Je n’aurais jamais dû dire « oui ».
Wilbur Wright est ravi qu’un conseiller de Clemenceau le rejoigne au camp d’Auvours, près du Mans pour assister à des démonstrations de vol de son merveilleux « Flyer, Wright model A ». Il m’a tout de suite proposé un baptême de l’air et j’ai naturellement accepté.
Le biplace « Wright model A » décollera à partir d’un rail de lancement, sans catapulte s’il y a assez de vent. Le Mans, 1908.
Tous les passionnés d’aéroplane qui l’entourent me font un cours accéléré sur ce qu’il faut savoir sur ces engins plus lourds que l’air. Les frères Bollée, Lazare Weiller -tous industriels doués – répondent à mes questions à la fois naïves et inquiètes.
« Mais pourquoi l’engin s’envole alors qu’il va moins vite au décollage que certaines automobiles qui, elles, restent au sol ? »
Wilbur Wright prend une feuille de papier et souffle sur elle et me démontre, me dit-il, le phénomène de la « portance ».
» Comment retrouver la piste pour atterrir quand on a volé plusieurs dizaines de minutes ? »
» Comment incliner l’appareil pour ne pas s’écraser au sol en phase d’atterrissage ? »
Chaque fois, les explications très logiques paraissent convaincantes. Je suis notamment frappé par le désir de Wright de transformer un vol en succession d’automatismes qui doivent être parfaitement maîtrisés par les pilotes. Avec lui, nous ne sommes plus dans le domaine de l’amateurisme génial mais nous entrons dans une ère plus professionnelle de la conduite des aéroplanes.
« Que se passe-t-il si l’hélice se casse ou si le moteur tombe en panne ? »
Je sens que ma question est désagréable. Mes interlocuteurs ont l’air navré que je puisse douter de la fiabilité de leurs engins. Ils insistent sur les contrôles et révisions permanents qu’ils effectuent sur tous les éléments sensibles du moteur. Je n’insiste pas et je me dis qu’il faut que je leur fasse confiance (facile à dire !).
L’heure est arrivée.
Je suis Wilbur Wright comme une bête se rendant à l’abattoir. Le teint pâle, les mains moites, je m’installe sur un siège très étroit à côté du pilote. J’ai froid, le vent s’est levé. Je donnerais cher pour être ailleurs… loin.
Un mécanicien lance l’hélice. Wright fait chauffer le moteur « à fond ». Puis l’appareil s’ébranle, doucement, trop doucement à mon goût.
Il prend de la vitesse, nous avançons face au vent. Malgré l’air qui me bat le visage, j’ai l’impression de suffoquer.
Le Flyer tremble de plus en plus au fur et à mesure de son accélération. Le bruit du moteur est assourdissant. Nous arrivons bientôt au bout du rail de lancement. Chaque seconde dure une heure. Les mains de Wright se crispent sur les commandes.
Et puis… c’est le moment magique. Nous quittons la terre ferme, nous décollons, enfin. L’appareil est incliné vers le soleil et nous nous éloignons du sol.
Je pousse un cri, émerveillé :
» Je vole ! «