« Maintenant, Jules la Canne, il faut parler. Qu’est devenu notre collègue, l’inspecteur Robert ? »
Les hommes de la Mondaine se fâchent. L’un des leurs a disparu dans les quartiers interlopes de Paris, du côté de la rue Saint Anne. Jules la Canne est maquereau, informateur de police à ses heures, respecté, violent et jusqu’à présent intouchable.
Toulouse-Lautrec, le « Salon » de la rue des Moulins… et ses jolies pensionnaires
» Les renseignements que tu nous a donnés sur les Apaches ne suffiront pas à te protéger si nous ne pouvons pas savoir ce qui est arrivé à Robert ! » Les policiers deviennent hargneux, ils défont le faux col du mac, l’attachent sur une chaise, lui passent la main dans les cheveux en signe de menace. Celui-ci glapit :
» Je ne sais rien. Laissez-moi à la fin ! Je ne m’occupe plus des filles à cent sous que fréquente votre Robert. J’essaie de faire des choses plus respectables en montant des brasseries avec des serveuses très agréables. C’est légal et ce n’est pas aussi contrôlé que les maisons à gros numéro (ndlr : les maisons closes). »
La première gifle part, puis une seconde. Jules perd progressivement de sa superbe. Il sent que les « bourgeois » sont à cran et qu’ils feront tout pour sauver Robert. Alors, il se met à table :
» Votre Robert avait changé ses habitudes. Il avait cessé de s’occuper des filles de la rue Saint Denis, de la rue Saint Honoré ou Saint Anne et de suivre les petits macs. Il commençait à s’intéresser aux maisons de luxe comme le Chabanais. Et à mon avis, c’est là qu’il s’est grillé les ailes. Il a dû découvrir des choses inavouables sur des gens puissants qui fréquentent cet enfer du désir tenu par Mme Kelly. »
Les hommes de la Mondaine se calment d’un coup : « mince, il avait mis les pieds au Chabanais ! Là, c’est trop gros pour nous. Il faut en parler au Patron. Même le roi Edouard VII fréquente ce bel hôtel ! »
Le roi d’Angleterre Edouard VII fréquenterait le Chabanais, maison close de luxe
Jules la Canne est libéré sur-le-champ et le commissaire Le Floch prend la suite des opérations.
Ce dernier, philosophe, lettré, revenu de tout, écoute ses hommes lui raconter l’affaire. Il leur fait la leçon : » Et les pauvres filles soumises à ce Jules la Canne, vous y pensez ? 80 passes par jour, c’est affreux ! Vous l’avez relâché comme cela, ce mac de malheur ? »
Il s’affale sur son fauteuil, fatigué et regarde le portrait de Victor Hugo -son grand homme -qui lui fait face. Il repense, avec un pâle sourire aux lèvres, à cette phrase du célèbre écrivain :
« La femme est obligée de choisir entre acheter un homme, ce qui s’appelle le mariage, ou se vendre, ce qui s’appelle la prostitution. »