Visiteur du soir, masqué par un loup, chapeau noir à larges bords, les mains gantées de cuir : nous ne sommes pas dans un roman d’Alexandre Dumas mais à mon domicile, je ne reçois pas un mousquetaire mais Gabriele d’Annunzio, écrivain, poète, en délicatesse avec ses créanciers en Italie.
Gabriele d’Annunzio, le tombeur de ces dames, porte ce soir un masque
Sitôt entré, il s’installe confortablement sur une bergère, croise les jambes et allume un fin cigare dont il tire voluptueusement quelques premières bouffées en s’entourant d’une fumée protectrice. Ses doigts fins tire-bouchonnent nerveusement le bout de ses moustaches quand il achève ses longues phrases prononcées avec un accent transalpin, précieux et chantant à la fois.
Ses yeux noir profonds ne me quittent guère et m’invitent à lui apporter des réponses précises :
– Non, l’Etat français n’a pas de dossier fiscal le concernant et ses créanciers n’ont pas saisi notre justice.
– Oui, il pourra continuer à toucher ses droits sur ses romans traduits ; L’Innocente, Les Vierges au Rocher ou Le Feu.
– Son projet mené avec Debussy portant création d’un opéra mettant en scène le Martyre de Saint Sébastien sera le bienvenu sur une scène française.
D’Annunzio se réjouit d’avance de cette future production : un ballet opéra total. Des noms prestigieux sont déjà évoqués : Ida Rubinstein, la belle danseuse juive russe qui se déshabille actuellement complètement dans la danse des sept voiles du Salomé d’Oscar Wilde, André Caplet comme chef d’orchestre, des décors et des costumes qui pourraient être de Léon Bakst.
Le poète conclut :
– Je suis comme Saint Sébastien, aucune flèche ne peut m’atteindre vraiment. Mes ennemis italiens ne franchiront jamais les Alpes pour me retrouver. Je partage avec le saint le même attachement à la beauté du corps… mais ce sont les femmes que je préfère charmer.
Pendant toute notre conversation, une voiture attend au bas de notre immeuble. Par la fenêtre, j’observe à la dérobée une jeune brunette qui attend patiemment, un livre à la main, que Gabriele veuille bien le rejoindre. A chaque heure, elle fait monter son valet de pied qui rappelle sa présence et tente, sans succès, de faire descendre le poète. Ida Rubinstein ? Romaine Brooks ? Une autre conquête ? A cette distance, je ne suis pas sûr. Les élégantes Parisiennes et les belles étrangères égéries du monde des arts s’arrachent déjà l’écrivain avant même son installation définitive dans la capitale.
Gabriele d’Annunzio me confie en me quittant : « Ces demoiselles devraient se méfier de moi. J’ai beau me comporter en mufle, elles ne me quittent pas d’une semelle. D’autant plus forte est l’ivresse que plus amer est le vin ! »
Ida Rubinstein par Valentin Serov
Un petit commentaire qui vous fera plaisir.
C’est un régal, vos petits « souvenirs » animés !
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Décidément, je ne me lasse pas de ce blog !
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En voila un qui a bien vieilli, et sans recours! qu’on lise son enfant chargé de chaines, son Martyre de Saint Sébastien, c’est impossible§ quant à la muflerie envers le beau sexe, il existe un pastiche de Muller et Reboux sur la question, mauvaises langues, mais bien informées….
M.Court
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J’aime bien me promener sur votre site!
Aurons nous un article pour les (cent) vingt ans de l’inauguration de la tour Eiffel aujourd’hui??
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Fort peu élogieux, ce récit. Les péripéties sentimentalo- fiscales de d’Annunzio ne dorent pas le tableau…
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