triste fin. La négociation n’est pas rompue. Nous souhaitons rencontrer à nouveau l’équipe de direction de Clément Bayard et les représentants du gouvernement français.
Décodage : la Russie veut bien de l’appareil mais compte tenu des affres de l’atterrissage, elle demandera un geste commercial.
Adolphe Clément est pris au piège. Il devra réparer le dirigeable à ses frais et le vendre à un prix très en-dessous de 500 000 francs. Financièrement, sa société anonyme dont il est si fier, risque de ne pas s’en remettre.
« Il faut l’aider à s’en sortir ! » tempête Briand qui redoute que l’Etat soit acculé -pour sauver cette affaire – à acheter, abîmé, le « Clément Bayard » qu’il n’avait pas voulu quand il était neuf, en raison de son prix trop élevé.
« Qui peut négocier avec les Russes ? » lance-t-il à la cantonade. Le silence des membres de son cabinet, réunis en urgence place Beauvau, est pesant. Personne ne connaît bien Isvolsky, ministre des affaires étrangères du tsar ; aucun n’a l’oreille de Nelidov, l’ambassadeur ou de Kokovtsov, le tout puissant ministre des finances de Saint-Petersbourg.
Au bout d’un long moment de gêne qui paraît une éternité, une voix s’élève, faiblement, au bout de la table :
« Il faudrait peut-être faire revenir Olivier le Tigre ? »
A suivre…
Un dirigeable qui ressemble volontiers à un cigare ou a une carotte. Il ne fera pas long feu sous cette forme durant la guerre suivante, remplacé par des saucisses. Mais l’épisode fut mouvementé. Bravo au courageux « conducteur » qui a su éviter la cata.
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