Rencontre dans le train qui nous emmène, l’ambassadeur Jules Cambon et moi, à Berlin. Discussion à bâtons rompus avec un brillant normalien germanophile : Jean Giraudoux
» Je serai écrivain et diplomate ! »
Il n’a pas froid aux yeux, le jeune homme de vingt-cinq ans qui partage notre compartiment, l’ambassadeur de France Jules Cambon et moi.
Pour ce qui est du destin d’écrivain, il se contente pour l’instant de quelques textes publiés dans la revue Athéna ou dans La Revue du Temps Présent. Deux titres récents et confidentiels mais qui savent découvrir des talents.
Quant à la carrière de diplomate, Jean Giraudoux (c’est son nom), prépare – avec acharnement – le « Grand concours » des Affaires étrangères qu’il passera l’an prochain.
Son regard pétille derrière ses lunettes rondes. Il parle avec aisance. Il nous révèle très vite sa passion pour l’Allemagne et le monde germanique. Ce brillant normalien a fréquenté l’université de Munich et a longtemps voyagé en Autriche-Hongrie. Il est intarissable sur la personnalité des Allemands et la différence de mentalité entre nos deux peuples.
Il relativise les qualités de discipline et de rigueur individuelle de nos voisins : » vous savez, chaque Allemand ne connaît que sa spécialité, pour le reste, il s’en remet au gouvernement ! » Cette phrase joliment tournée que j’ai noté dans mon carnet raisonne encore dans ma tête et Jules Cambon trouve que le jeune Giraudoux résume bien ainsi le rôle irremplaçable joué par l’Etat prussien : Etat performant aussi bien en matière militaire que dans les assurances sociales ou l’urbanisme, doux Léviathan dont les sujets de Guillaume II attendent tout.
Nous évoquons avec Jean Giraudoux l’objet de notre mission -officielle – à Berlin et nous parlons donc de la guerre et de la paix en Europe. Le visage du jeune homme s’assombrit. Il s’affirme délibérément pessimiste sur cette question : » la paix est l’intervalle entre deux guerres » s’exclame-t-il dans un souffle. Puis, sur un ton de reproche : » L’élite de nos deux peuples doit être brave devant l’ennemi et lâche devant la guerre… or, c’est trop souvent l’inverse que l’on constate. »
J. Cambon et moi, nous tentons de le rassurer et lui montrons avec force arguments, tout l’intérêt de la politique d’apaisement menée par Clemenceau et le ministre des Affaires étrangères Stephen Pichon. Il nous écoute patiemment dans notre long plaidoyer en faveur de nos dirigeants. Il laisse passer un silence et lâche, souriant et ironique : » la propagande est le contraire de l’artillerie ; plus est lourde, moins elle porte ! « .
Giraudoux s’affirme très critique vis à vis des élites qui mènent, selon lui, trop souvent l’Allemagne et la France au bord du conflit sans avoir à en subir personnellement les conséquences éventuelles: » le privilège des puissants est de regarder les catastrophes d’une terrasse ! »
L’impertinence du jeune Giraudoux nous amuse et ne nous décourage pas de continuer la conversation. Le trajet Paris-Berlin est long et il est toujours intéressant de sentir la mentalité des jeunes générations qui prendront un jour notre place et bâtiront le pays de demain.
A l’arrivée à Berlin, je promets au jeune homme de parler de lui à Bernard Grasset, une connaissance à moi qui a décidé, du haut de ses vingt-sept ans, de « bousculer le monde fermé de l’édition parisienne » en créant les Editions Nouvelles.
Sur le quai de la gare, en regardant s’éloigner de ses grandes jambes de sportif Jean Giraudoux, je repense à ce titre qu’il souhaite donner à l’une des pièces de théâtre qu’il a en tête : » La guerre de Troie n’aura pas lieu » . Jolie parallèle entre la mythologie et notre monde actuel, belle métaphore pour décrire les relations compliquées et douloureuses entre ces deux soeurs ennemies que sont l’Allemagne et la France.
A suivre…
mmmm le super billet.
merci
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J’avoue avoir découvert avec un immense plaisir ce blog, et je le recommande déjà à tout le monde. Enorme.
J’ai lu avec avidité d’autres billets et je continue ma progression vers le bas.
Vivement demain.
Merci pour cette super idée.
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