« Pourquoi ne serait-ce pas celui-là le peintre de l’avenir ? » Ce mot admiratif de Degas sur le Douanier Rousseau tranche avec ce que chacun disait sur ce peintre il y a un an ou deux. Les accusations de naïveté, les regards condescendants se font plus rares. Le milieu des peintres parisiens et un public –encore peu nombreux – d’amateurs éclairés commence à réaliser qu’il faut compter avec Henri Rousseau.
Le Pont de Sèvres par Henri Rousseau, 1908
La palette de couleur est chatoyante, les sujets (une carriole, une partie de football, un pont…) variés. Rousseau décrit le monde qui l’entoure et le retraduit à sa façon, sans fioriture, sans perspective inutile. Son style original, reconnaissable entre mille, conduisent ses œuvres à se détacher nettement dans les expositions. « C’est un terrible voisin, il écrase tout« murmure, impressionné, Félix Vallotton.
L’homme sait se faire oublier. Son personnage réel laisse sa légende se construire :
– Il n’a jamais été douanier mais a travaillé comme employé aux octrois, cette administration parisienne chargé de faire payer un droit sur toutes les marchandises entrant dans la capitale.
– Il n’est jamais allé dans les jungles et au milieu des plantes exotiques qu’il peint si bien. La fréquentation assidue du Jardin des Plantes lui suffit.
Henri Rousseau ne franchit jamais physiquement les portes de Paris. Seule son imagination vogue sans contrainte et nous entraîne dans un joyeux mélange visuel de scènes amusantes, inquiétantes voire terribles (sa toile sur la Guerre). Heureusement, les rêves l’emportent largement sur les cauchemars, la vision d’un monde heureux et poétique prédomine.
Le Douanier tient des propos qui amusent. Au Président d’un tribunal qui prononçait un jugement très favorable pour lui, il ne peut s’empêcher de proposer, devant une salle d’audience hilare « Monsieur le Président, pour vous remercier, je ferais un portrait de votre épouse. «
Si vous l’invitez chez vous, il arrive dans sa mise toute simple, avec son béret et un violon à la main. Sans se faire prier, il joue deux ou trois airs entraînant et chante sa ritournelle favorite ; « Aïe, aïe, aïe, j’ai mal aux dents ! « Les paroles sont bêtes mais le fou rire nous prend rapidement.
Les critiques continuent à regarder de haut le Douanier. Celui-ci fait comme si de rien n’était. Il affiche sur ses murs, comme des trophées, les articles ironiques du Matin ou du Figaro. Nul ne sait s’il comprend que les journalistes ont voulu le blesser avec leur plume acérée. Il plane, avec son sourire bienveillant, au-dessus de ces petites bassesses. Et il nous prend par la main pour nous faire revivre ce que nous avons gardé de meilleur dans nos rêves d’enfants.