28 juin 1908 : Empire Ottoman : la mission secrète tourne au fiasco

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Le Palais du Sultan sur les hauteurs de Constantinople appelé « Palais Yildïz »

Lors de mon dernier jour à Constantinople, les choses ont failli très mal tourner. Ma rencontre avec l’opposant au régime Niyâzî Bey n’a pas été aussi discrète que les agents du 2ème bureau français (service de renseignement) le souhaitaient. Pendant tout l’entretien, nous avons manifestement été observés par la police secrète du sultan et le résultat ne s’est pas fait attendre.

Vendredi matin, une dizaine de policiers turcs ont frappé à la porte de mon appartement du quartier de Beyoghlu. Très poliment, ils m’ont demandé de les suivre jusqu’au Palais du sultan à Yildiz. Compte tenu du long trajet nous séparant de la résidence impériale, nous avons pris place dans deux automobiles qui nous attendaient en bas des escaliers.

Pendant le trajet, l’interrogatoire a commencé : que faisiez-vous avec  Niyâzî Bey ? Quelles sont vos fonctions exactes auprès du Président du Conseil français ? Quelles sont les informations que vous détenez sur le fonctionnement de l’Empire ? Quels sont vos autres contacts à Stamboul ? Quels sont les noms des agents français assurant votre protection ? Tout cela restait courtois, était formulé dans la langue de Molière mais je n’en menais pas large. Il était très préoccupant qu’un fonctionnaire proche de G. Clemenceau soit arrêté en territoire étranger et soumis aux questions de la police locale. L’incident diplomatique était probable avec des conséquences imprévisibles.

Alors que nous nous engagions dans la petite route bordée d’arbres qui mène aux hauteurs de Constantinople – là où se terre le sultan – nous avons été brusquement arrêtés par la charrette d’un pauvre paysan barrant toute la chaussée et empêchant notre progression. Quelques policiers turcs sont sortis du véhicule pour demander sans ménagement au charretier de se pousser. C’est alors qu’une trentaine d’agents du deuxième bureau français, solidement armés et menaçants, ont surgi de nulle part et ont demandé aux policiers turcs de me libérer immédiatement. Ces derniers se sont exécutés sans résistance et j’ai été emmené grâce aux deux automobiles qui avaient changé de propriétaires, jusqu’aux rives du Bosphore. L’officier français qui commandait l’opération m’a indiqué :

 » Monsieur le conseiller, nous vous avons libéré dès que nous avons pu. Il faut que vous quittiez immédiatement Constantinople et l’Empire Ottoman. Les hommes du sultan risquent de devenir hargneux s’ils vous retrouvent. Une barque et des agents français vous attendent sur les rives du Bosphore et vous conduiront jusqu’à un « vapeur » ami. Ce bateau traversera la mer de Marmara et vous emmènera jusqu’en haute mer où vous attend le cuirassé « Brennus » qui était justement en manoeuvre aux abords des Dardanelles.  »

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Le cuirassé Brennus, escadre de Méditerranée, en 1908

Après ces aventures un peu rocambolesques, j’écris donc aujourd’hui ces quelques lignes sur un navire de la « Royale » en attendant de rejoindre la rade de Toulon.

Je m’attends à une « engueulade maison » de la part du directeur de cabinet Winter à mon retour au ministère. Il est attendu d’un conseiller de G. Clemenceau du tact et de la discrétion. Or, on ne peut pas dire que mes mésaventures avec les policiers du sultan, l’intervention de trente agents du 2ème bureau pour me libérer et l’interruption des manoeuvres d’un cuirassé pour pouvoir me rapatrier sur le territoire national soient la preuve d’une mission particulièrement réussie. Il me reste quelques jours en mer pour préparer ma défense ; ça va barder ! 

Un commentaire sur “28 juin 1908 : Empire Ottoman : la mission secrète tourne au fiasco

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  1. Cher ami,
    Le deuxième bureau n’était pas pleinement engagé dans cette affaire. Je me permets de vous rappeler la confidentialité qui devrait s’attacher à votre mission et je vous propose de converser sur ce mouvement jeunes turcs (soutenu par l’Allemagne, je vous le rappelle) et dont certains projets ferroviaires vers la région de Mossoul ne sont pas sans inquiéter nos amis et alliés britanniques qui y voient là une menace directe sur la route des Indes.
    Bien cordialement.
    HI Dubuisson, honorable correspondant au Levant

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